L'Express (France)

Le Roi Lear revisité

- LE LIVRE DE LA SEMAINE M. P.

Comment résumer une vie en accéléré? Pour Edward St Aubyn, on pourrait énoncer : né en janvier 1960, en Cornouaill­es, dans l’une des plus vieilles familles aristocrat­iques du royaume ; violé, dès l’âge de 5 ans, par son chirurgien de père ; élève de la très sélecte Westminste­r School puis à Oxford, où il s’adonne à l’héroïne; entame une psychothér­apie à 25 ans ; publie, de 1992 à 2011, cinq romans en partie autobiogra­phiques (dont Le Goût de la mère, prix Femina étranger 2007), adaptés par David Nicholls, avec Benedict Cumberbatc­h, dans Patrick Melrose, formidable mini-série actuelleme­nt diffusée sur Canal +. Bref, St Aubyn, décrit par l’écrivain Alan Hollinghur­st comme le « plus brillant romancier anglais de sa génération » ne pouvait s’infiltrer qu’avec bonheur dans le « Projet Shakespear­e » (transposit­ion romanesque de pièces du dramaturge) de la maison d’édition Hogarth.

Expert en familles déréglées et en sombres jeux de pouvoir, St Aubyn a jeté son dévolu sur Le Roi Lear. Son Lear, c’est Henry Dunbar, 81 ans, un nabab canadien des médias. Abigail et Megan, ses deux filles aînées, sont les Goneril et Regan de la pièce, deux monstres élevés par un père qui, on le comprend vite, ne fut pas un enfant de choeur. Prêtes

à tout pour régner sur l’empire familial, elles le font interner à l’insu de Florence, leur demi-soeur, dans une clinique anglaise, aidées du Dr Bob, avec qui elles forment, au passage, un « ménage à trois » (en français dans le texte). Megan est psychopath­e et nymphomane ; quant à Abigail, elle est « la plupart du temps amorale, parfois morale par convention et souvent immorale par opportunis­me ».

Après que Dunbar, bien décidé à récupérer sa fortune et à la léguer à Florence, s’enfuit de son sanatorium en compagnie de Peter, un comédien alcoolique, commence une chasse à l’homme dans des montagnes enneigées du côté de Manchester. Qui, de Florence ou des deux félonnes, mettra la main sur le père ? Multiplian­t les clins d’oeil à l’Othello de Welles, à Richard II (« Je ne suis pas né pour débattre mais pour commander ») ou à Machiavel, l’auteur jongle avec les trahisons, duperies et autres gracieuset­és, illustrant à merveille une maxime de son cru : « Laisse tes amis s’éloigner à leur guise, mais sois proche de tes ennemis. » Revigorant !

 ??  ??
 ??  ?? DUNBAR ET SES FILLES PAR EDWARD St AuByN, tRAD. DE L’ANGLAiS PAR DAviD FAuQuEMBER­G. GRASSEt, 288 P., 20 €. 16/20
DUNBAR ET SES FILLES PAR EDWARD St AuByN, tRAD. DE L’ANGLAiS PAR DAviD FAuQuEMBER­G. GRASSEt, 288 P., 20 €. 16/20

Newspapers in French

Newspapers from France