“Tous les éléments de la réussite étaient réunis : la notoriété de Stéphane, la puissance de frappe de M6 et notre savoir-faire”
Présent dans 290 villes françaises, le réseau immobilier lancé il y a quatre ans par Stéphane Plaza fait un carton. Enquête sur un ovni.
Il a vingt bonnes minutes de retard. Une habitude à en croire son attachée de presse, qui a visiblement cessé de s’agacer des fantaisies de l’agent immobilier préféré des Français. On l’attend dans son agence du XIe arrondissement de Paris, la première du nom, qu’il a lui-même ouverte en mai 2015. Un espace lumineux, façon loft, à la décoration tendance – fauteuils club, carreaux de ciment au sol, écrans plats au mur, verrière. Le voilà qui arrive enfin, tout sourire. Il vous claque la bise et se met à vous tutoyer sans autre formalité. Stéphane fait du Plaza. « J’étais sur le plateau des Grosses
Têtes, chez RTL », s’excuse-t-il, avant de se jeter sur le canapé. Le quadra jongle non sans mal avec un agenda de ministre. Depuis trois mois, il enchaîne les tournages pour Recherche appartement ou maison et Maison à vendre, ses programmes phares diffusés sur M6 ; il enregistre aussi deux nouvelles émissions de décoration, programmées en prime time dès mars sur la même chaîne. « C’est fatigant. Mais là, je vais me calmer. Je vais surtout consacrer plus de temps à ma franchise », promet-il, retrouvant instinctivement son sérieux dès qu’il s’agit de parler business.
DEUX ANS POUR TROUVER LES BONS PARTENAIRES
« Cette idée, elle vient de moi, je réfléchissais à un projet dans l’immobilier depuis longtemps », assure-t-il, comme pour rétablir une vérité presque oubliée. Avant de devenir l’animateur vedette de M6, Stéphane Plaza a en effet passé vingt ans à vendre des biens pour le compte de grands réseaux et de cabinets. Il a même été « general manager » de 10 agences du groupe ERA. Galvanisé par son succès à la télévision, il a, depuis, fait un pas de géant dans l’immobilier. Aujourd’hui, cet autodidacte a sous sa responsabilité 413 franchisés, à la tête d’agences qui portent son nom, dans 290 villes de France. Il n’entend pas s’arrêter là. Même si le marché ralentit, il vise 500 agences d’ici à 2020.
Gonflé, mais pas impossible ! Son réseau casse l’image de la profession, l’une des plus décriées de France. Avec ses blagues potaches et ses gaffes à répétition sur le petit écran, Stéphane Plaza a rendu le métier sympathique. Ses agences surfent sur cette image, et les clients en redemandent. « Les modes de consommation ont changé, nous ne sommes plus dans l’immobilier d’autrefois. Stéphane, c’est un peu le médecin de famille, il est proche des gens. Il a été le premier à comprendre et à anticiper cela », explique Bernard de Crémiers, l’un de ses associés, et le véritable patron opérationnel de l’enseigne. Certains de ses concurrents reconnaissent d’ailleurs qu’il fait du bien à la profession, et donc au business. Laurent Vimont, président de Century 21, a été l’un des premiers à l’admettre. « Il m’a appelé pour me féliciter. On se parle souvent depuis », confie non sans fierté l’animateur.
Tout commence en 2013. « J’ai proposé à M6 d’ouvrir un réseau. Je savais que le groupe se diversifiait », raconte Stéphane Plaza. Malin : la chaîne peut lui offrir une visibilité inespérée en matraquant des spots de pub sur ses écrans. Les tractations durent presque deux ans, le temps de trouver les bons partenaires. « J’ai vu plusieurs associés potentiels. Jusqu’à rencontrer PatrickMichel Khider et Bernard de Crémiers. Ça a tout de suite matché entre nous. » Les deux hommes sont des pros de l’immobilier, ils ont créé ensemble le réseau Laforêt, en 1987, l’année où le jeune Plaza faisait ses premiers pas dans le secteur. Ils en ont fait un champion national, comptant jusqu’à 750 agences. Poussés vers la sortie en 2010, eux aussi sont alors à l’affût d’opportunités. « Nous avions l’expérience de la franchise, nous connaissions parfaitement le métier et nous voulions faire quelque chose de nouveau, qui dépoussière le marché », raconte Bernard de Crémiers. Patrick-Michel Khider, son comparse et ami de trentecinq ans, renchérit : « Les planètes étaient parfaitement alignées, tous les éléments de la réussite étaient réunis : la notoriété de Stéphane, la puissance de frappe de M6 et notre savoir-faire. » Le trio tope là et le projet – ambitieux – prend forme en 2015.
« SANS M6, ILS NE SERAIENT RIEN »
M6 met 1,6 million d’euros sur la table, pour 49 % du capital de la tête de réseau, et le tandem Khider-Crémiers investit 800 000 euros (la moitié chacun), soit 25,5 % du capital. Stéphane Plaza, lui, ne débourse pas un centime : il échange son image et son nom, valorisés à 800 000 euros, contre le reste des actions. « Oui, j’ai vendu mon nom! Et alors? » se défend-il, faisant écho aux mauvaises langues – notamment Orpi –, qui lui ont reproché d’être sous perfusion de M6. Sur un marché hyperconcurrentiel, l’arrivée des premières licences Stéphane Plaza Immobilier n’a pas fait que des heureux.
« L’emballage est beau, mais ça s’arrête là. La boîte est vide », critique vertement un professionnel du secteur, qui n’a pas vu d’un très bon oeil l’ouverture d’une agence Plaza dans son quartier. Et un autre d’ajouter : « Sans M6, ils ne seraient rien. Attendons le jour où il y aura un conflit d’intérêts, tout s’effondrera. » Cette volée de bois vert, Brigitte Vallée, franchisée à Mantes-la-Jolie, l’a prise en pleine figure quand elle s’est installée en 2016. « J’ai reçu des menaces. On m’a dit
Son réseau casse l’image de la profession, l’une des plus décriées de France
que je ne tiendrais pas un an, que je finirais au tribunal. » Ancienne salariée d’un groupe pétrolier, elle a depuis fait taire ses détracteurs : « J’ai travaillé dur, mon affaire est dans le top 3 des agences en activité sur Mantesla-Jolie. Nous faisons désormais partie du décor et sommes reconnus par nos pairs. »
ENTRE 70 ET 80 DOSSIERS DE CANDIDATURE PAR MOIS
Non seulement la franchise Plaza détonne dans le paysage et bouscule le marché, mais elle va vite, très vite : 100 ouvertures par an, soit deux à trois par semaine ! Au dire d’experts, c’est beaucoup, voire trop. Les intéressés s’en défendent. « Nous avons la capacité, financière et structurelle, de mailler tout le territoire, dans des villes de 40 000 habitants. Si le taux de rotation du parc immobilier est inférieur à 3 %, on n’y va pas. On préfère ne pas ouvrir plutôt que d’ouvrir mal », assure Cyril Parmentier, responsable développement du réseau. Sage précaution à l’heure de la désertification des commerces dans le centre des petites villes, mais qui n’empêche toutefois pas les déconvenues. Deux agences ont ainsi baissé le rideau, à Vichy et à Compiègne, faute d’un marché suffisant. « On s’est loupés, reconnaît Stéphane Plaza, mais deux fermetures sur 400, on n’est pas si mauvais. »
Avec 50 transactions en moyenne par an et par agence pour un chiffre d’affaires de 390 000 euros, les franchisés n’ont semble-t-il pas à se plaindre. Le réseau affiche, pour sa part, 100 millions de chiffre d’affaires, et un cumul de 13 500 ventes en 2018. « Je crois que nous sommes no 3 maintenant sur le marché », avance prudemment l’animateur. Une réserve bienvenue : en nombre d’agences, Orpi, Century 21, Laforêt et Guy Hoquet le distancent encore (voir ci-contre). D’où cette course aux ouvertures, qui ne décourage pas les candidats, au contraire : ils sont toujours aussi nombreux à postuler. « Nous recevons entre 70 et 80 dossiers par mois. Mais nous sommes davantage dans la recherche de bons franchisés que dans le développement à tout prix. Seule 1 candidature sur 8 est retenue », tempère Cyril Parmentier. Les groupies, les curieux et les opportunistes peuvent passer leur chemin. Le réseau privilégie des profils humbles, triés sur le volet après une batterie de tests de personnalité. « On
ne veut pas des clones, mais ils doivent posséder de 20 à 30 % du savoir-être de Stéphane », poursuit Bernard de Crémiers. Sens de l’humour recommandé ! Parmi les franchisés actuels, 40 % sont d’anciens agents immobiliers indépendants, 30 % d’exconseillers dans l’immobilier, et 30 % des néophytes en reconversion. Tous, bien sûr, croient dans le potentiel, la croissance et la pérennité de l’enseigne. Et, surtout, dans la marque Plaza. Attention, toutefois : en cas de retournement (probable) du marché, seuls les agents les plus aguerris s’en sortiront, souligne un expert.
D’autant que la force du réseau est aussi sa faiblesse. La franchise s’est construite autour de l’image et de la notoriété d’un seul homme. Comment réagiront franchisés et clients si la figure de proue dérape ? Qu’adviendra-t-il une fois passée son heure de gloire ? Ou si M6 retire ses billes ? Stéphane Plaza garde la tête froide, lucide sur un possible retour à l’anonymat. « Je sais que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Mais la marque sera installée, et moi, je redeviendrai agent immobilier. » Consciente du risque, l’équipe dirigeante a tout balisé : le pacte d’actionnaires a prévu des assurances à cet effet, il impose même à Stéphane Plaza des visites médicales régulières. « J’ai 48 ans. Je fais hyper-attention, j’ai intérêt à être en pleine forme », lâche le Monsieur Immobilier de M6, qui est même devenu le héros d’une BD. Hygiène de vie irréprochable, quasi monacale… le succès a un prix.
Il n’empêche, le réseau cherche à se détacher peu à peu de l’empreinte de Stéphane Plaza. « On ne le voit plus que quatre secondes dans les pubs télé ! C’est volontaire, l’idée est de passer de l’image d’un homme à celle d’une marque, voire d’un label », annonce Bernard de Crémiers. L’évolution se fait en douceur. « C’est vrai, je ne vais pas à toutes les ouvertures comme au début. Mais je m’implique toujours dans les formations, les décisions, et sur le terrain. Quand je suis en tournage, j’en profite pour rencontrer les franchisés », revendique l’animateur. Bien que son contrat lui impose de consacrer entre quinze et vingt jours par an au réseau, il ne compte pas, d’après lui, ses heures. Brigitte Vallée, la franchisée de Mantes-la-Jolie, l’a croisé lors d’une tournée en décembre dans son coin. Elle a été convaincue : « Je l’ai trouvé très pro, mais surtout humain et simple. »
Stéphane Plaza est ainsi, à la fois fantasque et sérieux, opportuniste et généreux, prêt à vendre son image pour que d’autres profitent de sa bonne fortune. Mais il prévient : « Attention, il faut bosser, mon nom ne fait pas tout. Certains ont cru que c’était trop facile… » Il n’en dira pas plus. Il est debout, déjà absorbé par la perspective de son prochain rendezvous. « Je vais me déguiser en robot Transformer pour une de mes émissions. C’est drôle, non ? » Il a repris son ton d’animateur. Stéphane fait du Plaza. Sa meilleure carte.
Le réseau cherche à se détacher peu à peu de l’empreinte de Stéphane Plaza