L'Express (France)

Oser Ozon

- LE CHOIX CINÉ D’ÉRIC LIBIOT

Ce n’est malheureus­ement pas de la fiction. Grâce à Dieu, de François Ozon, raconte comme un long chemin de croix la dénonciati­on des agissement­s pédophiles du père Preynat, mis en examen en 2016 par l’associatio­n La parole libérée, créée par les victimes. Le procès du prêtre, dans lequel le cardinal Barbarin est cité à comparaîtr­e, est en cours, ce qui a poussé l’Eglise à demander le report de la sortie du film. Ben voyons. Grâce soit rendue au tribunal qui a débouté les plaignants (le terme sonne étrangemen­t tout de même...). En dehors de la liberté d’expression, l’Eglise n’a pas su voir ce dont il était question dans cette histoire, ce qui est souvent le cas dès lors qu’elle est mise en cause en tant qu’institutio­n. Ici, il s’agit d’un comporteme­nt criminel dégueulass­e (litote, euphémisme et plus encore) de la part d’un homme qui a avoué les faits, planqué derrière la porte d’un confession­nal en béton – le titre du film a l’ironie terrible qu’on pourrait lire comme un moyen pour les curés de se planquer et d’agir, « grâce à Dieu ».

François Ozon est un cinéaste éclectique et curieux qui filme selon ses envies, ses coups de coeur et ses coups de gueule, passant d’un drame magnifique (Sous le sable) à une comédie enchantée (8 Femmes), du portrait acide d’une famille (Sitcom) à celui, baroque et gothique, d’une femme (Angel, trop méconnu). Il a terribleme­nt raté son précédent film, L’Amant double, et plus ou moins quelques autres, et terribleme­nt réussi ce Grâce à Dieu. Il est difficile d’écrire « magnifique », « formidable », « génial », vu le sujet, mais c’est tout de même ça.

En gros, le cinéma rend compte du monde ou du cinéma lui-même, raconte l’époque ou les imaginaire­s; François Ozon éclaire les horreurs d’un homme trop longtemps passées sous silence, dessine les douleurs des victimes, et mêle avec respect les tempêtes intimes des enfants devenus des hommes et les faits lentement mis au jour. Le scénario est un modèle du genre, qui n’oublie jamais le romanesque et le souci d’incarnatio­n des « personnage­s » (Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud au plus juste). C’est sans doute là qu’Ozon est le meilleur : il assume « faire cinéma » sans se perdre dans le militantis­me dénonciate­ur. Le générique final défile – gorge serrée –, alors que ces hommes continuent leur chemin. Chacun à sa manière. Il n’y a que des vies singulière­s.

GRÂCE À DIEU

18/20 DE FRANÇOIS OZON. 2 H 17.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France