L'Express (France)

Le style de… Jacques Weber

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Il a incarné Alceste, Dom Juan, Tartuffe, Cyrano de Bergerac, le comte de Monte-Cristo… Dans un livre sur la littératur­e, l’immense comédien Jacques Weber raconte la découverte des textes qui ont marqué son enfance et sa passion des mots. Il nous donne l’occasion de réfléchir avec lui sur le jeu théâtral et le style de l’acteur.

l’express Quel est votre style personnel ?

Jacques Weber La vitalité et la passion du jeu sont pour moi indissocia­bles du travail d’artisanat, où la voix et le corps sont des outils. J’espère avec le temps être devenu un bon artisan dans le métier que je pratique, toujours admiratif des grands monstres sacrés du théâtre ou du cinéma. Comme Pierre Brasseur, Jean Piat ou Gérard Philipe, qui est le style incarné, mélange d’élégance juvénile et de beauté insolite, possédé par le feu dramatique. L’art commence dans l’imitation, et au fur et à mesure que l’on travaille les rôles, il en sort autre chose.

Vers quoi doit tendre le style du comédien ?

Un acteur vit dans les mots. Il a un rapport musical et rythmique aux phrases qu’il prononce. Plus on avance, plus le style devient simple, moins extraverti, où les petits riens font tout. Le parcours vers le jeu théâtral est broussaill­eux, organique, fou, excessif. Puis, petit à petit, on élague et on enlève. Entre le trop et le vide, le mouvement va de l’expectorat­ion d’une expression libre vers ce « qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style », dit Flaubert, « comme la terre sans être soutenue se tient en l’air ». C’est le passage à une autre émotion.

Comment votre style a-t-il évolué ?

Très jeune, amoureux des textes, j’ai eu le coup de foudre pour le personnage d’Anselme qui, dans la scène 5 de l’acte V de L’Avare, avance avec cette réplique : « Qu’est-ce, seigneur Harpagon, je vous vois tout ému. » Un phrasé, un panache, avec le chapeau, les plumes! Puis je me suis tourné vers un style aérien, fragile, mélancoliq­ue, comme celui de La Dernière Bande, de Beckett. En se réécoutant dans les bandes qu’il a enregistré­es, Krapp récrée sa mémoire. Etrange décrépitud­e d’un vieux clown tragique, à la voix et à la gestuelle brisée.

Au cinéma, un style d’acteur vous a-t-il marqué plus qu’un autre ?

Dans une scène du Guépard, de Visconti, le prince de Salina – Burt Lancaster, avec son smoking, sa moustache et ses favoris – s’isole et se regarde dans la glace et l’on voit une larme couler le long de sa joue. C’est un des plus beaux plans du cinéma. Un monde et un homme s’éteignent en même temps. Quel style dans cette solitude désenchant­ée !

Quel est le style de votre livre L’Entrée des mots ?

A partir du moment où l’on traite d’un sujet personnel, ce qui est le cas dans ce livre, les souvenirs abondent, l’univers se reconstrui­t. Et le style vient de lui-même, dans une sorte de spontanéit­é. C’est comme cela que j’écris.

Qu’est-ce qui vous plaît dans le style des écrivains ?

La grandeur des poètes ou des romanciers, c’est de nous mener à l’universel par le détail ou l’allusion. Dans Choses vues, Victor Hugo évoque les pierres du théâtre du Vaudeville, détruit par un incendie. Sur ses ruines pousse une pâquerette, « petit soleil jaune aux rayons blancs ». Texte merveilleu­x. Ce qui me fascine dans le style des écrivains, c’est lorsqu’il vous ouvre « un abîme de rêverie », comme le dit encore Hugo. Cet émerveille­ment me trouble.

En vous sont réunis à la fois l’homme qui lit et l’homme qui joue ?

C’est vrai que se rejoignent le lecteur solitaire, dans un rapport intime et secret avec le texte, et l’acteur sur scène, qui partage son bonheur de jouer des rôles issus de chefs-d’oeuvre. Incarner les personnage­s d’Alexandre Dumas, de Dostoïevsk­i ou de Maupassant m’a fortement marqué. Quelle chance !

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LIVRE ◆ L’Entrée des mots. ed. de l’Observatoi­re, 144 p., 16 €.

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