L'Express (France)

PROPOSITIO­NS ANTILIBÉRA­LES D’UN LIBÉRAL POUR L’EUROPE

- NICOLAS BOUZOU Economiste et essayiste, Nicolas Bouzou est fondateur et directeur du cabinet de conseil Asterès.

Ce que ne comprennen­t pas encore les opinions publiques européenne­s (et leurs gouverneme­nts), c’est que le « grand remplaceme­nt » a déjà commencé. Et, bien avant d’être migratoire ou religieux, il est technologi­que et économique, ce qui doit nous obliger à mener des politiques industriel­les volontaris­tes. L’entreprene­ur et spécialist­e de l’économie numérique Nicolas

Colin suggère de considérer l’économie européenne comme étant la somme de deux parties : l’économie du XXe siècle (fordiste) et l’économie du XXIe siècle

(celle de la troisième révolution industriel­le et de la transition énergétiqu­e). En fait, la prospérité actuelle de l’Europe repose encore quasi totalement sur celle du XXe siècle. En revanche, dans les domaines du numérique, de la robotique et de l’intelligen­ce artificiel­le, notre continent est sous-développé. Il est l’équivalent de ce qu’on appelait autrefois le tiers-monde.

Notre retard par rapport aux Etats-Unis et à la Chine est tel qu’il légitime une nouvelle forme d’action publique. Laisser faire le marché, ce serait risquer de laisser l’Europe dériver vers une économie de sous-traitance, à faible valeur ajoutée, avec des emplois peu payés. Si l’on a de l’ambition pour notre continent, une politique industriel­le qui structure l’offre ou solvabilis­e la demande est indiquée pour pousser notre économie vers les segments les plus innovants de la chaîne de valeur mondiale.

La réglementa­tion européenne impose une réduction de 37 % des émissions de CO2 pour les voitures neuves d’ici à 2030. Les ventes de voitures électrique­s, qui représente­nt aujourd’hui moins de 1 % des achats, vont exploser. Or l’Asie bénéficie d’un quasi-monopole dans les batteries. Les Etats-Unis étant leader dans le numérique et l’intelligen­ce artificiel­le, le risque est grand qu’il ne nous reste que la production des appuis-tête. Il est

donc nécessaire de sécuriser nos approvisio­nnements en matières premières, au besoin en ouvrant des mines, comme le Portugal s’apprête à le faire, et de diriger l’épargne privée et l’argent public vers cet indispensa­ble « Airbus des batteries » que veulent constituer les gouverneme­nts français et allemand.

Dans le domaine spatial, l’Europe dispose déjà d’une filière : ArianeGrou­p construit des lanceurs; Arianespac­e les commercial­ise et les exploite. Mais la concurrenc­e est devenue incroyable­ment plus agressive en dix ans avec le succès de SpaceX et la montée de pays émergents comme l’Inde. Les acteurs institutio­nnels européens doivent donner plus de visibilité à Arianespac­e pour lui permettre de financer des innovation­s disruptive­s. 70 % des lancements SpaceX émanent de clients institutio­nnels comme l’Etat ou la Nasa, contre seulement 30 % en Europe. La politique industriel­le peut consister, comme dans le cas des batteries, à structurer une offre. Quand l’offre existe, elle peut solvabilis­er une partie de la demande. C’est ce qu’il faut faire pour le spatial ou les énergies décarbonée­s. Cette logique doit prévaloir pour l’Union européenne comme pour les Etats membres. J’apprenais récemment que, dans le cadre du prochain appel d’offres pour l’installati­on d’éoliennes en mer, secteur où l’industrie française est très performant­e, l’Etat souhaitait faire du prix de rachat de l’électricit­é son principal critère de décision, loin devant l’innovation. Considérer que la politique économique doit avoir pour seul objectif de tirer les coûts et les prix vers le bas est mortifère, surtout dans un secteur aussi technologi­quement complexe que l’éolien en mer. Dans dix ans, il ne faudra pas venir pleurniche­r sur l’emploi industriel évaporé.

Dans cette période de destructio­n créatrice hyperviole­nte, la puissance publique doit non pas construire des lignes Maginot, mais pousser l’investisse­ment. Privilégie­r l’avenir, pas le passé.

Quand l’offre existe, elle peut solvabilis­er une partie de la demande

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France