Oser Ozon
Ce n’est malheureusement pas de la fiction. Grâce à Dieu, de François Ozon, raconte comme un long chemin de croix la dénonciation des agissements pédophiles du père Preynat, mis en examen en 2016 par l’association La parole libérée, créée par les victimes. Le procès du prêtre, dans lequel le cardinal Barbarin est cité à comparaître, est en cours, ce qui a poussé l’Eglise à demander le report de la sortie du film. Ben voyons. Grâce soit rendue au tribunal qui a débouté les plaignants (le terme sonne étrangement tout de même...). En dehors de la liberté d’expression, l’Eglise n’a pas su voir ce dont il était question dans cette histoire, ce qui est souvent le cas dès lors qu’elle est mise en cause en tant qu’institution. Ici, il s’agit d’un comportement criminel dégueulasse (litote, euphémisme et plus encore) de la part d’un homme qui a avoué les faits, planqué derrière la porte d’un confessionnal en béton – le titre du film a l’ironie terrible qu’on pourrait lire comme un moyen pour les curés de se planquer et d’agir, « grâce à Dieu ».
François Ozon est un cinéaste éclectique et curieux qui filme selon ses envies, ses coups de coeur et ses coups de gueule, passant d’un drame magnifique (Sous le sable) à une comédie enchantée (8 Femmes), du portrait acide d’une famille (Sitcom) à celui, baroque et gothique, d’une femme (Angel, trop méconnu). Il a terriblement raté son précédent film, L’Amant double, et plus ou moins quelques autres, et terriblement réussi ce Grâce à Dieu. Il est difficile d’écrire « magnifique », « formidable », « génial », vu le sujet, mais c’est tout de même ça.
En gros, le cinéma rend compte du monde ou du cinéma lui-même, raconte l’époque ou les imaginaires; François Ozon éclaire les horreurs d’un homme trop longtemps passées sous silence, dessine les douleurs des victimes, et mêle avec respect les tempêtes intimes des enfants devenus des hommes et les faits lentement mis au jour. Le scénario est un modèle du genre, qui n’oublie jamais le romanesque et le souci d’incarnation des « personnages » (Melvil Poupaud, Denis Ménochet, Swann Arlaud au plus juste). C’est sans doute là qu’Ozon est le meilleur : il assume « faire cinéma » sans se perdre dans le militantisme dénonciateur. Le générique final défile – gorge serrée –, alors que ces hommes continuent leur chemin. Chacun à sa manière. Il n’y a que des vies singulières.
GRÂCE À DIEU
18/20 DE FRANÇOIS OZON. 2 H 17.