DES DIEUX ET DES INUTILES : FAISONS MENTIR HARARI
La vision du monde futur de Yuval Noah Harari dans Homo deus est un cauchemar politique, qu’il résume de façon atroce : « Gods and useless. » Des dieux tout-puissants, maîtres des intelligences artificielles, et des « inutiles » ne comprenant pas la nouvelle économie du savoir et qui seraient bénéficiaires du revenu universel jusqu’à leur mort. Il faut, bien sûr, tout faire pour empêcher la création d’une aristocratie de l’intelligence manipulant les « inutiles » de Harari.
Mais, derrière ces bons sentiments, la réalité est tragique : en 2019, il n’existe toujours aucune technologie éducative pour réduire significativement les inégalités intellectuelles. Jean-Michel Blanquer a courageusement testé une baisse importante des effectifs d’écoliers pour permettre un enseignement plus personnalisé. Le dédoublement des classes de CP en zones difficiles dites REP+ a bénéficié à 60 000 enfants au cours de l’année 2017-2018. L’évaluation a porté sur 15 000 élèves répartis dans 408 écoles, avec l’aide de chercheurs internationalement reconnus. On a comparé des écoliers de REP+ appartenant à des classes dédoublées avec d’autres élèves de REP+ qui n’ont pas bénéficié du dédoublement, au début et à la fin de l’année 2017-2018, en français et en mathématiques. Sur les 60 000 enfants scolarisés en CP REP+, 40 % étaient en très grande difficulté en mathématiques et en français. Le dédoublement des classes de CP a permis de baisser la proportion d’élèves REP+ en très grande difficulté de 40 à 34 % en mathématiques et de 40 à 37 % pour lefrançais. Sur les24000écoliers en très grande difficulté, il y en a 3 000 de moins en mathématiques et 2000 en français. L’impact du dédoublement n’est pas nul, mais est bien faible et inférieur à celui des expériences internationales. On observe un gain de 0,08 écarttype en français et de 0,13 écart-type en mathématiques, en faveur des élèves de REP+ dédoublés, par rapport au groupe témoin : il faudrait gagner 10 fois plus pour réduire de façon significative les inégalités cognitives. Les études étrangères obtiennent un gain moyen supérieur, mais qui reste limité. Il est essentiel de comprendre pourquoi cette mesure marche moins bien en France qu’à l’étranger. Les élèves français en difficulté sont-ils culturellement, sociologiquement ou neurogénétiquement différents ? Les blocages syndicaux à l’Education nationale ont-ils freiné les améliorations pédagogiques? Est-ce juste lié à la jeunesse du dispositif ?
Pour faire progresser plus manifestement les élèves, le dédoublement doit s’accompagner d’améliorations pédagogiques. Cela ne sera pas facile : l’étude américaine « The Mirage » a montré que la formation continue des maîtres donne des résultats franchement médiocres sur le niveau des élèves… Le dédoublement des classes – dont le coût est énorme – a rendu la situation un tout petit peu moins dramatique, mais ses bénéficiaires ne sont toujours pas armés pour s’intégrer dans l’économie de demain. N’oublions pas que ces enfants seront encore sur le marché du travail en 2070 !
Même pour les 10 % d’élèves qui ont progressé, passer de « très grande difficulté » à « grande difficulté », est-ce la promesse d’une compétitivité face aux intelligences artificielles de 2070? Non! Il va falloir d’immenses efforts pour aller plus loin. Si nous n’investissons pas massivement dans la recherche en pédagogie, Harari aura malheureusement raison : l’apartheid intellectuel sera, en 2040, la conséquence de notre lâcheté de 2019. La France possède de grands spécialistes des sciences de l’éducation, comme Franck Ramus à Normale sup. Nous devons les mobiliser pour faire mentir Harari.
Investissons massivement dans la recherche en pédagogie