Les tables
Un vieux restaurant chinois reconverti en cantine « Asie-mutée » : c’est l’adresse la plus attendue du printemps !
Le buzz galope depuis le 24 mai 2018, date à laquelle Taku Sekine postait sur Instagram la photo d’une devanture de resto chinois un peu kitsch, avec ce commentaire : « Plaisir d’annoncer une nouvelle aventure, Cheval d’or ! » Taku, le cerveau nippon du spot culte Dersou (Paris, XIe) s’associe donc avec Florent Ciccoli, chef bistronome du Café du coin, ex-pilier des Bars populaires (les Pères populaires, Au passage, Bones…) pour miser sur un canasson qu’une famille d’origine sinovietnamienne montait depuis plus de quarante ans, à deux pas des ButtesChaumont… Drôle d’attelage, assez inédit pour déclencher l’hystérie !
Onze mois de travaux plus tard, on y est : la devanture n’a pas bougé,
mais dedans, il y a du mouvement ! Quelques heures après l’ouverture, les 30 couverts à table ont été réservés pour trois semaines, et il a fallu attendre un petit moment à côté du réfrigérateur vintage dans l’entrée pour décrocher l’un des 16 tabourets au bar (sans réservation). Autant dire qu’on a eu le temps de scanner en détail le décor signé Ciguë – splendide comptoir en sycomore, murs grattés, cuisine carrelée de blanc… – et de se bricoler quelques fantasmes sur les assiettes.
On se serait bien mis sous la dent, par exemple, quelques clins d’oeil habiles aux chips de crevette, riz cantonais, poulet aux noix de cajou et litchis au sirop que la France entière croque, depuis les années 1960,
dans ce qu’il est convenu d’appeler « le Chinois du coin ». Taku a préféré se lancer dans une bistronomie d’ici et d’Asie aux inspirations plus personnelles.
Certains plats de la carte (22 en tout!), en rodage, adoptent un pas prudent : le tofu frit, armé de sa sauce bang bang, manque d’un sérieux coup de fouet et le douchi (haricots de soja noirs fermentés de Taïwan) peine à condimenter la seiche crue au jaune d’oeuf. D’autres trottinent efficacement : le carpaccio de maigre s’épanouit dans une jolie sauce soja yuzu au piment vert et les bulots se laissent dépayser par un bouillon à base de shaoxing (vin de riz chinois), de sucre cassonade, de cannelle et de badiane (anis étoilé).
Et puis il y a ces quelques créations qui filent au triple galop vers des sommets d’émotion : le tartare de boeuf à assaisonner soi-même d’une divine sauce au tamarin, parfaite dans ses aigres-doux ; les nems à l’oignon, petits bijoux cassants au coeur confit à tremper dans une super sauce tomate-piment ; le poulet au cresson laqué d’une sauce aussi complexe que géniale au gingembre, épices douces, citronnelle, jasmin, poivre blanc…
Sans parler des baos, ces brioches vapeur servies dans leur panier en bambou. La version salée au char siu (porc mijoté dans une sauce sirupeuse) est aussi addictive qu’à Canton et la version sucrée, façon pain tout chaud garni d’une sauce custard blindée de jaune d’oeuf (pas loin de notre crème pâtissière) est un attentat à la pudeur. Voilà qui ne devrait pas faire retomber la pression sur le carnet de réservations…