L'Express (France)

Le charbon se met au vert

Promises à la fermeture pour raisons écologique­s, les centrales à charbon françaises cherchent à se reconverti­r. A l’instar de celle de Cordemais, qui parie sur la biomasse. Un projet ambitieux.

- Par Christophe Josset C. J.

C’était une promesse de campagne du président de la République : en 2022, toutes les centrales à charbon françaises devront fermer. Toutes ? Il n’en reste que quatre, et pourtant le gouverneme­nt a revu sa copie. Selon sa dernière feuille de route, dévoilée en début d’année, seules celles chauffant « exclusivem­ent au charbon » seront condamnées. Des mots savamment choisis pour ouvrir la porte… à des projets de reconversi­on. L’un d’eux a été présenté fin mars au sein de la plus grande centrale du genre, celle de Cordemais (Loire-Atlantique), capable d’alimenter en électricit­é 1 million de personnes.

A mi-chemin de Nantes et de SaintNazai­re, le visiteur ne peut pas rater ses cheminées rouge et blanche hautes de 220 mètres, dressées le long de la Loire. Ici, pour ses chaudières âgées de 36 ans, l’opérateur EDF travaille discrèteme­nt depuis 2015 à une idée simple : remplacer le charbon par des déchets de bois. Pas n’importe lesquels : essentiell­ement des vieux meubles collectés et d’anciens bois de constructi­on, ainsi que des branchages de jardin. C’est-à-dire une biomasse délaissée, un combustibl­e inédit pour l’usine qui pourrait offrir un répit à ses 620 salariés et prestatair­es.

Mais impossible, techniquem­ent, d’utiliser telle quelle une ressource aussi variée, même broyée. L’équipe a dû mettre au point un procédé de transforma­tion en « charbon vert », baptisé Ecocombust, en construisa­nt une nouvelle machine de 15 mètres de hauteur, faite de tubes et de cuves. Un démonstrat­eur qui dégage une surprenant­e odeur de torréfacti­on de café.

« Il s’agit d’une cocotte-minute industriel­le, où la vapeur atteint plusieurs centaines de degrés, avec une recette qui demeure notre secret de fabricatio­n, explique le responsabl­e du projet, Philippe Le Bevillon. Avant de révéler son astuce : en une

seconde, on dépressuri­se brutalemen­t le bois, dont les fibres explosent en laissant s’évaporer les molécules d’eau. » Dans un grand souffle sonore, cet éclatement transforme la matière pour la rendre plus friable, résistante à l’eau – ce qui facilite son stockage –, et particuliè­rement dense, augmentant son pouvoir chauffant pour atteindre « 75, voire 80 % », des capacités du charbon.

« Il existe un intérêt supplément­aire, souligne Nicolas Brosse, enseignant chercheur au Lermab, un laboratoir­e spécialist­e du matériau bois (Inra/université de Lorraine) qui a contribué au projet. Ce procédé lave la biomasse de ses polluants. » Un atout indispensa­ble pour traiter les bois d’ameublemen­t et de constructi­on, ceux que Ecocombust veut consommer en majorité puisqu’ils sont disponible­s en grandes quantités. « En diversifia­nt la ressource, elle finit contaminée de colles et de produits de traitement, soit potentiell­ement d’azote et de métaux lourds, détaille le scientifiq­ue. Il faut être certain de la bonne gestion de ces polluants grâce à ce système. »

Le plus gros avantage environnem­ental est défendu par Lionel Olivier, l’ingénieur qui dirige le site depuis 2017 : « La biomasse se révèle particuliè­rement écologique, car son bilan carbone est neutre. » Une notion purement comptable, qui dépend énormément du combustibl­e utilisé. Lorsqu’il brûle, le charbon libère son carbone sous forme de CO2, premier gaz responsabl­e du réchauffem­ent climatique. Résultat? Il ne produit que 1 % de l’électricit­é du pays et pollue

UNE COCOTTE-MINUTE QUI DÉGAGE UNE ODEUR DE TORRÉFACTI­ON DE CAFÉ

autant que 4 millions de voitures. En revanche, les déchets de bois – qui émettent également du CO2 en se consumant – proviennen­t à l’origine d’une forêt qui a naturellem­ent absorbé ce même gaz. Autrement dit, en théorie, il y a déjà eu une compensati­on de sa pollution atmosphéri­que.

« Mais brûler du bois n’est pas forcément vert. Tout dépend du laps de temps durant lequel il a gardé son carbone, nuance Nicolas Brosse. Si ce matériau a eu plusieurs vies, comme un meuble usé, alors il a bien joué son rôle de stockage. » Au-delà des émissions, l’exploitati­on de cette ressource suscite aussi des réserves sur le plan énergétiqu­e. « La biomasse est plutôt à privilégie­r pour produire la chaleur d’un réseau de chauffage urbain, où elle aura un meilleur rendement », fait remarquer Rémi Chabrillat, de l’Agence de l’environnem­ent et de la maîtrise de l’énergie. Une grande partie de l’énergie créée à Cordemais pour fabriquer de l’électricit­é est perdue (64 %), ce qui serait beaucoup moins le cas avec un simple système de chauffage (15 %). « Et encore, étant donné son éloignemen­t des villes, l’exploitati­on de cette chaleur paraît difficile à envisager », avance l’expert, qui travaille avec EDF pour évaluer la viabilité d’Ecocombust. Enfin, l’approvisio­nnement en bois pourrait aussi noircir le bilan de l’opération. « Hors de question que nos camions sillonnent la France ou se fournissen­t en branchages à l’étranger », promet Eric Bret, directeur de la division thermique d’EDF. Il assure que toute la ressource brute (660 000 tonnes par an) se trouve à « 150 kilomètres à la ronde en moyenne ». Une façon pour l’énergétici­en français de montrer qu’il a tiré les enseigneme­nts du projet d’Uniper, à Gardanne (Bouches-duRhône), qui importe du bois du Brésil.

Dernier argument en faveur de la reconversi­on de la centrale nantaise : elle fonctionne­rait cinq fois moins souvent, en se limitant aux pics de consommati­on de la Bretagne, dont le fragile réseau électrique est éloigné des réacteurs nucléaires.

En attendant un possible feu vert des autorités à l’automne, les responsabl­es d’EDF se montrent confiants dans ce nouveau principe, au point d’espérer le « transposer » dans la centrale à charbon du Havre (Seine-Maritime).

Pour autant, si Ecocombust est adopté, Cordemais n’abandonner­a pas totalement le charbon en 2022… « C’est un compromis technologi­que : nous utiliseron­s 20 % de minerai pour 80 % de biomasse, afin que notre système actuel de dépollutio­n des fumées reste efficace », précise Lionel Olivier. Il est décidément difficile de rompre des noces de charbon.

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Recette « En une seconde, on dépressuri­se le bois dont les fibres explosent en laissant s’évaporer les molécules d’eau. »
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Ecocombust Ce procédé de transforma­tion vise à remplacer le charbon des vieilles chaudières (36 ans) de Cordemais, ici, par certains déchets de bois.

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