Le guide des arts et spectacles
Ouf. El Reino est un film espagnol, et ce qui y est montré n’a évidemment rien à voir avec ce qui se passe chez nous. Pensez donc : Manuel Lopez-Vidal, un homme politique d’envergure nationale bientôt nommé à la tête de son parti est impliqué dans une affaire de corruption, et plus il tente de sortir la tête de l’eau, plus il met le doigt dans un engrenage infernal (une image qui fait mal).
Pardon ? On me souffle dans l’oreillette que cette histoire n’a rien d’exclusivement ibérique et qu’elle pourrait se dérouler dans les couloirs de l’Assemblée nationale à Paris. Ah bon ? Au temps pour moi.
Cela dit, pas sûr que le cinéma tricolore soit capable d’une telle virtuosité scénaristique, mêlant thriller, suspense et politique. Il faut avoir une réelle appétence pour le genre, ce qui est le cas des Espagnols (le fantastique plus ou moins sanglant est une longue histoire culturelle chez eux), quand les Français se pincent le nez; dans le corpus, il y a eu notamment la plongée en apnée dans les couloirs ministériels (le très réussi Exercice du pouvoir) et les coulisses obscures des officines (le très raté Grand Jeu).
Finalement, El Reino ressemble plus sûrement à la série télé Baron noir. Les deux se placent d’autant plus sur le podium haut de gamme qu’ils collent au médium : Baron noir se développe sur la longueur pour décrire les rouages politiques et les chausses-trappes, El Reino joue la tension et la dramatisation ramassée (2h11) pour mêler le parcours d’un homme abandonné de tous devenu totalement parano et la force des systèmes (politique, judiciaire…) qui s’opposent à lui.
Peu importe que Lopez-Vidal (remarquable Antonio de la Torre, inquiétant, déterminé, perdu, roublard...), soit un héros ou pas. Peu importe qu’il ait tort ou raison (son statut trouble est une des qualités du film). Ce qui compte, en dehors du suspense d’une efficacité redoutable et, du coup, plaisant et spectaculaire, c’est de montrer comment les situations déterminent toujours un comportement (bon ou mauvais).
Rodrigo Sorogoyen, sur qui il va falloir compter, avait réalisé le formidable Que Dios nos perdone, un polar suintant la noirceur qui éclairait les démons enfouis en chacun. Avec El
Reino, il fait exploser la machinerie intime. Remarquable. Avec la scène finale la plus surprenante de l’histoire du cinéma mondial (en gros). EL REINO DE RODRIGO SOROGOYEN. 2 H 11. EN SALLES LE 17 AVRIL. 17/20