Jean d’Orléans, prince sans rire
Si la monarchie devait être rétablie en France, c’est lui qui, selon toute probabilité, monterait sur le trône. Un statut séduisant sur le papier, beaucoup moins dans la réalité, car la vie des Orléans est tout sauf un long fleuve tranquille. A la veille
ÉPISODE 1
Où l’on découvre Jean, le nouveau prétendant orléaniste au trône, lors des funérailles de son père, le comte de Paris, mort un 21 janvier, comme un certain Louis XVI…
Dans un froid brouillard d’hiver, de fugaces baisemains et de délicates mantilles de dentelle noire dessinent une scénographie d’un autre temps. Le 2 février 2019, à 15 heures précises, s’ouvre devant une poignée d’invités triés sur le volet « la messe de requiem de Mgr le Comte de Paris, chef de la maison de France », selon l’appellation officielle. Comme le veut la tradition, les obsèques se déroulent à la lumière des grandes fenêtres ogivales de la chapelle royale de Dreux, un édifice néogothique transformé par le dernier « roi des Français », Louis-Philippe, en nécropole des princes et princesses de sa famille, les Orléans. Dans l’assistance, la densité de têtes couronnées au mètre carré affole les statistiques. Au hasard : Albert Ier de Monaco, la reine Sophie d’Espagne, l’impératrice Farah d’Iran, le grand-duc Georges de Russie, ou encore le prince héritier du Maroc. Placé à quelques mètres du catafalque, l’inévitable Stéphane Bern semble connaître tout le monde et volerait presque la vedette à cet aréopage prestigieux. La température est frigorifique. Si l’expression ne paraissait à ce point inappropriée dans une assemblée où foisonnent les patronymes à particules, on serait tenté de parler d’un froid de gueux.
Au moment où les officiants remontent l’allée centrale, s’élèvent les premiers chants entonnés par la maîtrise de Notre-Dame de Versailles, accompagnée des grandes orgues. Aube blanche, phrasé onctueux, Mgr Rey entame une homélie de haute tenue. « Nous sommes sur cette terre tout autant des passeurs que des passants », énonce le très conservateur et très brillant évêque de Fréjus-Toulon, un proche de la famille. Le
précepte vaut particulièrement pour cette dynastie à nulle autre pareille. Dame ! Tout le monde ne peut s’enorgueillir de compter dans sa généalogie la bagatelle de 39 rois de France, sans oublier une palanquée de monarques dispersée dans toutes les cours d’Europe ou presque. En tout, pas moins de 416 souverains et 4 empereurs, dont quelques-uns en exercice.
Au premier rang se tient Jean d’Orléans, 53 ans, taille haute, cheveux grisonnants, regard bleu vif. Depuis sa plus tendre enfance, l’homme sait qu’il sera un jour appelé à devenir le prétendant au trône, avec le titre honorifique de « comte de Paris », réservé au chef de famille du moment. Ce jour est arrivé. Sans doute songe-t-il en cet instant à ses deux modèles. Saint Louis, dont la piété a toujours inspiré ce fervent chrétien capable de réciter le Notre Père en latin. Et Henri IV, souverain populaire qui réussit en son temps à réconcilier un pays divisé.
A sa droite, sa femme, Philomena ; de l’autre côté de l’allée centrale, sa mère, née Marie-Thérèse de Wurtemberg. Mais c’est sa soeur Blanche que l’on remarque le plus. Handicapée mentale, elle multiplie les mouvements saccadés de la tête et du corps.
Un an plus tôt, ce sont les funérailles d’un autre membre de la fratrie que l’on célébrait ici même : François, souffrant de la même infirmité que sa soeur, et dont Jean s’est beaucoup occupé. « Je suis heureux d’avoir eu François pour frère et Blanche pour soeur, dit-il. A leur contact, on s’oublie un peu soi-même, et cela fait du bien. Ils nous aident à sortir de nos égoïsmes. » Nulle consanguinité, ici, contrairement à ce que susurrent de mauvaises langues républicaines : tous deux ont été les victimes indirectes de la toxoplasmose contractée par leur mère pendant ses grossesses. Singulier destin, décidément, que celui d’une lignée où la puissance la plus démesurée se mêle à la plus extrême fragilité.
Si incroyable que cela puisse paraître, il aura fallu de surcroît que le comte décède un 21 janvier, soit le même jour que Louis XVI. Ce matin-là, Henri s’apprêtait précisément à se rendre à la messe anniversaire du roi décapité quand il s’est senti mal. Prévenant, il a adressé un texto pour annoncer son absence avant de se recoucher. Il ne s’est jamais relevé et se serait éteint « apaisé », selon ses proches. L’homme, dit-on, a toujours été marqué par l’attitude de son ancêtre direct Philippe Egalité, qui avait voté la mort de son cousin avant de finir à son tour sur l’échafaud. En 2015, Henri a même rédigé une prière sur ce thème, qu’il a lue lors de la cérémonie que le petit milieu monarchiste célèbre chaque 21 janvier en l’église Saint-Germain-l’Auxerrois de Paris. Son message principal tenait en une prescription, aussi simple à énoncer que difficile à appliquer : « Il faut assumer l’Histoire tout entière. »
En 2019, on ne s’entre-tue plus dans la famille Orléans, mais les inimitiés et les ressentiments n’ont pas disparu, loin de là. D’où, sans doute, cette exhortation
de Mgr Rey : « La mort permet, dans un travail de deuil, de comprendre le défunt, de revivre sa vie, de s’avouer notre reconnaissance, peut-être aussi de se pardonner mutuellement à distance. » Une invite qui semblait s’adresser particulièrement à Jean.
ÉPISODE 2
Où l’on se rend compte que, depuis sa naissance, Jean, l’héritier des rois de France, a toujours cru mener la vie d’un citoyen ordinaire. Sans jamais y parvenir P eut-on mener une vie normale quand les hasards de la destinée vous ont désigné comme le prétendant au trône de France? « Mais oui ! » assure Jean d’Orléans, avec, au choix, une touchante naïveté ou une confondante absence de lucidité. Car la réponse est évidemment non. De fait, l’existence d’un Orléans est « extraordinaire », au sens premier du terme, et cela commence dès le baptême. Le jour de la cérémonie, on frotte les lèvres du royal marmot avec une gousse d’ail et quelques gouttes de jurançon, un vin doux béarnais. Une tradition venue d’Henri IV et supposée instruire le bambin. En substance : la vie est faite autant d’amertume que de douceur !
Cela continue pendant l’enfance. Certes, le jeune Jean vit quelques années (« heureuses », dit-il) dans un village de Haute-Savoie où il côtoie des gamins ordinaires, joue au foot et conduit même des tracteurs. Mais, à l’école, tout change : ce pays dont on lui décrit la géographie, il le dirigera peut-être un jour. Ces rois dont on lui raconte les hauts faits, ce sont ses ancêtres ! Et d’ailleurs, pas question pour lui d’user ses fonds de culotte sur les bancs de la communale. Direction, Passy-Buzenval, à Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine), un collège tenu par les Frères des écoles chrétiennes.
Cela se poursuit avec les études supérieures. « Par plaisir », assure-t-il, le jeune homme opte pour une maîtrise de philosophie politique et pour un MBA de gestion des entreprises à Los Angeles. « Par devoir », il complète son cursus avec une spécialité en droit des relations internationales.
Cela se traduit dans la vie de tous les jours. Jean ne dédaigne pas à ce qu’on l’appelle « Monseigneur » ou, à défaut, « Prince », pour « que cela reste décontracté » (sic). Quant à se contenter d’un simple « Monsieur », n’y pensez pas, « à moins que vous ne soyez un farouche républicain ».
Il faut compter aussi avec l’armée. Chez les Orléans, porter l’uniforme est l’occasion suprême de manifester son patriotisme, jusqu’au sacrifice ultime, parfois, comme son oncle François, mort à 25 ans pendant la