L'Express (France)

POUR EN FINIR AVEC LA RETRAITE

- JACQUES ATTALI Ecrivain, auteur de nombreux romans et essais, Jacques Attali est président de la fondation Positive Planet.

Le débat sur les retraites en France va bien plus loin que celui, en cours, sur la nécessaire harmonisat­ion des régimes spéciaux ; il porte sur un problème infiniment plus vaste, qu’on ne pourra pas éternellem­ent éluder, celui de l’augmentati­on de l’âge moyen dans le monde.

Partout sur la planète, en effet (sauf désormais aux Etats-Unis), l’espérance de vie continue d’augmenter à grande vitesse, grâce à la réduction de la mortalité infantile, l’améliorati­on générale des conditions de vie et d’alimentati­on, et l’efficacité croissante des systèmes de santé. En France, en particulie­r, elle augmente de deux mois et demi à trois mois par an depuis quarante ans ; et elle est aujourd’hui de dix ans supérieure à ce qu’elle était en 1981, quand l’âge de la retraite fut fixé à 60 ans (ce qui revient à dire que, avant cette réforme, l’âge de la retraite était équivalent à ce qu’il serait s’il était fixé aujourd’hui à 75 ans !)

Comme, en plus, la natalité s’effondre presque partout, les plus âgés sont désormais majoritair­es et pourraient exiger de recevoir des retraites de plus en plus élevées, pendant des périodes de plus en plus longues, au détriment de ceux qui travaillen­t et de ceux qui se forment. Au lieu de financer l’avenir, on financerai­t ainsi surtout le passé, pour le plus grand malheur des sociétés.

Cela ne peut pas durer ; on ne pourra pas à la fois maintenir le niveau des cotisation­s, le montant des pensions et l’âge du départ à la retraite. Certaines de ces variables devront évoluer. Augmenter les cotisation­s retraite, qu’elles soient privées ou publiques, ne sera sûrement pas accepté, à un moment où les impôts et les charges atteignent des niveaux records. Baisser le niveau des retraites n’est pas non plus possible, sauf, peut-être, pour les très hauts revenus, qui se sont déjà constitué un capital.

Augmenter le nombre de migrants, pour qu’ils financent nos retraites par leur travail, est encore moins possible : pour maintenir le ratio actuel entre les cotisants (adultes de 20 à 60 ans) et les pensionnés (personnes de plus de 60 ans), il faudrait, en effet, selon un rapport des Nations unies de 2001, accueillir en France, chaque année, 1,1 million de nouveaux migrants; c’est d’autant plus absurde que ces migrants deviendron­t un jour des retraités et qu’il faudrait

donc en faire venir de plus en plus pour financer les retraites de leurs prédécesse­urs !

Reste l’allongemen­t de la durée du travail. Elle est inévitable et la France n’y échappera pas, sauf évidemment ceux effectuant un travail pénible, qui devraient même pouvoir partir plus tôt qu’aujourd’hui. On pourrait, par exemple, décider que, tous les cinq ans, on augmente automatiqu­ement la durée du travail du tiers de l’augmentati­on de l’espérance de vie pendant la même période.

C’est de cela qu’il faudrait commencer à débattre aujourd’hui, car ce ne sera pas un choix facile. Et les opinions publiques n’y sont pas prêtes. Ce sera encore plus difficile dans les pays émergents, qui vont vieillir avant d’avoir pu mettre en place des systèmes de retraites, quasiment inexistant­s en Afrique, embryonnai­res en Inde, en Chine et en Asie du Sud.

Il faudra même aller plus loin. Comme la médecine démontre qu’une activité valorisant­e est nécessaire à la santé, il faudra créer les conditions pour que ceux qui quitteront (avec une retraite décente, un corps et un esprit en bonne forme) leur dernier travail rémunéré contribuen­t encore à la société, dans leur propre intérêt. Et, pour cela, il faudra les inciter, y compris financière­ment, à participer, plus encore qu’ils ne le font, à la vie civique et associativ­e, et à inventer de nouveaux métiers d’accompagne­ment et de transmissi­on.

Enfin, on peut rêver à un monde où le travail sera devenu si passionnan­t, si libre et libérateur, que beaucoup de gens, compétents et utiles, ne voudront plus prendre leur retraite, au-delà même de l’âge légal. Une toute autre organisati­on de la société se mettra alors en place. Elle commence. Si l’on s’y prépare bien, cela peut être formidable­ment libérateur pour tous.

L’allongemen­t de la durée du travail est inévitable en France

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