« Le destin en décidera »
Hélène Carrère d’Encausse s’explique sur son rôle de secrétaire perpétuel. Et sur son avenir…
Comment expliquez-vous les trois élections blanches successives de ces derniers mois au fauteuil de Michel Déon ?
Hélène Carrère d’Encausse Il y a des moments où les choses se bloquent, à l’Académie. C’est d’ailleurs un phénomène courant. Par le passé, on assistait parfois à des échanges de voix lors de deux élections simultanées : on pouvait voter pour le candidat d’un autre académicien à l’une et, en retour, cet académicien pouvait voter pour votre candidat à l’autre
– des majorités se dégageaient de la sorte. Aujourd’hui, ces tactiques électorales n’ont plus cours.
Votre rôle de secrétaire perpétuel n’est-il pas justement d’essayer de faire émerger des majorités ?
H. C. E. A l’Académie française, tous les membres sont égaux. Au fauteuil de Michel Déon, nous avons assisté à des duels entre des candidats de grande valeur, qui ont fini par s’annuler les uns les autres. Le problème, c’est que nos statuts nous interdisent formellement de commenter les mérites d’un candidat en séance et de prononcer le moindre mot entre les différents tours d’une élection. Dans ces conditions, si chacun campe sur ses positions, la situation reste bloquée.
N’avez-vous donc aucun pouvoir sur les élections ?
H. C. E. Je peux dissuader un candidat de se présenter à tel ou tel fauteuil lorsque ce n’est pas le moment opportun. Mais chacun demeure libre de sa décision. Le déjeuner des membres de la commission du dictionnaire, chaque jeudi, ou des réunions ad hoc peuvent fournir l’occasion de lancer des noms. C’est ainsi que les candidatures de Jean Clair et d’Alain Finkielkraut ont émergé.
Vous avez été désignée secrétaire perpétuel voilà près de vingt ans. Songez-vous à passer la main, comme l’ont fait vos trois prédécesseurs directs ?
H. C. E. Les cas de mes prédécesseurs sont sensiblement différents. Maurice Genevoix, grand blessé de la Première Guerre mondiale, a démissionné pour se consacrer de nouveau à son oeuvre. Jean Mistler était atteint de la maladie d’Alzheimer. Quant à Maurice Druon, inquiet pour sa santé, il a renoncé à sa fonction en 2000 tout en partageant avec moi certaines charges durant deux ans.
Le dernier secrétaire perpétuel à avoir exercé cette fonction aussi longtemps que vous est Abel-François Villemain, élu en 1834…
H. C. E. En ce qui me concerne, le destin en décidera. Il y a un certain nombre de choses que je voudrais mener à bien : la Cour des comptes s’apprête à contrôler à nouveau l’Académie et la neuvième édition de notre dictionnaire devrait bientôt être achevée.
Le récent rapport de l’Académie sur la féminisation des noms de métiers et de fonctions a beaucoup fait parler…
H. C. E. Aujourd’hui, le débat n’est plus uniquement grammatical. Il s’est déplacé sur le terrain des usages, linguistiques et sociaux.
Nous avons constaté certaines évolutions de la langue – ainsi, par exemple, « la ministre » est couramment employé –, mais nous n’avons émis aucune recommandation.
Pourquoi avoir mis le dictionnaire de l’Académie en ligne depuis quelques semaines ?
H. C. E. Nous voulons mettre à la disposition du public, partout dans le monde, ce merveilleux outil. Notre dictionnaire constitue un observatoire privilégié de l’histoire des mentalités. Prenez par exemple le mot « femme » : en lisant sa définition au fil de nos neuf éditions, on mesure l’évolution de la société française.
Qui aimeriez-vous bien voir élu un jour à l’Académie ?
H. C. E. J’aurais beaucoup aimé qu’Amélie Nothomb nous rejoigne, mais elle fait déjà partie de l’Académie royale de Belgique. Je trouverais aussi important qu’un écrivain venu du Maghreb soit élu. De même, un auteur africain aurait aujourd’hui toute sa place Quai Conti. Enfin, j’aimerais beaucoup que Michel Houellebecq se présente. Mais je ne crois pas que cela soit d’actualité.