PAROLES D’ALGÉRIENS
En Algérie, la France est l’objet de toutes les attentions. Et inspire admiration et méfiance.
La France vue d’Algérie, c’est d’abord un regret. « Les Français ne nous connaissent pas. Ils ne s’intéressent pas à nous », explique Selma Djebbar, une jeune blogueuse algéroise sur le site Chouf-Chouf. C’est ensuite un constat. « En France, on ne sait pas comment aborder l’Algérie parce que l’on mélange tout. L’histoire, la colonisation, l’immigration et la religion », regrette Meziane Idjerouidène, président du fonds d’investissement Weaving et ancien patron de la compagnie aérienne Aigle Azur, qui travaille dans les deux pays.
Partagés entre culpabilité et colère, les Français ont refoulé cent trente ans d’histoire franco-algérienne dans leur inconscient national. Pas les Algériens. « La saga de la guerre d’indépendance gagnée contre les Français, nos gouvernants nous la rabâchent depuis soixante ans… trop souvent pour masquer leurs échecs, analyse, cinglante, Lydia Benkaidali, jeune chercheuse en biochimie récemment primée par la Fondation L’Oréal et l’Unesco. Nous sommes indépendants et tournés vers l’avenir. Nous voulons coopérer avec d’autres pays pour résoudre les problèmes algériens : le logement, le chômage et l’ennui de la jeunesse », poursuit la scientifique, qui rappelle que les Algériens entendent être reconnus pour ce qu’ils sont : un pays où 45 % de la population a moins de 25 ans et où 70 % des étudiants sont des femmes. Les témoignages recueillis parmi les membres de la diaspora algérienne ici rejoignent ceux de la jeunesse làbas, boulimique de réseaux sociaux.
Liberté, démocratie et richesse font de la France un modèle envié, au premier rang de ceux qui nourrissent les espoirs de développement de la société algérienne. « Les Français sont très appréciés en Algérie. Même les harkis qui reviennent sont désormais bien accueillis », assure Moundji Maoui, un avocat algérien installé à Paris. Pour les Algériens, le lien essentiel qui demeure avec la France, c’est la langue. « Le français nous ouvre les portes de l’international. Pas l’arabe, qui nous cantonne aux pays du Golfe », affirme une jeune femme qui a suivi ses études dans des écoles francophones algériennes.
LE RÊVE FRANÇAIS
« La France, d’un côté, on l’admire et, de l’autre, on s’en méfie », tempère le Franco-Algérien Farid Benlagha, producteur de spectacles qui travaille surtout en Algérie. Car la société civile algérienne ne se veut pas dupe des velléités interventionnistes de l’Etat français dans ses affaires intérieures. « Quand vous déstabilisez la Libye ou que vous intervenez au Mali, c’est nous qui devons gérer les menaces à nos frontières », s’insurge une étudiante. Dès le début des défilés contre le pouvoir, les pancartes « anti-Macron » ont surgi dans les rues d’Alger, où on le soupçonnait de voler une fois de plus au secours du vieux président. « Bouteflika s’est fait soigner au Val-de-Grâce, l’hôpital réservé aux militaires français. Cela en dit long sur ses appuis en France », lâche un habitant d’Oran. « La France corrompt nos oligarques. La preuve? Ils possèdent tous des appartements dans les plus beaux quartiers de Paris », renchérit Selma Djebbar, lucide sur l’accueil que réserve l’Hexagone au commun des mortels algérien qui souhaite s’y rendre. « On sait que vous ne voulez pas de nous, alors on regarde ailleurs. Le Canada pour les francophones, la Turquie ou les pays du Golfe pour les arabophones. » Une analyse nuancée par Farid Benlagha, qui raconte : « Récemment, le bruit a couru que l’Alliance française offrait quelques séjours d’études en France. Dans l’heure qui suivait, la rue a été bloquée par une interminable file d’attente. » A Alger, Paris fait toujours rêver. Montréal ou Dubaï aussi.