Fricassée au polar
Cette semaine, un peu de bouillonnement raisonné plus qu’un lâcher de neurones critiques. La disruption appliquée à la chronique cinéma. Le point de départ est le nouveau film de Brillante Mendoza, Alpha : The Right to Kill, qui suit au quotidien la lutte de la police de Manille contre les trafiquants de drogue et s’appuie sur une opération de police et ses conséquences en suivant un flic et son indic, un petit dealer. Cinéaste prolifique et souvent passionnant, Mendoza a depuis longtemps exploré les frontières entre fiction réaliste et documentaire dramatisé (John John, son premier longmétrage, est sorti en France en 2008), s’appuyant beaucoup sur des intrigues polars pour raconter la société philippine, ses arrière-cours et ses dérives. Alpha : The Right to Kill ne déroge pas à la règle, qui brode avec brio autour de l’enquête, du cercle familial, de la vie de la rue. Une heure trentequatre au compteur. Ramassé, tendu.
Sur un sujet proche développé en série, on peut penser à ce que fit le génial David Simon avec Sur écoute (The Wire), meilleur feuilleton (policier) de tous les temps en cinq saisons, diffusé en France à partir de 2002. Depuis, les séries plus ou moins noires, plus ou moins polardeuses, ont proliféré sur les petits écrans de partout (Suède, Etats-Unis, Israël, Allemagne, Australie…), jusqu’à assécher le cinéma, qui permettait souvent à des réalisateurs en herbe de se faire les dents sur le genre.
On peut se demander aujourd’hui comment le cinéma va pouvoir reprendre la main – entre La Casa de papel (Espagne) et Broadchurch (Grande-Bretagne), par exemple, la qualité est du côté de la télé, qui pousse, c’est une lapalissade, à développer récit et personnages. Les intrigues ne se réinventant pas si facilement (meurtre/enquête), le cinéma doit explorer deux voies s’il veut se maintenir à flot dans un genre toujours populaire : trouver de nouveaux systèmes de production et de distribution (un film en deux parties, des suites aux sorties très rapprochées…) et, surtout, remettre le scénario à l’honneur. Il faut qu’il visse tous les boulons et que les péripéties collent à la durée du film. Alpha : The Right to Kill s’en rapproche, El Reino, en salles cette semaine (voir L’Express du 10 avril 2019), est un exemple parfait. Il est aussi possible de revoir Assurance sur la mort, de Billy Wilder (1944). Dans le genre, cinéma et cinéma, on n’a jamais fait mieux.
ALPHA : THE RIGHT TO KILL
DE BRILLANTE MENDOZA. 1 H 34. 15/20