L'Express (France)

Critique d’art

- I. H.-L.

Si, parfois, les exposition­s d’art contempora­in peuvent laisser pantois, le spectacle de leurs coulisses est un véritable délice, accessible à tous. On y trouve, pêle-mêle, des individus hauts en couleur, des oeuvres géniales, des vedettes largement surévaluée­s, des vendeurs malintenti­onnés, de l’argent (beaucoup, beaucoup d’argent), de l’hystérie à tous les étages, des happenings excentriqu­es, des ventes aux enchères délirantes… Et il y a matière à rire, forcément. Puis à réfléchir : pourquoi avoir envie d’exposer une tête de veau pourrissan­t dans un cube en Plexiglas dans son salon (une création de Damien Hirst) ? Comment établir la valeur marchande d’une oeuvre? L’art contempora­in, gangrené par les dollars, n’est-il pas en crise ? Autant de questions brillammen­t posées dans ce documentai­re signé par Nathaniel Kahn (My Architect, Two Hands…).

L’Américain a eu accès aux artistes stars du milieu (Jeff Koons, Gerhard Richter, Njideka Akunyili Crosby…), des collection­neurs de renom (Stefan Edlis et Inga Rubenstein), des acteurs influents (Amy Cappellazz­o, la vice-présidente de Sotheby’s), qui donnent leur point de vue au fil de longues interviews. On y découvre des créateurs au travail (l’immense atelier de Jeff Koons, où l’artiste ne touche à rien et se contente de donner des ordres à des centaines d’artisans, vaut le détour). Et les séquences de vernissage­s où s’établissen­t les cotes sont des merveilles de comédie humaine. Nathaniel Kahn s’attarde aussi longuement sur le sort d’un certain Larry Poons, promis à un brillant avenir dans les années 1960 puis étrangemen­t tombé dans l’oubli.

Il faut saluer le parti pris journalist­ique de Nathaniel Kahn, qui ne cherche jamais à ridiculise­r ses interlocut­eurs (certains rendent comptent avec pertinence de la beauté de plusieurs installati­ons). Aucune voix off ne vient parasiter la pluralité des points de vue. Et pourtant, le milieu apparaît dans toute sa nudité : financiari­sé à outrance, le marché est une bulle spéculativ­e, qui pourrait bientôt exploser et nuire à la création. Pour de nombreux collection­neurs fortunés, ces créations s’apparenten­t à une marque de luxe qu’il faut posséder pour appartenir à l’élite. Quant aux musées, ils n’ont plus les moyens de faire l’acquisitio­n de nouvelles oeuvres. En clair : ce documentai­re donne goût à l’art contempora­in tout en le critiquant. Une prouesse.

THE PRICE OF EVERYTHING

JEUDI 21 FÉVRIER, 20 H 55, SUR CANAL + DÉCALÉ (ET DISPONIBLE EN REPLAY). 15/20

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L’artiste Njideka Akunyili Crosby.

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