« Les services secrets fouillent tout, on perquisitionne chez moi »
Situation rare : l’homme se présente seul aux prud’hommes de Paris. Après vingt-neuf ans de service dans une ambassade, Tristan* a été licencié pour faute grave et réclame près de 80 000 euros à son ex-employeur, dont
53 060 euros, soit 23 mois de salaire, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a congédié son avocate, car « elle a étudié [son] dossier au dernier moment », explique-t-il au président quelque peu surpris. L’homme travaillait
« sans anicroche » au service courrier, dans un open space, jusqu’au jour où il ouvre une enveloppe suspecte destinée aux services secrets. Il alerte immédiatement son supérieur qui lui dit de la remettre dans le circuit. Mais, le lendemain, rebelote.
Trois autres plis lui semblent douteux. « J’ai pris sur moi de les ouvrir, car mon chef n’était pas là. » Il les range dans un tiroir pour les lui montrer à son retour. Erreur fatale.
« S’il y a un problème de sécurité, le préposé doit en premier lieu normalement en référer à sa hiérarchie, explique l’avocate de l’ambassade. Deuxièmement, il a interdiction formelle d’ouvrir le courrier ou le colis suspect. Troisième phase : le donner aux services de sécurité. » En oubliant la procédure, Tristan s’est affranchi de toute prudence. L’employé est tombé dans le piège tendu. Il ignore qu’une enquête interne est en cours car des agents de l’ambassade ont signalé des disparitions de courrier
« à valeur sentimentale ou
juridique ». S’ensuit un épilogue ubuesque pour Tristan.
« Les services secrets fouillent tout, mettent le service en quarantaine. Ils me disent : “Reconnaissez que vous avez volé les enveloppes” et appellent la police française. Je suis placé en garde à vue. J’ai été menotté, on perquisitionne chez moi le lendemain et on ne trouve rien. C’est normal, puisque je n’ai rien volé, assure-t-il. J’ai juste ouvert des courriers comme je le fais habituellement. J’ai encore passé une nuit en prison puis j’ai été libéré. » Le président s’interroge à voix haute sur l’absence du chef le jour où les « lettres leurres » sont arrivées, et sur les différents lieux où transite le courrier. Gênée, l’avocate de l’employeur esquive. Elle explique que l’ambassade lui a retiré son accréditation et porté plainte pour vol, en correctionnelle. « J’ai dit à Mme le Juge que si j’avais voulu emporter les enveloppes, je l’aurais fait autrement », répond Tristan, qui a été condamné à payer 4 000 euros. « Pourquoi n’avez-vous pas fait appel du jugement ? » lui demande une conseillère. Tristan redoutait de perdre davantage en appel :
« Je me suis dit : “Je paie et on n’en parle plus.” » Les juges prud’homaux hésitent à alourdir la peine d’un homme aujourd’hui sans emploi, visiblement dépassé, et qui avoue avoir fait « une faute professionnelle ». Ils renvoient l’affaire devant le juge départiteur, un magistrat professionnel, qui entendra à nouveau les parties avant de prendre une décision.
* Le prénom a été changé.