L'Express (France)

Le pire du milieu (et de la fin)

- LE CHOIX CINÉ D’ÉRIC LIBIOT

Jia Zhang-ke est un cinéaste chinois, chouchou de la critique bien mise et des festivals. Son truc, c’est de raconter la Chine d’hier et d’aujourd’hui; mais surtout celle d’hier en écho à celle d’aujourd’hui. Voyez le truc. Entre fiction et docu, romanesque et social, amour et politique, révolution culturelle et appétence occidental­e. Et pourquoi pas tradition et modernité, pour faire dans le débat touristiqu­e tarte à la crème? C’est également le cas. Jia Zhang-ke est un auteur, un vrai, qui regarde le monde et son pays. Il le fait d’ailleurs avec talent. Parfois. Pas toujours. Mais il le fait en gardant le même cap : ses films sont racontés n’importe comment. C’est sans doute ce qui plaît. De la même façon que, dans les années 1950, le western plaisait à un public européen, qui avait peu l’occasion de rencontrer un cheval au coin du boulevard Vincent-Auriol. Ou un saloon rue Jean-Jaurès. L’exotisme et le folklore servent parfois d’écran de fumée, et il est facile de tomber en extase devant ces univers, si loin et si proches en même temps.

J’exagère. D’accord. Jia Zhang-ke, ce n’est pas rien. Still Life était formidable, 24 City impression­nant de rigueur, mais Platform se poussait un peu du coude, The World était ridicule, et Au-delà les montagnes passableme­nt ennuyeux. Pourtant, le gars récolte lauriers et applaudiss­ements, comme s’il réalisait à chaque fois Le Cuirassé Potemkine, Citizen Kane et La Règle du jeu. La critique bien mise est souvent incapable de mesurer son jugement dès lors qu’elle s’est agenouillé­e en transe devant un cinéaste, surtout s’il habite loin et parle étranger.

Les Eternels n’échappent pas à la règle de l’encensemen­t galopant – sa présentati­on en compétitio­n à Cannes a électrisé les plumes, celles qu’on tient dans la main en tout cas. De quoi est-il question? C’est une histoire d’amour : Qiao aime Bin, un chef de la pègre de Datong (c’est local); elle le protège et va en prison à sa place, il se barre; cinq ans plus tard, elle le retrouve, il lui dit non et se barre ; dix ans plus tard, elle fricote avec la pègre, il revient parce qu’il l’a toujours aimée ; et qu’est-ce qu’elle dit ? Oui, il y a des beaux moments de cinéma, surtout quand Jia Zhang-ke raconte la Chine d’un oeil de documentar­iste (ce qu’il est aussi). Mais, dès qu’il se penche sur son intrigue, il se casse la gueule. Convenu et bordélique. Finalement agaçant.

LES ÉTERNELS DE JIA ZHANG-KE. 2 H 15. 10/20

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France