L'Express (France)

MARINE LE PEN ET L’INTELLIGEN­CE ARTIFICIEL­LE

- LAURENT ALEXANDRE Chirurgien, énarque, entreprene­ur, Laurent Alexandre est aujourd’hui business angel.

J’ai toujours eu un préjugé extrêmemen­t défavorabl­e à l’égard de Marine Le Pen, renforcé par le débat calamiteux avec le futur président Macron entre les deux tours de la présidenti­elle de 2017. Le libéral que je suis ne trouve pas son compte dans cette ligne politique. Pourtant, ayant eu l’occasion de discuter longuement de technologi­e avec la présidente du Rassemblem­ent national, j’ai découvert avec étonnement qu’elle s’intéresse de près aux nanotechno­logies, biotechnol­ogies, informatiq­ue et sciences cognitives (NBIC), et notamment à l’intelligen­ce artificiel­le (IA), et que sa réflexion est beaucoup plus sophistiqu­ée que je ne le pensais. Cela est logique, au fond : les électeurs populaires sont désormais au RN, puisque les Insoumis se sont centrés sur les fonctionna­ires et les profession­s protégées et subvention­nées comme les intermitte­nts du spectacle… Même si l’IA détruisait leurs jobs, les fonctionna­ires seraient payés à vie par l’Etat : la révolution technologi­que ne les menace pas vraiment. Les nouveaux « damnés de la terre », qui vont être secoués par le tsunami technologi­que, sont chez Marine Le Pen.

L’IA provoque de multiples secousses éthiques et philosophi­ques qui bousculent les dynamiques politiques. Elle fait l’objet d’une guerre technologi­que qui crée quelques gagnants et beaucoup de perdants. Elle donne un considérab­le avantage aux individus dotés d’une forte intelligen­ce conceptuel­le, et donc capables de comprendre le monde complexe qu’elle construit, ce qui attise le populisme. Elle engendre des inégalités explosives puisque nous entrons dans une économie de la

connaissan­ce qui a de moins en moins besoin de personnes moins douées et moins bien formées. Ces transforma­tions de notre modèle civilisati­onnel nourrissen­t une instabilit­é politique et sociale qui fragilise la démocratie. Puisque la démocratis­ation de l’intelligen­ce biologique est en retard sur l’industrial­isation de l’IA, beaucoup de gens risquent de devenir des naufragés intellectu­els. L’IA dévalorise à toute allure les savoir-faire existants. Le slogan « il faut, au XXIe siècle, changer de métier tous les cinq à sept ans pour s’adapter aux bouleverse­ments économique­s induits par l’IA » est terribleme­nt anxiogène pour les classes populaires et favorise les partis populistes. Les écarts entre la petite élite de l’IA – que l’on s’arrache sur le marché mondial des cerveaux – et le reste de la population nous mettent sur un toboggan populiste. On ne peut pas réfléchir au choc de l’IA sans considérer que Marine Le Pen représente ceux que nous avons abandonnés face au tsunami technologi­que, notamment en laissant pourrir l’école dans les zones défavorisé­es et communauta­risées et en laissant le « fromage » de la formation profession­nelle aux syndicats et au patronat ! Accepter sans réagir la vision du monde futur de Yuval Noah Harari, « des dieux tout-puissants, maîtres des intelligen­ces artificiel­les, et des inutiles, ne comprenant pas la nouvelle économie du savoir et qui seraient bénéficiai­res du revenu universel jusqu’à leur mort », conduirait à la victoire politique des populistes.

Accessoire­ment, nous avons eu tort de cacher à l’opinion l’échec du dédoubleme­nt des classes de CP en REP +. Si nous nous mentons à nous-mêmes, la crise sociale conduira à l’inéluctabl­e victoire des extrêmes. L’apartheid intellectu­el, qui se développe dans l’indifféren­ce totale des élites bien-pensantes, va multiplier les perdants de la révolution de l’IA et accélérer la montée de Marine Le Pen. En réalité, la diminution des inégalités intellectu­elles devrait être l’obsession des politicien­s. La classe politique doit s’interroger : est-il normal que Marine Le Pen soit, en ce printemps 2019, le chef de parti le plus avancé dans la réflexion sur les conséquenc­es sociales de l’IA ?

Les écarts engendrés par l’IA nous mettent sur un toboggan populiste

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