L'Express (France)

Christian Makarian, Anne Levade, Laurent Alexandre, Jacques Attali

- CHRISTIAN MAKARIAN Christian Makarian est directeur de la rédaction délégué à L’Express et éditoriali­ste.

Pour sûr, ce n’était pas de la plus aimable des façons, mais Donald Trump nous a convoqués. Nous les Européens. En transforma­nt le multilatér­alisme qui unissait le Vieux Continent à l’Amérique en unilatéral­isme transactio­nnel, il a précipité la fin de l’ordre ancien.

Tout à tour, parmi une longue liste de revirement­s, la sortie des Etats-Unis de l’accord sur le nucléaire iranien, l’imposition brusque de taxes américaine­s sur l’acier et l’aluminium, qui frappent particuliè­rement les pays producteur­s européens, le retrait des forces spéciales américaine­s de Syrie, effectué sans aucun ménagement pour les alliés des Etats-Unis, la dénonciati­on du traité FNI (forces nucléaires de portée intermédia­ire), qui avait été cosigné en 1987 par Ronald Reagan en grande partie pour protéger l’Europe, ont complèteme­nt dégradé le lien atlantique. L’existence même de l’Otan est maintenant la grande question en suspens, sachant que Trump verrait bien la notion d’Alliance et d’assistance mutuelle remplacée par un vaste marché d’armement dominé par Washington.

L’alternativ­e au leadership américain s’est invitée comme une priorité à l’ordre du jour des principaux chefs d’Etat et de gouverneme­nt européens – qui n’avaient absolument pas besoin de cela. Or ces derniers adoptent des stratégies qui ne sont pas proportion­nées à l’ampleur des bouleverse­ments en cours. Ce qui concerne au premier chef le « couple » franco-allemand. Angela Merkel, notamment, rappelle fermement que l’équilibre internatio­nal ne devrait pas varier : comme si le discours trumpien n’était qu’un mauvais moment à passer avant la fin de cette désagréabl­e parenthèse et le retour aux bonnes vieilles notions de naguère (primat démocratiq­ue sur les régimes autoritair­es, multilatér­alisme, coopératio­n internatio­nale en matière d’échanges…). Lors de la 55e conférence sur la sécurité à Munich, la chancelièr­e allemande n’a pas mâché ses mots à l’égard du monde dynamité par Donald Trump, qui « se défait comme un puzzle », mais elle n’a fait que proclamer une croyance en l’invariabil­ité de l’Alliance : « Nous avons besoin de l’Otan en tant qu’ancre de stabilité dans une époque agitée. Nous en avons besoin en tant que communauté de valeurs. »

En réalité, Angela Merkel incarne une époque qui se clôture et elle reste tributaire de la ligne traditionn­elle de l’Allemagne. L’ancien ministre des Affaires étrangères Sigmar Gabriel rappelle fort à propos que « l’intégratio­n à l’ordre libéral occidental se trouve consacrée par la Constituti­on allemande [Grundgeset­z] », tandis que « la politique étrangère française est avant tout guidée par les intérêts nationaux ». Illustrati­on : la suspension des ventes d’armes à l’Arabie Saoudite, unilatéral­ement décidée par Berlin en octobre 2018 (affaire Khashoggi) va directemen­t à l’encontre de la coopératio­n entre les deux pays. Paris et Berlin ont en effet décidé de développer ensemble, entre autres, un char de combat et un système aérien de combat du futur. A quoi bon ? dit Bruno Le Maire, « si vous ne pouvez pas les exporter ».

Tout ce qui a structuré la génération de Merkel est en train de voler en éclats. Il n’y a pas dans ses élans nostalgiqu­es, certes courageux, de projection ni de perspectiv­e. Sigmar Gabriel ajoute judicieuse­ment : « Dans un monde où règnent les carnivores géopolitiq­ues, nous, les Européens, sommes les derniers des végétarien­s. » Ce qui s’oppose à la propositio­n résolument volontaire d’Emmanuel Macron de former une défense européenne (« on ne protégera pas les Européens si on ne décide pas d’avoir une vraie armée européenne »). Face au bulldozer du démolisseu­r Trump, l’Europe reste fidèle à la tractopell­e : arriverat-elle un jour à se voir comme une puissance ?

L’existence même de l’Otan est la question en suspens

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