PAS DE DEUX AVEC LE SÉNAT
Le 13 juin, recourant à une disposition peu usitée de la Constitution, le Premier ministre demandait au Sénat d’approuver sa déclaration de politique générale. Institutionnellement, le risque n’était pas grand, puisque seuls les députés peuvent renverser le gouvernement. Mais, politiquement, le geste n’est pas anodin, qui a des allures de pas de deux entre l’exécutif et la Haute Assemblée.
Entamons le propos par ce qui était prévisible : Edouard Philippe n’a pas obtenu l’approbation du Sénat. Nul n’imaginait qu’il pût en être autrement, à commencer par le Premier ministre lui-même, qui, la veille, devant l’Assemblée, annonçait simplement : « J’irai donc demain au Sénat, sans penser revenir avec une majorité. » Qu’importe que, sur les 345 votants, 181 aient choisi de s’abstenir, alors que 93 seulement votaient contre le gouvernement ; les 71 sénateurs qui le soutiennent sont assurément minoritaires et le chef du gouvernement courait perdant.
Mais alors, qu’allait-il faire dans cette galère ? Un pari : celui que, invitant le Sénat à entrer dans une danse et essuyant un refus, ce serait peut-être in fine l’assemblée sollicitée qui en ferait les frais. Que l’on en juge !
D’abord, le jeu du Premier ministre est délibéré. En effet, la Constitution de 1958 a été ainsi pensée que le gouvernement n’est jamais contraint de solliciter le vote de l’une des assemblées. L’article 49 est sans ambiguïté : le Premier ministre, après délibération du Conseil des ministres, engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement et il a la faculté de demander au Sénat l’approbation d’une déclaration de politique générale. En toute logique, les Premiers ministres depuis 1958 ne s’y sont aventurés que lorsque le soutien des parlementaires était acquis. Chacun se souvient de Premiers ministres à la majorité étriquée qui
préférèrent ne pas demander la confiance des députés. A fortiori lorsqu’il s’agit du Sénat, dont le soutien n’est pas nécessaire au Premier ministre pour gouverner et que ce dernier ne sollicite donc que pour se conforter. Jusqu’à la semaine dernière, cette procédure n’avait été utilisée qu’à seize reprises et seulement à partir de 1975, toujours avec l’assurance d’un vote positif. Pour solliciter un vote qu’il savait négatif, Edouard Philippe avait donc assurément une stratégie.
Car, ensuite, le moins que l’on puisse dire est que le Sénat a été au coeur de la déclaration de politique générale présentée par le Premier ministre devant les députés. Outre l’annonce du vote qu’il demanderait le lendemain à l’autre assemblée, il se disait « favorable à un nouvel acte de décentralisation » qu’il détaillerait devant les sénateurs et énumérait longuement les « gestes faits pour parvenir à un consensus avec le Sénat » sur la réforme institutionnelle que l’exécutif entend relancer. Les sénateurs sont ainsi invités à entrer dans la danse ; et, si l’on avait un doute, Edouard Philippe le lève devant eux : « Nous sommes prêts et ouverts […], cette réforme institutionnelle, nous ne pourrons pas la réussir sans vous. »
Enfin, sauf si… Car passée l’expression de son « respect pour le bicamérisme » et de sa « grande considération pour la chambre haute », Edouard Philippe n’use pas que d’amabilités pour convaincre. La réforme institutionnelle repose sur trois textes et « le Sénat a été très clair sur le fait qu’il n’y aurait d’accord sur rien s’il n’y avait pas accord sur tout ». Le Premier ministre se dit prêt à attendre, mais glisse aussi que l’accord du Sénat n’est pas nécessaire pour que la loi introduise une dose de proportionnelle à l’Assemblée. Il avait ajouté, la veille, que le président de la République pouvait « interroger directement les Français sur la réduction du nombre de parlementaires ».
A bon entendeur… Le pas de deux suppose que l’on soit deux à danser !
L’ assemblée fera les frais d’un vote négatif, parie Edouard Philippe
Anne Levade,