L'Express (France)

UN JARDIN AU DÉSERT

- S. B.

pAR CARIne FeRnAnDez. LeS eSCALeS, 336 p., 19,90 €. 16/20

pas si évident de planter une fiction au coeur de l’Arabie saoudite sans sombrer dans les clichés. A moins d’y avoir vécu, comme Carine Fernandez. Vingt-cinq ans de bourlingue l’ont menée du Liban aux etats-Unis, de l’egypte au royaume saoudien, où elle a passé douze ans. Une géhenne, selon ses propres termes, dont elle s’est échappée pour établir ses pénates en France. Mais on ne se défait pas d’un claquement de doigts du Moyen-Orient, ses sables crissent dans la mémoire. elle les a déversés dans plusieurs romans et les édifie maintenant en dunes mouvantes dans Un jardin au désert. Le vieux et richissime Talal cristallis­e les contradict­ions d’un pays engoncé dans une culture d’un autre siècle, tandis que le printemps arabe tambourine à sa porte en ce début des années 2010. Croyant sans excès de zèle, effaré par la radicalisa­tion de l’un de ses trois fils, enchanté par les démangeais­ons libertaire­s de Dahlia, sa petite-fille adorée, Talal Bahahmar a eu dix épouses d’origines différente­s, répudiées une fois son désir émoussé. La dernière lui casse les savates et la première veille sur sa mère dans le palais qu’il lui a offert, près de Riyad. Retiré dans une masure pour savourer les odeurs de la terre, le patriarche s’entiche de son jardinier égyptien. Rezak est jeune, beau, rieur, érudit et possède l’art de remettre la mosquée au milieu du village. Le vieillard voit en lui le rejeton idéal qu’il n’a pas eu et, de retour en sa vaste demeure, l’impose à sa famille. Un va-nu-pieds à la table des cheiks en blanc, faut-il que Talal soit maboul. Les fistons légitimes régurgiten­t leur bile, le père se marre. Sa malice n’a d’égale que sa lucidité, galvanisée par Rezak et Dahlia. Des ombres gigotent chez les Bahahmar, des morts pleurés en secret, une gamine kidnappée qui figure sur la liste des personnes recherchée­s par Interpol, des zélateurs hypocrites d’une religion obscuranti­ste et des étrangères privées de leurs enfants. Carine Fernandez les claque sur les marbres et les tapis précieux, dans le contre-jour de la révolution égyptienne. L’oeil acéré et moqueur, elle regarde cette tribu dorée sur tranche se débattre avec ses faux-semblants, la tendresse en coin pour les anciens avides de sérénité et les benjamins affamés de liberté. A ceux-là il est possible que le désert accorde des jardins.

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