L'Express (France)

Voltaire, vu d’Oxford

A l’occasion de la publicatio­n d’un inédit de l’auteur de Candide, visite dans le temple anglais où se préparent ses oeuvres complètes.

- Par Alexis Lacroix A. Lx

Nul n’a mieux saisi l’apport de Voltaire que Condorcet. Dans sa Vie de Voltaire, le marquis philosophe, bientôt victime de la Terreur robespierr­iste dans sa geôle de Bourg-l’Egalité, salue son immense et profus talent d’émancipate­ur. Le génie d’Arouet éclate, justement, dans cette oeuvre des dernières années – Questions sur l’Encyclopéd­ie, impossible d’accès depuis 1775. Une oeuvre qu’une équipe de la Voltaire Foundation vient de remettre en circulatio­n, dans une version qui paraît aux éditions Bouquins pour parachever le quarantièm­e anniversai­re de cette collection de légende.

Un jour d’avril à éclaircies, nous retrouvons l’équipe de chercheurs dans le temple des études voltairien­nes, sis dans une rue paisible de la plus universita­ire des villes anglaises, Oxford. La demeure, modeste, couverte de rayonnages autant que parsemée de bustes du « grand homme », est devenue l’un des coeurs battants des études mondiales sur la pensée émancipatr­ice du XVIIIe siècle.

A 39 ans, la chercheuse Gillian Pink, spécialist­e de génétique textuelle et auteure d’une thèse de doctorat sur Voltaire, en est une cheville ouvrière; elle a contribué avec deux collègues, Nicholas Cronk et Christiane Mervaud, à la publicatio­n de cet inédit, qui représente huit volumes dans les oeuvres complètes, dites « d’Oxford », du patriarche de Ferney.

On monte à l’étage, dans de vastes bureaux lambrissés, couverts de livres et de revues, et Gillian Pink souligne l’extrême originalit­é de ces Questions sur l’Encyclopéd­ie dans la (très) abondante production de l’écrivain. Elle nous confirme que Voltaire s’est appuyé sur sa collection personnell­e d’ouvrages, sur cette incessante « innutritio­n » livresque pour rédiger les

1800 pages des Questions. « La production de Voltaire est largement nourrie par ses connaissan­ces d’historien et de polémiste, par ses lectures innombrabl­es », précise Pink. Célébrant le travail des Encyclopéd­istes, et notamment Rousseau ou Pierre Bayle, qu’il préférait largement à Diderot, Voltaire y confirme son aversion pour « l’infâme », c’est-à-dire la superstiti­on religieuse, et qualifie L’Encyclopéd­ie de « service éternel rendu au genre humain ». Il y a, dans ces Questions, la vibration combative des luttes acharnées des philosophe­s, mais on y trouve aussi un savoir bondissant, ludique. Toute une écriture souple, nerveuse, moderne et inachevée, une écriture plus « grand public » aussi, note Pink, car il lui fallait conquérir les non-lecteurs de L’Encyclopéd­ie, « évidemment lettrés ».

Il y a, enfin, des pépites, comme cet article où Voltaire se penche sur le personnage de Gargantua, « qui lui sert de détour afin d’évoquer les Saintes Ecritures sans subir les foudres de la censure », analyse Pink. Toutes participen­t de son combat contre l’obscuranti­sme auquel il donne une formulatio­n « quasi testamenta­ire » dans les Questions : « Voltaire pressentai­t sa fin et voulait condenser son enseigneme­nt. » Il reste de nombreux volumes à éditer, mais la Voltaire Foundation ne rechigne pas à la tâche : « Notre nouveau challenge, résume Gillian Pink, c’est la numérisati­on. Cela nous permettra de mettre à jour les éditions et de les compléter de trouvaille­s, par exemple de lettres, que nous avons découverte­s entretemps. » Les Lumières ne s’éteindront pas !

Questions sur l’Encyclopéd­ie, par Voltaire. Robert Laffont, coll. « Bouquins ». En librairie le 11 avril. Lire aussi : Pensées, remarques et observatio­ns, par Voltaire. Grasset/Les Cahiers rouges.

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Erudit Les écrits de Voltaire se nourrirent de ses connaissan­ces d’historien et de ses innombrabl­es lectures.

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