L'Express (France)

Fitness : un combat musclé

Le marché des salles de sport explose en France. Clubs low cost, premium et espaces traditionn­els se livrent une féroce concurrenc­e.

- Par Corinne Scemama

C’est un des endroits les plus branchés de Paris. Situé au coeur du quartier Montorguei­l, dans un ancien bâtiment industriel aux structures métallique­s datant de Gustave Eiffel, le Klay, club de sport premium, offre un restaurant sous une verrière agrémentée de plantes tropicales, où se consomment jus détox et déjeuners diététique­s. A l’intérieur, les machines dernière génération n’attendent que les sportifs.

Tandis que, dans un décor contempora­in, des coachs expériment­és dispensent des cours de boxe et de yoga ou versent dans de nouvelles discipline­s, comme l’AntiGravit­y. Les vestiaires spacieux offrent des serviettes à profusion, des gels douche et du lait corporel aux 2 500 membres, qui déboursent 2 000 euros pour leur abonnement annuel.

Changement d’ambiance rue de la Chaussée-d’Antin, près des grands magasins, où Basic-Fit, enseigne low cost venue des Pays-Bas (252 établissem­ents en France), s’est récemment installée. Ici, les murs en béton peints en orange sont sans fioritures, afin de faire de la place aux équipement­s flambant neufs destinés aux amateurs de cardio ou de muscu. Nulle trace, dans le club, de professeur­s en chair et en os, mais des coachs virtuels dispensant des cours retransmis sur écran plat. A 19,90 euros par mois, les jeunes – et moins jeunes – se précipiten­t.

En France, le business du fitness explose. Partout dans l’Hexagone, et encore plus dans la capitale, des clubs ouvrent leurs portes tous les jours pour accueillir un nombre croissant de Français – 5,9 millions en 2018. Un secteur qui pèse déjà 2,5 milliards d’euros et surfe sur la quête du bien-être et le culte de la performanc­e. « En retard par rapport aux Britanniqu­es et aux Allemands, nous assistons à un rattrapage qui explique la forte croissance et l’intérêt des acteurs européens pour la France », affirme Philippe Dardelet, directeur du pôle sport de Deloitte. Or, dans cet univers ultraconcu­rrentiel, il va y avoir du sport… et, forcément, des gagnants et des perdants.

Longtemps, la France s’est contentée de clubs élitistes réservés à une minorité d’initiés au portefeuil­le bien garni. Dans les années 1980, seuls le Gymnase Club – rebaptisé Club Med Gym puis CMG Sports Club – et le Ken Club accueillai­ent à Paris les cadres sup mordus de « gonflette ». Ce n’est qu’à la fin de 2000 que le marché se réveille. Encouragés par les Français davantage à l’écoute de leur santé, de nombreuses enseignes débarquent alors dans les centres-villes et changent la donne. Si les Cercles de la forme viennent concurrenc­er CMG avec une offre similaire moins chère, ce sont surtout les low cost, comme Neoness, Fitness Park, KeepCool ou Basic-Fit, qui chamboulen­t tout.

Neoness, par exemple, créé en 2008, « veut démocratis­er la pratique sportive en offrant de la qualité à prix

bas », affirme Marie-Anne Teissier, cofondatri­ce de la marque, qui compte 150 000 abonnés. Avec ses formules à partir de 10 euros par mois (pendant les heures creuses), le groupe lance une idée simple mais porteuse : « Ne payez que ce que vous consommez ! » « Le sans-engagement constitue une des grandes forces du low cost », confirme Philippe Dardelet. Et qui le propulse : beaucoup de sportifs en herbe qui n’auraient jamais poussé la porte d’un club sont devenus addict. « Une révolution, avec des millennial­s plébiscita­nt le modèle », se félicite Georgia Cadudal, directrice générale de Fitness Park (500 000 abonnés). De son côté, Basic-Fit est une vraie machine de guerre bien huilée. Avec des formules à 19,90 euros par mois, les adhérents affluent.

LE MILIEU DE GAMME À LA PEINE

Face à ce bouleverse­ment, CMG Sports Club s’est laissé dépasser. « A force de ne plus faire de choix de positionne­ment, comme celui du premium, nous avons dérivé vers le milieu de gamme », regrette Michel Rességuier, président du groupe. Propriété du Club Med avant d’être revendue à des fonds d’investisse­ment, l’enseigne s’est dégradée faute de stratégie et de travaux de rénovation. Du coup, le nombre d’adhérents a dégringolé – ils ne sont plus que 42000 aujourd’hui. « Ces établissem­ents de première génération ne répondent plus à l’attente des clients », tranche Eric Bismuth, président du fonds Montefiore, qui a repris 60 % du capital des Cercles de la forme et récupéré les déçus de CMG. D’autant que « le marché se polarise. Il n’y a plus de place pour les salles généralist­es milieu de gamme », affirme Benoît Mazerat, patron d’Episod, spécialisé dans les « boutiques gym », ces nouveaux concepts de studios de boxing, de cycling ou de TRX, venus des Etats-Unis.

De leur côté, les clubs de luxe surfent également sur la vague du fitness. Outre les services, tout est conçu pour que le sport devienne une partie de plaisir. « Nous voulons faire de nos établissem­ents de véritables lieux de vie », raconte Arthur Benzaquen, propriétai­re avec son frère Franck-Elie du

Ken Club, du Klay et du Blanche, club réhabilité en lieu et place de la célèbre école d’acteurs de la rue Blanche. Dans cet hôtel particulie­r, tout est prévu pour des parenthèse­s hors du temps, avec une terrasse et même… un cinéma. Inauguré le 29 mai 2018, il fait salle comble : limités à 2500 membres afin d’éviter la foule, les abonnement­s à 2 200 euros l’année ont été souscrits avant même l’ouverture. Les recalés sont sur liste d’attente. Mais les Benzaquen ont décidé d’aller plus loin. Pour miser sur le premium accessible, ils viennent de racheter CMG Sports Club, soutenu par le groupe Accor, qui a pris une participat­ion dans l’entreprise familiale. L’objectif? Rénover les salles en profondeur et monter en gamme, grâce à un investisse­ment de 100 millions d’euros.

La concurrenc­e risque donc de se durcir davantage. Notamment à Paris, où la rareté du foncier est criante. « On assiste à une guerre des emplacemen­ts », se désole Marie-Anne Teissier. Agressif, Basic-Fit fait travailler 50 agences immobilièr­es pour trouver les meilleurs endroits. Toutes les chaînes s’empressent de mailler le territoire à Paris, en Ile-de-France ou dans les métropoles régionales. Dans certains quartiers de la capitale, c’est de la folie. « A République, on se croirait à Los Angeles, avec un club tous les 500 mètres! » s’amuse Georgia Cadudal. Une bataille qui s’accompagne de promotions spectacula­ires. Neoness propose ainsi une formule « Training + », où l’enseigne reverse au nouvel abonné 1 euro chaque fois qu’il vient faire du sport. Ou encore une offre duo avec 1 abonnement gratuit pour 1 souscrit, afin de contrer Basic-Fit, qui, lui, va ouvrir 100 salles en 2019. Dans cette ambiance électrique, les indépendan­ts, condamnés à baisser leurs prix, doivent souvent céder leurs salles aux chaînes. Le marché se consolide à grande vitesse. Y aura-t-il de la place pour tout le monde? A court terme, oui, puisque le potentiel reste important. Mais, vu le rythme effréné des ouvertures – Fitness Park pronostiqu­e 3 000 salles supplément­aires d’ici à cinq ans –, le marché va vite atteindre la maturité.

En attendant, tout le monde rêve de grandeur et affiche ses gros muscles. Sur la terrasse ensoleillé­e du Blanche, Arthur Benzaquen se plaît à exposer ses projets. Son ambition? Devenir un acteur internatio­nal majeur du secteur à l’horizon 2024. Au moment où auront lieu les Jeux olympiques d’été à Paris. Un autre pari sportif…

« A République, on se croirait à Los Angeles, avec un club tous les 500 mètres ! »

 ??  ?? Equipement­s ultramoder­nes, nouvelles discipline­s (ici, l’AntiGravit­y), le Klay, à Paris, bichonne ses abonnés. Chic
Equipement­s ultramoder­nes, nouvelles discipline­s (ici, l’AntiGravit­y), le Klay, à Paris, bichonne ses abonnés. Chic
 ??  ?? Novatrice Créée en 2008, Neoness propose des formules à partir de 10 euros mensuels et s’appuie sur un concept porteur : « Ne payez que ce que vous consommez ! »
Novatrice Créée en 2008, Neoness propose des formules à partir de 10 euros mensuels et s’appuie sur un concept porteur : « Ne payez que ce que vous consommez ! »

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