COURRIER PAPIER, NUMÉRIQUE ET RELATION CLIENT : L’ÉTUDE QUI BOUSCULE LES IDÉES REÇUES.
Un message a-t-il le même impact en version papier et numérique ? Ces deux canaux sont-ils substituables ? Dans une enquête inédite, les sociologues d’Eranos analysent la “dématérialisation ” des échanges. Loin d’opposer les deux, ils distinguent leurs effets, ouvrant de nouvelles perspectives.
La “dématérialisation ”, le nouveau Graal ? Avec l’avènement du numérique, beaucoup d’entreprises ont choisi de
substituer, partout où c’est possible, les communications virtuelles au courrier papier. En partant d’un présupposé : qu’un même message peut être véhiculé indifféremment par le canal papier ou numérique, avec le même impact sur le récepteur. Ainsi, la dématérialisation n’aurait que des bénéfices : elle permettrait d’envoyer plus de messages, plus vite, à moindre coût... Mais ce présupposé est-il juste ? LE NUMÉRIQUE ET LE PAPIER SONT-ILS VRAIMENT SUBSTITUABLES ? Une récente étude du cabinet de conseil Eranos, fondé par des sociologues, vient déconstruire cette vision des choses. Elle remet en question l’idée de “dématérialisation”, analyse les effets du courrier papier et numérique sur celui qui le reçoit... et ouvre de nouvelles perspectives pour l’usage de ces deux canaux, complémentaires plutôt qu’opposés, dans la relation client. Pour réaliser cette étude, les consultants d’Eranos ONT PUISÉ DANS DES SOURCES NOMBREUSES ET VARIÉES, détaille Anthony Mahé, sociologue et directeur de la connaissance : “Des entretiens avec des individus, mais aussi des discussions avec des experts, designers, spécialistes de la communication, anthropologues... Sans oublier une veille sur les innovations numériques et l’étude de travaux d’artistes et de sociologues. ” PREMIÈRE CONCLUSION MAJEURE DE L’ÉTUDE : LA DÉMATÉRIALISATION... N’EXISTE PAS. Même un message numérique, lu sur un écran plutôt que sur papier, implique l’utilisation d’un dispositif physique (un smartphone par exemple), une action corporelle pour le consulter... Plutôt que de dématérialisation, estime Anthony Mahé, il faudrait parler d’une “nouvelle matérialité ”. Une question de mots, certes, mais loin d’être anodine : la ruée vers le numérique vient aussi du fait qu’il véhicule tout un “imaginaire de l’immatériel ”, que l’on associe à la fluidité, à la simplicité, à la gratuité... Sans réel fondement, donc. Mais s’ils sont tous deux matériels, CES DEUX CANAUX N’ONT PAS LES MÊMES EFFETS. C’est la deuxième idée forte de l’étude d’Eranos. Celle-ci définit en tout 13 effets possibles d’un message sur son récepteur. Certains sont caractéristiques du courrier papier. Par exemple, la ritualisation, qui renvoie au
“rituel ” de la boîte aux lettres : relever le courrier correspond à un moment précis et routinier du quotidien, où nous sommes pleinement concentrés sur cette tâche. Ce “contexte de réception ” particulier FAVORISE UN AUTRE EFFET, CELUI DE CONVICTION : le fait d’être réceptif et attentif au message reçu. À cela s’ajoutent des effets comme la considération, la reliance (se sentir relié au monde de l’expéditeur), la révélation (une vraie expérience de découverte du message, plus forte que sur un smartphone)... Le numérique, de son côté, provoque par exemple l’effet de synchronisation, lié à l’instantanéité des échanges. La conséquence de ces découvertes ? Un changement de posture total: PLUTÔT QUE D’OPPOSER LE PAPIER ET LE NUMÉRIQUE, ON VA LES VOIR COMME COMPLÉMENTAIRES. Chacun a son intérêt dans la communication, en fonction de l’effet recherché. S’il s’agit par exemple de faire passer un message urgent (opération commerciale express, alerte sur un compte à découvert...), alors le numérique sera plus pertinent. “S’il s’agit au contraire de transmettre un message important ou complexe, d’enrichir une relation client sur le long terme, DE SE DISTINGUER PARMI UNE FOULE D’AUTRES COMMUNICATIONS... ALORS MIEUX VAUT UTILISER UN SUPPORT PAPIER ”, note Yves Xemard, directeur de la Business Unit Courrier à La Poste. “Il ne suffit pas de marteler un message un maximum de fois pour qu’il soit audible, relève de son côté Anthony Mahé. Surtout quand ce message est noyé dans le flot des e-mails et notifications que nous recevons chaque jour et que nous consultons d’un oeil tout en faisant autre chose. Pour convaincre un client, il est plus pertinent DE TROUVER UNE “BULLE D’ATTENTION ”. POUR CELA, LE MÉDIA COURRIER EST LE PLUS EFFICACE. L’essentiel est donc d’anticiper l’effet que l’on recherche, de définir l’intention de la communication, puis de choisir le bon canal en fonction. ON PEUT AUSSI HYBRIDER CES CANAUX
POUR MAXIMISER LES EFFETS, en mixant le papier et le numérique : par exemple, envoyer un courrier premium à des clients ciblés au préalable grâce à une campagne web. Cette hybridation se retrouve aussi dans des nouveaux supports comme le papier connecté, qui renvoie grâce à une puce ou un scan par smartphone à un contenu numérique. Pour Yves Xemard, “le gros potentiel d’innovation pour l’avenir est là : dans l’hybridation. ”
“Il ne suffit pas de marteler un message, il faut trouver une “bulle d’attention ”