L'Express (France)

LES NAZIS, LE QI ET LA BONTÉ

- LAURENT ALEXANDRE Chirurgien, énarque, entreprene­ur, Laurent Alexandre est aujourd’hui business angel.

La mesure de l’intelligen­ce est un sujet éminemment politique et passionnel depuis longtemps. On imagine que l’Allemagne du IIIe Reich en était fanatique. En réalité, les tests de quotient intellectu­el (QI) y étaient quasiment interdits. Les dirigeants hitlériens craignaien­t que les juifs ne se servent de bons résultats aux tests pour accroître leur pouvoir et légitimer leur influence, notamment dans les domaines scientifiq­ue et universita­ire. Deux auteurs allemands, Friedrich Becker et Erich Jaensch, expliquaie­nt, en 1938, que la mesure de l’intelligen­ce serait un instrument de la « juiverie » pour fortifier son hégémonie. Staline bloqua pour sa part les travaux d’Alexander Luria sur les capacités intellectu­elles pour éviter que les « bourgeois » s’en servent comme outil politique.

En France, Pierre Bourdieu, notamment, dans un article intitulé « Le racisme de l’intelligen­ce », expliqua également qu’il fallait refuser la mesure de l’intelligen­ce et bloquer les études sur l’origine des différence­s de capacités cognitives. Selon lui, les résultats de ces études permettrai­ent à la classe dominante de justifier ses privilèges du fait de ses meilleures capacités intellectu­elles. Le QI est donc un vieux tabou de l’extrême gauche à l’extrême droite !

Fils de juifs émigrés d’Autriche, Gustave M. Gilbert devient psychologu­e militaire au cours de la Seconde Guerre mondiale. Germanopho­ne, il est envoyé à Nuremberg en 1945 et officie en tant que psychologu­e de la prison pour les détenus jugés comme criminels de guerre. Il devint le confident de Wilhelm Keitel, Hermann Göring, Joachim von Ribbentrop… en passant sous silence dans un premier temps le fait qu’il était juif. La plupart des bourreaux nazis refusèrent de lui parler quand il leur avoua la « vérité ». Gilbert

participa au procès de Nuremberg en tant que psychologu­e en chef de l’armée américaine. Il publiera son expérience dans Nuremberg Diary, en 1947, dans lequel il raconte en détail ses entretiens avec les nazis en s’affranchis­sant du secret profession­nel, lequel concerne aussi les psychologu­es et interdit normalemen­t de révéler le contenu des entretiens. On a d’ailleurs reproché à Gilbert de traiter les criminels de guerre mis à sa dispositio­n comme des souris de laboratoir­e.

Lors de ce procès, les psychologu­es ont pu mesurer le QI de tous les tortionnai­res nazis, à l’exception de Hitler, Himmler et Goebbels, qui s’étaient suicidés (Göring a été testé avant son suicide, survenu au cours du procès, dans sa cellule). Tous avaient des QI supérieurs à la moyenne et beaucoup étaient surdoués, ce qui bouleversa les psychologu­es américains. Gilbert rappelle à cette occasion que le QI n’est qu’une évaluation de « l’efficience mécanique de l’esprit, et n’a rien à voir avec le caractère et les valeurs morales ». Les chefs nazis étaient, pour la plupart, très intelligen­ts, ce qui les a rendus encore plus dangereux. Le QI prédit, relativeme­nt, bien de multiples aspects de notre vie sociale, profession­nelle et intellectu­elle, à quelques exceptions près.

Les grands joueurs d’échecs, par exemple, ont en moyenne des QI relativeme­nt modestes. L’influence du QI sur la sécurité routière se révèle choquante : les hauts QI ont trois fois moins d’accidents mortels de la route (50 pour 10 000 conducteur­s) que les bas QI (147 pour 10 000) ! Ce qui est logique : la chercheuse Linda Gottfredso­n fait remarquer qu’un haut QI est associé à de bons réflexes et à une bonne capacité d’anticipati­on des risques…

Le QI joue donc un rôle important dans notre destin, mais les psychologu­es de Nuremberg nous ont appris qu’il ne prédit ni la bonté, ni la compassion, ni l’altruisme.

La mesure de l’intelligen­ce est un vieux tabou et un sujet politique

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