L'Express (France)

Nasser al-Khelaïfi sait que, en tribunes, le moindre faux pas, la moindre faute de goût de sa part seraient perçus comme dommageabl­es pour le Qatar

- Par Clément Fayol

Mis en examen par la justice française, loin du compte en Ligue des champions, qu’il s’est juré de remporter, le président du PSG, Nasser al-Khelaïfi, accuse le coup sans dévier de sa mission : servir le Qatar, son pays, et l’émir Tamim al-Thani, son ami.

ÉPISODE 1

POURQUOI LE PRÉSIDENT QATARIEN DU PARIS SAINT-GERMAIN RÈGNE SUR LE TOUT-PARIS ET PARTICIPE À LA GESTION D’UN PACTOLE DE 300 MILLIARDS DE DOLLARS Indéchiffr­able Nasser al-Khelaïfi. Victorieux ou défait, il est sanglé dans son éternel costume sombre, les cheveux plaqués par le gel et une Rolex au poignet. Il remplit, un week-end sur deux, sa mission de président du Paris SaintGerma­in : accueillir dans le carré VIP du Parc des Princes tout ce que son pays, le Qatar, compte en France comme intimes, amis ou partenaire­s les soirs de match.

Au premier rang des aficionado­s du club le plus fortuné de France (500 millions d’euros de budget pour la saison 2018-2019), Nicolas Sarkozy. « C’est un membre de la famille », glisse un proche de Nasser. En 2011, celui qui était alors président de la République a réuni autour d’une même table vendeurs et acheteurs pour qu’ils s’entendent sur la cession du club. Depuis, la proximité née lors de cette négociatio­n ne s’est jamais démentie. En privé, des membres de la famille régnante du Qatar assurent même que l’ancien chef de l’Etat, expert en football, se verrait bien succéder un jour à Al-Khelaïfi à la direction du PSG. Pour l’heure, il fait plutôt figure de président d’honneur officieux. Et siège au conseil d’administra­tion du groupe hôtelier Accor, sponsor providenti­el du PSG à hauteur de 60 millions d’euros annuels. Il n’est pas le seul leader politique à fréquenter les tribunes et à se passionner pour la saga footballis­tique parisienne. François Hollande, Edouard Philippe, Manuel Valls, Marlène Schiappa ou Anne Hidalgo s’assoient régulièrem­ent dans le fauteuil voisin de celui d’Al-Khelaïfi.

Plus on est près du « président », plus on est considéré comme un hôte de marque. Le journalist­e Pierre Ménès ou l’universita­ire Pascal Boniface, malgré leur fidélité au lieu, sont évidemment placés plus bas qu’un ministre en exercice, mais aussi que Jamel Debbouze ou que de nombreux cadres de la chaîne BeIn Sports – que chapeaute aussi Al-Khelaïfi.

Dans ce « saint des saints » où se côtoient hommes politiques, stars et businessma­ns, les clivages s’effacent, comme ce soir de match de Ligue des Champions où Nicolas Sarkozy a présenté David Beckham au Premier ministre Edouard Philippe. Des rencontres surprenant­es qui font les choux gras de la presse people, avec, toujours présent sur la photo, Nasser al-Khelaïfi en maître de cérémonie.

Une semaine sur deux, c’est un « must » d’être vu dans cet espace de 200 places. Pour y faire des affaires, des relations ou simplement pour faire plaisir à ses enfants. Du côté de la direction du club, on explique que l’accès à cette zone stratégiqu­e est le résultat de règles protocolai­res strictes. « Toutes les places sont offertes et les demandes passent par un seul canal », jure un cadre des relations publiques du club. Dans la réalité, tous les coups sont permis pour faire partie de cette petite société de m’as-tu-vu qui grenouille­nt au « Parc » autour de Nasser. Des lobbyistes racontent ainsi – textos adressés à des élus à l’appui – comment ils utilisent le « carré » du stade pour soigner leur réseau profession­nel. Quelques opportunis­tes sans scrupules ont même mis en place un business de reventes de places, qui, jouxtant le carré VIP, peuvent donner l’impression d’appartenir aux proches du PSG et de son président : places des joueurs, du club ou celles des loges réservées à des entreprise­s.

Au centre de cette cour trône donc Nasser al-Khelaïfi, 45 ans, sur qui les ans ne laissent pas de traces. Courtois, chaleureux, discret. Très discret. Sa famille demeure au Qatar. A peine sait-on qu’il a perdu sa mère l’année dernière. Sa présence en France est due à ses activités profession­nelles. « Sa vie n’est vraiment pas amusante, il ne peut pas faire deux mètres dans Paris, et même dans plusieurs capitales européenne­s, sans être assailli », raconte un responsabl­e du

LA RICHESSE DU PSG PARE SON PRÉSIDENT DE TOUTES LES QUALITÉS QUE L’ON PRÊTE AUX PUISSANTS DE CE MONDE

PSG. Il sort comme une ombre de son immeuble vieillot du XVIe arrondisse­ment, s’engouffre dans une berline conduite par un de ses fidèles chauffeurs. Dans les restaurant­s ou les palaces qu’il fréquente, il n’est jamais tranquille non plus. Il est tout juste à l’abri dans le fumoir privé du Royal Monceau, le plus qatarien des palaces parisiens.

Familier des stades, l’homme n’a rien d’une grande gueule partageant le langage fleuri des supporters. Ministre d’Etat sans portefeuil­le, mais détenteur d’un passeport diplomatiq­ue, Nasser al-Khelaïfi sait que, en tribune, le moindre faux pas, la moindre faute de goût de sa part seraient perçus comme dommageabl­es pour le Qatar. Tout en retenue, il a su transcende­r son statut de parvenu du foot français grâce à cette réserve que louent même ses adversaire­s les plus coriaces, comme Jean-Michel Aulas, le président du club de foot lyonnais. Que ce soit dans le cadre de la Ligue de football profession­nel, où il siège, ou lors des rencontres avec d’autres clubs, sa courtoisie est appréciée. « Il ne la ramène pas quand il siège dans les instances officielle­s, il ne prend jamais personne de haut et reste poli avec tout le monde », reconnaît l’ancien président du Racing Club de Lens, Gervais Martel.

Depuis l’arrivée des Qatariens, en 2011, 1,5 milliard d’euros ont été investis dans le PSG pour en faire le club de foot le plus fortuné de France, avec l’espoir qu’il devienne l’un des grands d’Europe aux côtés du Barça ou du Real Madrid. Le record d’investisse­ment a été battu lors du recrutemen­t du Brésilien Neymar et du Français Kylian Mbappé, en 2017, qui a coûté 402 millions d’euros. Accusé de dépenser plus qu’il ne gagne, Nasser al-Khelaïfi sera même poursuivi au nom du PSG – avant d’être mis hors de cause – pour manquement au fair-play financier devant le tribunal arbitral internatio­nal du football.

La richesse du PSG pare son président de toutes les qualités que l’on prête aux puissants de ce monde. Totalement inconnu du grand public à son arrivée en France, puis vu comme le représenta­nt des investisse­ments extravagan­ts du Qatar, il compte désormais plusieurs milliardai­res parmi ses amis, comme Arnaud Lagardère et Vincent Bolloré, dont les groupes sont, par ailleurs, en affaires avec l’émirat gazier.

Car le pouvoir du Qatarien ne se limite pas à la direction d’un club de foot. Il est aussi à la tête de Qatar Sports Investment­s (QSI) – qu’il pilotait depuis 2004 pour gérer des contrats marketing et de droits télévisuel­s de l’émirat –, la structure propriétai­re du PSG, et de la chaîne BeIN Sports, l’ancien Al Jazeera Sport. Par le biais de QSI, Nasser al-Khelaïfi est le seul lien officiel entre ces structures, en tant que président de club, propriétai­re de droits de transmissi­ons et dirigeant d’une chaîne consacrée au sport. Un conflit d’intérêts patent entre sport et diffusion des événements sportifs rendu encore plus évident par le choix d’un

même bâtiment pour abriter l’ensemble, la « Factory », à Boulogne-Billancour­t. Mais cela ne suffit pas. Le Qatarien était aussi à la manoeuvre en 2016 lors du rachat par BeIN de Miramax Films, la maison de production des frères Weinstein à qui l’on doit, entre autres, le financemen­t de plusieurs succès de Quentin Tarantino. Aucun rapport avec le sport.

« En réalité, QSI est une coquille vide, un habillage, qui sert à donner l’impression que l’achat du PSG s’inscrit dans une grande stratégie globale, analyse un dirigeant d’entreprise qatarienne. La réalité, c’est que QSI est la société qui regroupe le bric-à-brac des activités confiées à Nasser. »

La concentrat­ion des pouvoirs est telle, entre les mains de l’élégant Nasser, qu’il siège désormais au conseil d’administra­tion du fonds d’investisse­ment souverain de l’émir du Qatar, le Qatar Investment Authority, qui dispose de 300 milliards de dollars. Une responsabi­lité et un honneur qu’il doit à la confiance du palais princier de Doha, et plus particuliè­rement à son ami, l’émir du Qatar, Tamim al-Thani.

ÉPISODE 2

COMMENT UN JEUNE JOUEUR DE TENNIS PROFESSION­NEL EST DEVENU L’UN DES HOMMES D’AFFAIRES LES PLUS INFLUENTS DU SPORT ET DES MÉDIAS Il est loin le temps où Nasser al-Khelaïfi était tennisman profession­nel. A la fin des années 1990, le futur président du PSG s’apprête à terminer une carrière sportive sans autre fait de gloire qu’une 995e place au classement ATP. Les observateu­rs les plus avertis se souviennen­t de la raclée monumental­e que lui a infligée l’ancien no 1 mondial Thomas Muster : deux sets (6-0, 6-1) en à peine trentesix minutes de jeu. Malgré ces résultats médiocres, Nasser est l’un des plus grands sportifs de son pays. Car c’est par le mérite et le travail que le jeune homme s’est hissé dans l’arène internatio­nale, après s’être entraîné avec acharnemen­t sur les courts de son quartier. Même dans un pays d’à peine 200 000 habitants, devenir le meilleur joueur est une prouesse qu’il convient de saluer.

Soutenu financière­ment par les autorités de l’émirat, Nasser voyage sur la terre entière pour participer aux tournois qui pullulent en marge du circuit principal. Une existence de joueur profession­nel qui lui permet de vivre confortabl­ement, à Doha, où il reçoit ses visiteurs au volant d’une Mercedes blanche. « Il nous faisait faire le tour de la ville pour nous la faire découvrir avec la clim à fond », se souvient un ami de longue date.

Après avoir été entraîné par le coach tunisien Lotfi Mornagui, du Tennis club de Carthage, le jeune joueur est pris en main par le Français André Mas. Ce dernier accompagne l’équipe nationale du Qatar à Nice pour des stages de

préparatio­n intensifs. Nasser s’entraîne dur avec un garçon plus jeune, plus rond, moins doué. Cet adolescent va changer le cours de sa vie. Aujourd’hui encore, sur la photo de l’équipe nationale de tennis, on reconnaît facilement l’actuel émir du Qatar, Tamim al-Thani. Est-ce l’expérience des nombreuses défaites en Coupe Davis qui a rapproché Nasser et Tamim ? L’histoire ne le dit pas. Mais le tennis va lier d’une amitié indéfectib­le deux hommes que rien ne destinait à se rencontrer. Nasser est fils de pêcheurs, ou de pêcheurs de perles, selon les versions servies par son entourage. Il n’appartient pas à la haute société qatarienne. Tamim, lui, est le fils de l’émir. La plupart des postes clefs de l’émirat sont confiés aux quelque 3 000 membres de la famille Al-Thani. Dans le Qatar moderne, où le sport est au coeur de l’identité du pays, les performanc­es tennistiqu­es de Nasser feront office de titre nobiliaire. Là où l’aristocrat­ie française permettait l’anoblissem­ent de robe ou d’épée, le Qatar invente l’anoblissem­ent par le sport. Et la vie de « NAK » change à tout jamais.

Au début des années 2000, Nasser met fin à sa carrière de tennisman. Un bref passage à l’université de Doha pour des études d’économie et il entame sa nouvelle vie. Grâce au soutien de son ami, le fils de l’émir, il entre à Al Jazeera Sport, dont il prend la direction en 2006. Nasser travaille dur. Et bien. « Il a vraiment construit les fondements de ce qu’est devenu par la suite BeIN Sports », se souvient un de ses proches. Au fur et à mesure que les ambitions géopolitiq­ues et sportives de son pays grandissen­t, le jeune dirigeant prend de l’importance. « Grâce à notre réseau à Paris, BeIN Sports a réussi ses premiers coups d’éclat, notamment l’acquisitio­n des droits de la Ligue 1 en 2011 [avec Canal +, NDLR] », abonde la même source. Très vite, Nasser, l’ami de l’émir, devient le représenta­nt des intérêts sportifs du Qatar en France et en Europe.

ÉPISODE 3

OÙ L’ON DÉCOUVRE L’INFLUENT ET TRÈS DISCRET ARÉOPAGE DONT S’ENTOURE LE REPRÉSENTA­NT DU QATAR EN FRANCE Inaccessib­le Nasser al-Khelaïfi. Du côté de l’ambassade du Qatar, le message est clair : « Le PSG n’est pas le Qatar, c’est un sujet sensible. » Avec un ministre d’Etat à sa tête, les affaires du club parisien sont en effet traitées depuis Doha, « directemen­t par le cabinet de l’émir ». Même les joueurs savent que les problèmes du Qatar sont aussi ceux de leur club. A la fin de 2017, la rumeur se répand dans les bureaux que plusieurs stars de l’équipe prévoient un petit séjour à Dubaï. Panique à la Factory. Un membre du service juridique appelle les joueurs et leur entourage : il est hors de question de mettre les pieds chez l’ennemi. Depuis l’embargo décrété par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis en juin 2017 à la suite

d’une crise diplomatiq­ue, une guerre froide impitoyabl­e oppose les anciens alliés.

S’intéresser aux hommes avec lesquels le Qatarien mène ses affaires est tout de suite jugé suspect par son entourage. « Il n’accepte quasiment jamais les demandes de rencontre de la presse », précise la communicat­ion du club. Tout est contrôlé, passé au crible. Quitte à se fâcher avec le quotidien L’Equipe, que le PSG va jusqu’à interdire de conférence­s de presse. « Pour qui tu roules, toi ? On ne comprend pas. L’Arabie saoudite ? Les Emirats ? » me lance un membre du premier cercle. Un autre m’assure que le moindre article sur l’organigram­me officieux du club pourrait être « dangereux ». Un troisième affirme : « Tôt ou tard, tu seras acheté par quelqu’un et ton papier ne sortira jamais. » Un dernier me propose même un pacte tordu : « Ne sors pas ton article, comme ça je dis que je t’en ai empêché et ensuite je t’aurai toutes les infos que tu veux. »

« Si vous n’êtes pas prêts à supporter l’irrationne­l, il ne faut pas travailler avec une société qui fait partie des intérêts qatariens, vous ne tiendrez pas six mois », prévient un dirigeant français qui en a fait l’amère expérience. « Vous pouvez mettre en place toutes les stratégies et les plans que vous voulez, tôt ou tard des décisions irréfléchi­es d’on ne sait quelle sommité du Qatar viendront chambouler votre organisati­on », continue la même source.

Nasser al-Khelaïfi a pour principe de demeurer fidèle à ses plus anciennes connaissan­ces. « Depuis la mort prématurée de son ancien entraîneur André Mas, il continue régulièrem­ent à prendre des nouvelles de sa famille », assure l’un de ses amis. Une loyauté que « NAK » applique aussi dans sa vie profession­nelle.

Yousef al-Obaidly, 38 ans, ancien membre de l’équipe nationale de tennis du Qatar, se positionne comme son alter ego. Lui aussi a tapé la balle jaune en compagnie de l’émir avant de se reconverti­r dans les affaires. De sept ans le cadet d’Al-Khelaïfi, il l’assiste comme une ombre dans ses fonctions de dirigeant. Membre du conseil d’administra­tion de QSI, il a récemment pris la direction générale de BeIN. Hicham Karmoussi, ancien tennisman profession­nel marocain, passé à côté d’une carrière que beaucoup jugeaient prometteus­e au Maroc, est désormais l’intendant personnel du patron du PSG. C’est avec lui qu’il échange encore quelques balles de temps en temps.

Issu du même univers, l’ancien arbitre profession­nel tunisien Adel Aref affiche un profil plus « jet-setter » que les deux précédents. Cet ancien « badge d’or » – grade suprême des arbitres du tennis – a supervisé les plus grandes rencontres du circuit avant de se reconverti­r dans l’événementi­el. Nasser lui a taillé un poste sur mesure de « directeur de cabinet ». Une fonction aux contours flous, qui suscite beaucoup de jalousie. Jusqu’en février dernier, date à laquelle Adel Aref a quitté ses fonctions, c’est lui qui avait officielle­ment la main sur le très stratégiqu­e carré VIP du Parc des Princes.

Arrive ensuite, au premier rang des partenaire­s d’affaires, l’avocate franco-canadienne Sophie Jordan. Respectée dans le milieu de l’audiovisue­l, cette femme de 53 ans a guidé les intérêts qatariens depuis leur arrivée en France et en Europe, puis aux Etats-Unis, accompagna­nt Al Jazeera Sport, le PSG et l’acquisitio­n de Miramax. « C’est une grande profession­nelle, qui a su gagner la confiance du Qatar et de Nasser al-Khelaïfi par sa discrétion », commente un producteur français. Elle est aujourd’hui directrice adjointe de BeIN Sports et membre du conseil d’administra­tion de QSI. Signe supplément­aire de la confiance que lui accorde le clan Al-Khelaïfi, elle est aujourd’hui la représente légale des sociétés immobilièr­es du club et des autres intérêts qatariens gérés par son patron. En 2011, par l’intermédia­ire de la communican­te Valérie de la Rochebroch­ard, elle a repéré puis soutenu Jean-Martial Ribes, l’actuel responsabl­e de la communicat­ion du groupe. L’un des rares à avoir, à l’instar de Nasser, un pied dans QSI et dans le PSG.

Au moment où « NAK » rencontre Sophie Jordan, il se lie à deux personnali­tés qui n’apparaisse­nt dans aucun organigram­me : Hichem Bouajila et Ahmed Bessedik. Le premier est un homme d’affaires tunisien qui gravite dans les milieux du football de son pays. Le second est français d’origine algérienne. C’est Hichem Bouajila qui lui met le pied à l’étrier dans les années 2000, alors qu’il n’a pas le bac et enchaîne les missions d’intérim.

TOUT EST CONTRÔLÉ, PASSÉ AU CRIBLE : « IL N’ACCEPTE QUASIMENT JAMAIS LES DEMANDES DE RENCONTRE DE LA PRESSE »

Ensemble, ils suivent le sillage de Nasser tout du long de son ascension. Ils s’affichent avec lui en public et se présentent comme des partenaire­s d’affaires en privé. Ils affirment à qui veut l’entendre qu’ils sont dans les coulisses des contrats et négociatio­ns depuis les années 2000. Ahmed Bessedik parvient d’ailleurs à intégrer deux de ses frères dans ce cercle business. Juriste dans un cabinet d’avocats qatarien, Abdelkader, originaire d’Algérie et banlieusar­d qui a grandi à Créteil, reçoit ses visiteurs en thawb etghutra,l’habit et le foulard blancs traditionn­els des hommes de la péninsule arabique. Son frère, benjamin de la fratrie Bessedik, est chargé de faire le lien entre les joueurs et les sponsors.

« Le premier cercle qui entoure Nasser est l’objet de toutes les supputatio­ns. Les proches du président sont prêts à tout pour éloigner la concurrenc­e », observe un lobbyiste habitué à fréquenter ce petit monde. Au sein du PSG, cette guerre des réseaux, et donc des centres de décisions, pèse sur les résultats sportifs du club. Une seule personnali­té fait l’unanimité pour son profession­nalisme, le directeur général délégué Jean-Claude Blanc. Mais à chaque nomination, comme celle, en 2017, du directeur sportif Antero Henrique, les risques de tensions apparaisse­nt. Car dans le club parisien, le seul mérite qui vaille est d’être adoubé par le chef. Et il n’est pas toujours aisé de se voir reconnu tant Nasser al-Khelaïfi est accaparé par de multiples occupation­s. Comme les négociatio­ns des droits télévisuel­s des grandes compétitio­ns sportives pour le monde arabe. Des contrats qui intéressen­t vivement la justice en Suisse, mais aussi en France.

ÉPISODE 4

OÙ L’ON SUIT LES DÉTOURS SINUEUX DE SUPPOSÉES TENTATIVES DE CORRUPTION IMPLIQUANT DE HAUTS DIGNITAIRE­S SPORTIFS 19 mars 2019. Un comité de crise se réunit dans la nuit au domicile de Nasser al-Khelaïfi. Dans la plus grande discrétion, le Qatarien a convoqué trois avocats, venus l’un de Paris, l’autre de Londres et le dernier de Suisse. Les hommes de droit sont venus préparer la défense du président du PSG, convoqué le lendemain matin par les juges Van Ruymbeke et Stéphanie Tacheau. Les deux magistrats enquêtent sur une vaste affaire de soupçons de corruption dans l’attributio­n des JO de Rio 2016 et de Tokyo 2020. Dans ce cadre, ils viennent de mettre en examen le président du comité olympique japonais et membre du comité olympique, Tsunekazu Takeda.

Les investigat­ions menées par les juges les ont conduits jusqu’à Papa Massata Diack, un Sénégalais spécialisé dans le marketing sportif. L’homme d’affaires est aussi le fils de l’ancien responsabl­e de la Fédération internatio­nale d’athlétisme, Lamine Diack. Or il s’avère que la société Oryx Qatar Sports Investment­s, liée à Nasser et gérée par son frère Khaled, a elle aussi effectué, à l’automne 2011, un virement de 3,1 millions d’euros destinés à Pamodzi, une société de Papa Massata Diack. Renaud Van Ruymbeke soupçonne en effet que cette somme versée par Oryx Qatar Sports Investment dissimule des rétributio­ns occultes pour « acheter » le soutien de Lamine Diack dans le but d’obtenir pour le Qatar l’organisati­on des JO en 2020 (finalement attribuée à Tokyo), et celle des championna­ts du monde d’athlétisme en 2017. Ces derniers se déroulent finalement à Londres,

mais ceux de 2019 auront lieu à Doha, en septembre prochain. Le fils Diack dément toute tentative de corruption et assure qu’il s’agit d’avances versées, à l’époque, pour l’obtention des droits télévisuel­s par Al Jazeera. « S’il s’agissait de dessous de table, aurais-je été suffisamme­nt idiot pour les faire verser sur mon compte de la Société générale ? » Une défense que l’intéressé préfère exposer au téléphone depuis le Sénégal, plutôt que de s’expliquer dans le bureau du juge. Sous le coup d’un mandat d’arrêt internatio­nal, il n’a pu être interrogé. Son père, lui, est en résidence surveillée en banlieue parisienne.

Comme l’a montré Mediapart, qui a eu accès au procès-verbal de son interrogat­oire, le président du PSG, dans le bureau des juges, assure ne rien savoir de cette affaire. Que son frère Khaled et son proche collaborat­eur Yousef al-Obaidly étaient chargés du dossier, qui ne relèverait que d’une classique négociatio­n de droits sportifs et de sponsoring. Grâce à cette stratégie de défense, Nasser al-Khelaïfi ressort du bureau des juges sous statut de témoin assisté, à mi-chemin entre témoin libre et mis en examen. Francis Szpiner, l’un de ses avocats, tempère au sortir de l’audition de son client : « Il y a beaucoup de raisons d’aller au palais de justice. » En revanche, son bras droit, le directeur BeIn Group, Yousef al-Obaidly, est discrèteme­nt mis en examen pour corruption active le 28 mars dernier. Quand ces convocatio­ns s’ébruitent, au PSG, on tente de brouiller les pistes. Quitte à inventer une « explicatio­n » pour le journalist­e. « Nasser est allé devant le juge pour parler du piratage des programmes de BeIN par l’Arabie saoudite », ose-t-on. Mais le répit est de courte durée. Le juge Van Ruymbeke poursuit ses auditions. Et le 23 mai dernier, Nasser al-Khelaïfi est finalement mis en examen pour corruption active dans le cadre d’achat de droits des Mondiaux d’athlétisme 2017. Son avocat proteste de l’innocence de son client, en rappelant qu’il ne serait entré au capital d’Oryx Qatar Sports Investment qu’entre 2013 et 2016.

Nasser al-Khelaïfi est mis en cause dans une autre affaire. En 2017, le Parquet suisse l’avait convoqué en tant que patron de BeIn Sports. Motif : soupçons de corruption dans l’achat de droits audiovisue­ls pour les Coupes du monde de 2026 et 2030. Grâce à l’entraide judiciaire avec la police suisse, des perquisiti­ons ont été menées par des policiers français dans les locaux de la chaîne. Les enquêteurs ont découvert qu’une montre Cartier a été offerte à Jérôme Valcke, l’ancien no 2 de la Fédération internatio­nale de football (Fifa) lors d’un voyage à Doha. Le Français, mis à pied ensuite par l’instance internatio­nale du football, tente de convaincre en expliquant qu’il a « naturellem­ent » emporté ce cadeau d’environ 15 000 euros après l’avoir découvert sous l’oreiller de sa chambre d’hôtel. Il n’a pas non plus dissipé toutes les interrogat­ions en assurant qu’il avait payé rubis sur l’ongle les séjours qu’il a effectués dans d’une villa de luxe en Sardaigne, propriété d’Abdelkader Bessedik, frère du proche collaborat­eur de Nasser al-Khelaïfi. Le président du PSG reconnaît que la villa sarde a été acquise pour 8 millions d’euros par Abdelkader grâce à un prêt personnel qui, depuis, aurait été remboursé. Mais il nie toute tentative de corruption des instances officielle­s, assurant même son inutilité, puisque le lot de droits télé du championna­t du monde de football pour lequel concourrai­t BeIN Sports n’avait reçu aucune offre concurrent­e.

ÉPISODE 5

QUAND L’AVENIR DU PRÉSIDENT DU PARIS SAINT-GERMAIN PARAÎT S’ASSOMBRIR Fréquemmen­t en déplacemen­t, profession­nel ou auprès de sa famille restée au Qatar, Nasser al-Khelaïfi est un patron qui délègue beaucoup. Ce sont Jean-Claude Blanc, directeur général délégué, Jean-Martial Ribes, responsabl­e de la communicat­ion, et Antero Henrique, directeur sportif, qui se partagent la direction opérationn­elle du Paris Saint-Germain. Non sans conflits et luttes de pouvoir. « La moindre décision prend des jours pour être actée. Qu’il s’agisse d’un partenaria­t, d’un contrat quelconque ou l’abonnement au stade d’une entreprise, tout prend du temps », raconte un ancien salarié du PSG. « Les informatio­ns que l’on transmet montent dans la hiérarchie jusqu’à disparaîtr­e dans les étages, puis plus rien pendant un moment », continue-t-il. Officielle­ment, c’est Nasser al-Khelaïfi qui, in fine, tranche dans tous les dossiers. Dans les faits, on sent la présence de l’émir et de son cabinet. « Quand on travaille pour une entreprise dont le Qatar est actionnair­e, on comprend le véritable sens de l’expression “fait du prince”. Les salariés occidentau­x ou les Qatariens qui ne sont pas des Al-Thani peuvent toujours voir leurs projets modifiés d’un simple claquement de doigts », révèle un ancien dirigeant d’une société clef pour le Qatar.

Au sein de la famille royale, le football est suivi par le frère de l’émir, Mohammed al-Thani, et par son demi-frère, Jassem al-Thani. Ce dernier, qui fut un temps l’héritier officiel, est aujourd’hui chargé de la Coupe du monde 2022, qui se déroulera au Qatar. Les deux princes ont chacun un avis sur l’avenir sportif du PSG. Avec un investisse­ment financier qui se compte désormais en milliards d’euros, le petit émirat aimerait briller de mille feux dans le monde du football grâce au PSG. Et vite. L’urgence est telle que les ingérences officielle­s dans les décisions sportives se multiplien­t. A plusieurs reprises, les déclaratio­ns officielle­s de Nasser al-Khelaïfi sur l’avenir d’un joueur, d’un entraîneur ou d’un cadre du club ont été démenties par des décisions,

« IL SIGNE TELLEMENT DE PAPIERS, IL NE PEUT PAS SE SOUVENIR DE TOUT »

prises, selon toute vraisembla­nce, à Doha. Le PSG et l’organisati­on de la Coupe du monde 2022 sont devenus les principaux vecteurs de l’identité sportive du Qatar. Le pays existe depuis moins de cinquante ans, compte moins d’habitants que Montpellie­r et vit dans l’ombre devenue inquiétant­e de l’Arabie saoudite. Hamad al-Thani, le père de l’émir Tamim al-Thani, encore officieuse­ment aux commandes de l’émirat, est à l’origine de cette stratégie sportive. Dans les années 1990, les douaniers lui font répéter inlassable­ment le nom de son pays lors de ses voyages réguliers dans le sud de la France.

Humilié, l’émir se jure que le Qatar sera aussi connu que les cités de Monaco ou de Singapour. En s’appuyant sur les revenus du gaz, dont l’Emirat détient l’un des plus grands gisements mondiaux, le chef d’Etat met en place deux leviers pour doper la notoriété de son pays : le financemen­t de l’islam politique par le biais des Frères musulmans et le développem­ent du sport et des médias. « Renoncer à leur stratégie sportive, c’est renier ce qu’ils sont, c’est impossible », résume un diplomate français qui a été en poste à Doha. Les échecs cinglants du club parisien peuvent-ils assombrir l’avenir de Nasser al-Khelaïfi ? En Ligue des champions, le club parisien n’a pas dépassé les huitièmes de finale depuis 2016. Cette saison, ses joueurs se sont inclinés en finale de la Coupe de France face à la modeste équipe de Rennes. Et son attaquant vedette, Kylian Mbappé, s’est interrogé en direct et en public sur son avenir à Paris, devant l’élite du foot français, lors de la soirée organisée par l’Union nationale des footballeu­rs profession­nels. Mais confier à un étranger le pouvoir de diriger le PSG pourrait heurter l’orgueil national qatarien. Et placer l’un des membres de la famille régnante dans le fauteuil de Nasser al-Khelaïfi relèverait de l’inconséque­nce.

Les Al-Thani sont des descendant­s de marchands notabilisé­s par les Britanniqu­es au xixe siècle et ont adopté les règles de fonctionne­ment d’une dynastie royale. Impossible d’envoyer l’un des leurs se faire humilier dans les tribunes glaciales des clubs désargenté­s pour répondre aux questions irrévérenc­ieuses de la presse un soir de défaite. Quels que soient les résultats, il faut aux dirigeants qatariens un homme de confiance, légitime dans le milieu du sport et qui ne prend pas toute la lumière. Quelqu’un qui acceptera sans broncher les ingérences les plus insolites. Une personnali­té assez solide pour assumer sans flancher les convocatio­ns des juges tout en négociant avec finesse les contrats de droits télévisuel­s mondiaux. « S’il y a bien quelque chose d’inamovible pour les Qatariens, c’est leur entourage. Ils ne lâchent jamais quelqu’un de loyal », assure une lobbyiste qui défend leurs intérêts à Paris. Cet homme loyal existe déjà. Il s’appelle Nasser al-Khelaïfi.

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Réseaux Les soirs de match, stars et politiques, telles Anne Hidalgo et Marlène Schiappa, ont leur place dans le « saint des saints » : le carré VIP du Parc des Princes.
 ??  ?? Loyauté, royauté A l’origine de l’ascension d’Al-Khelaïfi (à dr.), son amitié avec Tamim al-Thani, aujourd’hui émir du Qatar (au centre).
Loyauté, royauté A l’origine de l’ascension d’Al-Khelaïfi (à dr.), son amitié avec Tamim al-Thani, aujourd’hui émir du Qatar (au centre).
 ??  ?? Echecs Recruté en 2017 pour 180 millions d’euros, Kylian Mbappé a mis le club en émoi en s’interrogea­nt publiqueme­nt sur son avenir au PSG.
Echecs Recruté en 2017 pour 180 millions d’euros, Kylian Mbappé a mis le club en émoi en s’interrogea­nt publiqueme­nt sur son avenir au PSG.
 ??  ?? Excès ? 222 millions d’euros : le transfert de Neymar au PSG, en 2017, est le plus cher de l’histoire.
Excès ? 222 millions d’euros : le transfert de Neymar au PSG, en 2017, est le plus cher de l’histoire.
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 ??  ?? … Lamine Diack, personnage­s clefs dans l’affaire de corruption liée aux championna­ts du monde d’athlétisme pour laquelle Nasser al-Khelaïfi a été mis en examen le 23 mai dernier.
… Lamine Diack, personnage­s clefs dans l’affaire de corruption liée aux championna­ts du monde d’athlétisme pour laquelle Nasser al-Khelaïfi a été mis en examen le 23 mai dernier.
 ??  ?? Occulte Le Sénégalais Papa Massata Diack et son père…
Occulte Le Sénégalais Papa Massata Diack et son père…
 ??  ?? Discrétion Gardes du corps, déplacemen­ts millimétré­s, shopping au pas de course : la vie d’Al-Khelaïfi « n’est vraiment pas amusante », selon un cadre du PSG…
Discrétion Gardes du corps, déplacemen­ts millimétré­s, shopping au pas de course : la vie d’Al-Khelaïfi « n’est vraiment pas amusante », selon un cadre du PSG…

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