Le charbon se met au vert
Promises à la fermeture pour raisons écologiques, les centrales à charbon françaises cherchent à se reconvertir. A l’instar de celle de Cordemais, qui parie sur la biomasse. Un projet ambitieux.
C’était une promesse de campagne du président de la République : en 2022, toutes les centrales à charbon françaises devront fermer. Toutes ? Il n’en reste que quatre, et pourtant le gouvernement a revu sa copie. Selon sa dernière feuille de route, dévoilée en début d’année, seules celles chauffant « exclusivement au charbon » seront condamnées. Des mots savamment choisis pour ouvrir la porte… à des projets de reconversion. L’un d’eux a été présenté fin mars au sein de la plus grande centrale du genre, celle de Cordemais (Loire-Atlantique), capable d’alimenter en électricité 1 million de personnes.
A mi-chemin de Nantes et de SaintNazaire, le visiteur ne peut pas rater ses cheminées rouge et blanche hautes de 220 mètres, dressées le long de la Loire. Ici, pour ses chaudières âgées de 36 ans, l’opérateur EDF travaille discrètement depuis 2015 à une idée simple : remplacer le charbon par des déchets de bois. Pas n’importe lesquels : essentiellement des vieux meubles collectés et d’anciens bois de construction, ainsi que des branchages de jardin. C’est-à-dire une biomasse délaissée, un combustible inédit pour l’usine qui pourrait offrir un répit à ses 620 salariés et prestataires.
Mais impossible, techniquement, d’utiliser telle quelle une ressource aussi variée, même broyée. L’équipe a dû mettre au point un procédé de transformation en « charbon vert », baptisé Ecocombust, en construisant une nouvelle machine de 15 mètres de hauteur, faite de tubes et de cuves. Un démonstrateur qui dégage une surprenante odeur de torréfaction de café.
« Il s’agit d’une cocotte-minute industrielle, où la vapeur atteint plusieurs centaines de degrés, avec une recette qui demeure notre secret de fabrication, explique le responsable du projet, Philippe Le Bevillon. Avant de révéler son astuce : en une
seconde, on dépressurise brutalement le bois, dont les fibres explosent en laissant s’évaporer les molécules d’eau. » Dans un grand souffle sonore, cet éclatement transforme la matière pour la rendre plus friable, résistante à l’eau – ce qui facilite son stockage –, et particulièrement dense, augmentant son pouvoir chauffant pour atteindre « 75, voire 80 % », des capacités du charbon.
« Il existe un intérêt supplémentaire, souligne Nicolas Brosse, enseignant chercheur au Lermab, un laboratoire spécialiste du matériau bois (Inra/université de Lorraine) qui a contribué au projet. Ce procédé lave la biomasse de ses polluants. » Un atout indispensable pour traiter les bois d’ameublement et de construction, ceux que Ecocombust veut consommer en majorité puisqu’ils sont disponibles en grandes quantités. « En diversifiant la ressource, elle finit contaminée de colles et de produits de traitement, soit potentiellement d’azote et de métaux lourds, détaille le scientifique. Il faut être certain de la bonne gestion de ces polluants grâce à ce système. »
Le plus gros avantage environnemental est défendu par Lionel Olivier, l’ingénieur qui dirige le site depuis 2017 : « La biomasse se révèle particulièrement écologique, car son bilan carbone est neutre. » Une notion purement comptable, qui dépend énormément du combustible utilisé. Lorsqu’il brûle, le charbon libère son carbone sous forme de CO2, premier gaz responsable du réchauffement climatique. Résultat? Il ne produit que 1 % de l’électricité du pays et pollue
UNE COCOTTE-MINUTE QUI DÉGAGE UNE ODEUR DE TORRÉFACTION DE CAFÉ
autant que 4 millions de voitures. En revanche, les déchets de bois – qui émettent également du CO2 en se consumant – proviennent à l’origine d’une forêt qui a naturellement absorbé ce même gaz. Autrement dit, en théorie, il y a déjà eu une compensation de sa pollution atmosphérique.
« Mais brûler du bois n’est pas forcément vert. Tout dépend du laps de temps durant lequel il a gardé son carbone, nuance Nicolas Brosse. Si ce matériau a eu plusieurs vies, comme un meuble usé, alors il a bien joué son rôle de stockage. » Au-delà des émissions, l’exploitation de cette ressource suscite aussi des réserves sur le plan énergétique. « La biomasse est plutôt à privilégier pour produire la chaleur d’un réseau de chauffage urbain, où elle aura un meilleur rendement », fait remarquer Rémi Chabrillat, de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie. Une grande partie de l’énergie créée à Cordemais pour fabriquer de l’électricité est perdue (64 %), ce qui serait beaucoup moins le cas avec un simple système de chauffage (15 %). « Et encore, étant donné son éloignement des villes, l’exploitation de cette chaleur paraît difficile à envisager », avance l’expert, qui travaille avec EDF pour évaluer la viabilité d’Ecocombust. Enfin, l’approvisionnement en bois pourrait aussi noircir le bilan de l’opération. « Hors de question que nos camions sillonnent la France ou se fournissent en branchages à l’étranger », promet Eric Bret, directeur de la division thermique d’EDF. Il assure que toute la ressource brute (660 000 tonnes par an) se trouve à « 150 kilomètres à la ronde en moyenne ». Une façon pour l’énergéticien français de montrer qu’il a tiré les enseignements du projet d’Uniper, à Gardanne (Bouches-duRhône), qui importe du bois du Brésil.
Dernier argument en faveur de la reconversion de la centrale nantaise : elle fonctionnerait cinq fois moins souvent, en se limitant aux pics de consommation de la Bretagne, dont le fragile réseau électrique est éloigné des réacteurs nucléaires.
En attendant un possible feu vert des autorités à l’automne, les responsables d’EDF se montrent confiants dans ce nouveau principe, au point d’espérer le « transposer » dans la centrale à charbon du Havre (Seine-Maritime).
Pour autant, si Ecocombust est adopté, Cordemais n’abandonnera pas totalement le charbon en 2022… « C’est un compromis technologique : nous utiliserons 20 % de minerai pour 80 % de biomasse, afin que notre système actuel de dépollution des fumées reste efficace », précise Lionel Olivier. Il est décidément difficile de rompre des noces de charbon.