L'Express (France)

Les dossiers secrets de Daech

Reporter de guerre, Kamal Redouani a eu accès à l’ordinateur portable d’un émir du groupe Etat islamique. Dans un livre percutant, il dissèque la pensée des djihadiste­s et leurs modes de transmissi­on d’un « savoir » terroriste.

- Par Boris Thiolay B. T.

Syrte, début décembre 2016 : les forces armées du gouverneme­nt d’union nationale libyen, appuyées par des milices locales, pulvérisen­t les derniers retranchem­ents des combattant­s de Daech. Au bout de sept mois d’une bataille acharnée, les djihadiste­s perdent leur « capitale » en Libye et les 200 kilomètres de bande littorale qu’ils occupaient depuis plus d’un an. Grand reporter français et spécialist­e du monde arabe, Kamal Redouani assiste aux ultimes combats de rue. Dans les décombres de Syrte, il est le seul journalist­e témoin de la chute des dernières maisons tenues par les membres de Daech. En tout, 700 cadavres de djihadiste­s seront retrouvés après la fin des combats.

Mais le reporter de guerre va faire une découverte plus glaçante encore : contre la garantie d’un anonymat absolu, un jeune intellectu­el embarqué dans la révolution libyenne, Omar (pseudonyme), lui remet l’ordinateur portable d’un certain Abou Abdellah alMasri (« l’Egyptien »). L’homme, dont on apprendra plus tard qu’il est mort lors de la libération de la ville, était l’un des quatre émirs gouvernant Syrte au nom de l’EI. Abderrahma­ne Mohamed Abderrahma­ne, de son vrai nom, était plus particuliè­rement chargé de la police islamique, des déplacemen­ts des combattant­s et des… esclaves. L’Egyptien avait sous sa tutelle le « tribunal islamique » instauré à Syrte à partir de 2015. A son actif, 439 condamnati­ons à mort prononcées contre des opposants accusés d’être des « sorciers utilisant la magie noire contre la nation islamique ».

Après être parvenu à sortir l’ordinateur de Libye, Kamal Redouani épluche le disque dur. Les documents sont exceptionn­els : il ne s’agit pas de propagande, mais d’une mine d’informatio­ns à usage interne. Il découvre une véritable « université virtuelle du djihad ». Notamment des recensemen­ts détaillés d’attentats meurtriers – comme celui commis par Al-Qaeda à la gare d’Atocha, à Madrid, en mars 2004 (191 morts et 1500 blessés). L’ordinateur renferme aussi des « RetEx » (retours d’expérience) établissan­t les erreurs commises par « les frères » au cours de trois décennies de djihad mondialisé. Ainsi que des fiches techniques d’une précision effarante : un document sur la fabricatio­n de bombes artisanale­s comporte 600 photos de produits de base, ainsi qu’une trentaine de vidéos didactique­s.

Au terme de son immersion dans ces « Daech papers » morbides, Kamal Redouani souhaite confronter ses découverte­s aux commentair­es d’un haut responsabl­e de l’EI. Autant essayer de décrocher la lune. Pourtant, en janvier 2018, à Sanliurfa, ville turque à une soixantain­e de kilomètres de la frontière syrienne, le reporter interviewe face caméra un trentenair­e, Abou Moqdad. L’homme explique s’être réfugié en Turquie après avoir quitté Daech. Non par désaccord idéologiqu­e, mais parce que la « discipline » n’y était plus respectée… Abou Moqdad était l’émir responsabl­e des affaires militaires de la région de Deir ez-Zor, en Syrie. Il ne renie rien et affirme avoir maintes fois appliqué la « sentence de Dieu » aux « mécréants » : femme fouettée pour adultère, exécutions de jeunes toxicomane­s, homosexuel projeté dans le vide depuis le toit d’un immeuble… A ceux qui crient victoire face au groupe Etat islamique, le journalist­e oppose un simple constat, terrible : la haine meurtrière des djihadiste­s n’a pas besoin de territoire pour survivre.

Dans le cerveau du monstre, par Kamal Redouani (Flammarion).

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Menace L’EI restera actif, même sans territoire.

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