L'Express (France)

DES PATRONS SUR LEURS GARDES

Total s’est rabiboché avec le pouvoir algérien, mais les relations économique­s restent tendues entre Paris et Alger. Surtout, la France s’est fait damer le pion par la Chine comme premier fournisseu­r du pays.

- Par Béatrice Mathieu B. M.

C «omprenez-moi bien, il n’est pas question que le nom de l’entreprise apparaisse dans un dossier sur l’Algérie », nous répond sèchement un haut dirigeant d’un fleuron français qui a pignon sur rue à Alger. Il n’y a pas que sur le terrain de la géopolitiq­ue que les relations entre les deux pays sont minées. Sur le front du business aussi le climat est tendu. Dans les états-majors des grands groupes tricolores, un seul mot d’ordre : la discrétion. Au Medef, à Paris, un silence gêné fait suite à notre demande d’interview. Il faut dire que l’interlocut­eur préféré des patrons français était jusqu’à présent Ali Haddad, le président du patronat algérien, un proche du clan Bouteflika récemment arrêté et accusé de corruption et blanchimen­t d’argent. Il y a mieux comme carte de visite.

Reste que les intérêts économique­s entre les deux pays sont considérab­les. Le pétrole et le gaz représente­nt un peu plus des trois quarts des exportatio­ns algérienne­s vers l’Hexagone. Dans l’autre sens, près de 400 entreprise­s françaises – dont BNP Paribas, Société générale, Accor, Air liquide, Lafarge ou encore Danone et Renault – regroupent près de 40 000 salariés en Algérie, faisant de la France le premier employeur privé étranger du pays. Après une dizaine d’années de brouille, Total s’est rabiboché en avril 2017 avec la Sonatrach, la compagnie pétrolière et gazière nationale. Et

des investisse­ments à la pelle ont été lancés. Quant au géant de la pharmacie Sanofi, il a annoncé cet automne la constructi­on à Sidi Abdallah de la plus grosse usine de fabricatio­n de médicament­s d’Afrique. Montant du projet : 85 millions d’euros.

Voilà pour le vernis. Mais la froideur des statistiqu­es raconte une autre histoire. « En une quinzaine d’années, la part des produits français dans le total des importatio­ns algérienne­s a été divisée par deux, tombant à moins de 10 % l’an passé contre près de 25 % en 2004 », détaille Ruben Nizard, économiste de la Coface. Et derrière les annonces fracassant­es, les investisse­ments français dans le pays ont fondu.

Depuis 2009 et la chute des cours du pétrole, le pays s’est laissé aller à un protection­nisme ravageur : obligation de se « marier » avec un partenaire local majoritair­e pour s’installer sur place, interdicti­on d’importatio­n de milliers de produits étrangers et, depuis quelques mois, l’instaurati­on de droits de douane prohibitif­s afin de – soi-disant – protéger la production locale. Un inventaire à la Prévert ubuesque : 30 % de taxes supplément­aires sur le dentifrice, 50 % sur la viande, 70 % sur le roquefort ou le camembert… Seule solution : plier bagage ou fabriquer sur place. C’est ainsi que Renault et PSA ont construit des « usines tournevis », de simples unités d’assemblage de voitures à destinatio­n du marché algérien uniquement. Idem pour Alstom et le matériel ferroviair­e. « Le gouverneme­nt a imposé que les trams qui sortent de notre usine intègrent 30 % de pièces fabriquées localement », explique Raphaël Bernardell­i, le responsabl­e Afrique de l’entreprise. Or les soustraita­nts locaux ne sont pas toujours au rendezvous… « Ce cauchemar administra­tif a fait fuir bon nombre de PME », reconnaît Michel Bisac, le président de la chambre de commerce francoalgé­rienne.

A cela s’ajoute une corruption endémique, notamment pour toutes les commandes publiques. Alors que les règles « d’éthique » se sont durcies dans les grands groupes français, les Bouygues, Vinci ou Bolloré ont quitté le pays. Vinci aurait même refusé de s’aligner récemment sur un appel d’offres pour la constructi­on de gazoducs. De fait, tous les grands chantiers d’infrastruc­tures – ports, autoroutes, aéroports… – sont trustés par des groupes chinois, plus compétitif­s et surtout bien moins regardants sur l’origine des fonds ou les conditions de travail des salariés. En guise de remercieme­nts, Pékin a même offert à Alger la constructi­on du nouvel opéra. Sur les issues de secours, les inscriptio­ns sont en chinois…

 ??  ?? « Usine tournevis » L’unité d’assemblage Renault d’Oran produit des voitures pour le marché local.
« Usine tournevis » L’unité d’assemblage Renault d’Oran produit des voitures pour le marché local.

Newspapers in French

Newspapers from France