Sophia-Antipolis, l’intelligence artificielle comme horizon
Pour ses 50 ans, la plus importante technopole d’Europe se voit décerner le label 3IA par le ministère de l’Enseignement supérieur. A la clef, des centres de recherches voués à l’IA.
« La comparaison avec la Silicon Valley est devenue une rengaine »
Pas de crise de la cinquantaine pour SophiaAntipolis ! Un demi-siècle après sa fondation, le rêve du sénateur Pierre Laffitte de créer une cité de la science sur la Côte d’Azur – de Sophia, la sagesse en grec ancien, et Antipolis, l’ancien nom d’Antibes – perdure. Mais elle aborde aujourd’hui de nouveaux défis technologiques. Symbole de la confiance que le gouvernement continue d’accorder au pôle d’innovation, Sophia-Antipolis a reçu en avril le label 3IA (instituts interdisciplinaires en intelligence artificielle) des mains du ministre de l’Enseignement supérieur. La première technopole européenne fera donc partie du « vaisseau amiral de la recherche publique en IA », promis par Emmanuel Macron à la suite de la présentation du rapport Villani en 2018. Sophia n’a d’ailleurs pas attendu les conclusions du député pour attirer les cerveaux dans ce domaine : 20 % des spécialistes français en la matière travaillent à SophiaAntipolis et à Nice, c’est plus que dans n’importe quelle autre ville française.
Il faut dire que les applications possibles de l’IA sont considérables : reconnaissance et identifications d’images, traitement des données médicales, analyse financière, robotiques, etc. L’investissement dans les machines capables de réfléchir par elles-mêmes est tel que, selon une étude du cabinet
Gartner, la valeur commerciale dérivée de l’IA (coûts indirects et revenus issus des produits et services) devrait atteindre les 3 900 milliards de dollars à l’échelle mondiale en 2022. En France, l’objectif est de doubler le nombre de personnes formées à cette technologie, en s’appuyant notamment sur la création de ces nouveaux instituts. A la clef, un gros coup de pouce financier pour les centres de recherche concernés, variant entre 10 et 20 millions d’euros par an, et ce jusqu’en 2023.
A l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) de Sophia, on jubile. Dans ce bâtiment au design épuré que l’on croirait dessiné par Le Corbusier, on s’attend à un doublement du nombre de spécialistes de l’IA sur la zone, notamment grâce aux formations des entreprises environnantes. « Je me demandais si nous avions réellement une chance d’obtenir ce label », confie David Simplot, directeur du site méditerranéen de l’Inria. « Je n’avais pas réalisé que la participation pouvait être aussi importante puisque 62 entreprises et start-up ont directement annoncé vouloir s’engager dans ce projet »,ajoute-t-il.Dequoiavoirlesmoyens de se positionner parmi les leaders européens de l’IA. « La comparaison avec la Silicon Valley est devenue une rengaine. Les moyens et les dimensions des technopoles californiennes sont incomparables, mais Sophia-Antipolis détient les compétences et les acteurs pour se positionner parmi les têtes de liste sur certains domaines. »
Comme en Californie, ici, on joue sur un savant cocktail entre écoles, centres de recherche fondamentale, start-up innovantes et applications industrielles par les grands groupes. Alors que la cité de Sophia comprend actuellement deux incubateurs, une pépinière, un accélérateur et un cluster (pôle de compétitivité) spécialisé dans l’IA, plusieurs géants mondiaux ont choisi la cité azuréenne pour y concentrer leurs recherches – Renault, Mercedes, IBM, Accenture ou Amadeus. Ce dernier, arrivé en tant que jeune société dans les années 1990, s’est depuis imposé comme le leader mondial dans les technologies du voyage. Ses bureaux environnés d’une flore méditerranéenne accueillent chaque jour 4 200 salariés, ce qui fait de la société le premier employeur sur SophiaAntipolis. Gilles Floyrac, président du site français d’Amadeus, mise sur ces nouvelles technologies pour se maintenir au sommet : « Le marché actuel vous
oblige à être à la pointe et, pour cela, il faut continuer à concentrer les talents dans ce domaine. » Le groupe a même créé sa propre académie de l’intelligence artificielle pour y former ses ingénieurs. Installé sur la technopole depuis plus d’un an, Simon Gazikian, cofondateur de MyDataModels, a lui aussi préféré la Méditerranée à la côte ouest des Etats-Unis. Sa société propose des solutions de traitements de données pour les entreprises sur des départements spécifiques. « L’intérêt pour nous est d’avoir un accès direct aux chercheurs sur des sujets. Nous en sommes à notre troisième contrat avec l’Inria. »
Autre secteur dans lequel on ne cesse d’investir : le véhicule autonome. Le département R&D de Renault a repris mi-2017 les effectifs de l’activité logiciels embarqués d’Intel à Sophia-Antipolis, en gagnant dans la foulée trois ans sur son plan de recrutement. « Tout comme l’ évolution du téléphone en smart phone, nous sommes à l’aube d’une transformation équivalente pour la voiture », explique Bruno Bocaert, directeur de Renault Software Labs. L’exemple du smartphone n’est pas choisi au hasard puisque les véhicules nouvelle génération profitent des mêmes technologies : assistant personnel, commande par la voix, connexion Internet, etc. Les rues de Sophia-Antipolis ont ainsi vocation à voir défiler les voitures sans conducteur, puisque le site fait partie des zones d’expérimentation qui testeront les nouveaux modèles annoncés par la ministre chargée des Transports, Elisabeth Borne, fin avril.
« On dessine ici les contours de la ville de demain », estime Emmanuel Viale, directeur d’Accenture labs. Dans ses locaux, la société a aménagé un espace où les visiteurs peuvent se projeter dans un quotidien futuriste assisté de robots et d’assistants virtuels. « L’idée est de rapidement appliquer les recherches entamées sur le site de Sophia », explique-t-il. Le directeur du laboratoire espère séduire encore davantage de jeunes pousses. « Il y a une réelle dynamique, ici, mais il faudrait attirer encore plus de start-up plutôt que les laisser se concentrer à Paris. »
Dans la santé aussi, l’IA est une aubaine pour des start-up comme Therapixel ou Median, deux pépites impliquées dans les technologies d’imagerie médicale. Fredrik Brag, PDG de Median et suédois d’origine, a choisi la Côte d’Azur pour se développer malgré des investissements californiens. « On fait face à une inflation terrible sur les coûts de recrutement. Se lancer àSo phi a nous permet de nous rapprocher d’excellents spécialistes et de les convaincre d’adhérer à nos ambitions. », avance Fredrik Brag. Reste l’argent, le nerf de la guerre. Ici, les financements ne manquent pas. Ré ce mment,Sym ph on y, la start-up de messagerie cryptée des traders qui a établi l’an dernier son centre de R&D à Sophia-Antipolis, a levé 165 millions de dollars. Une dynamique qui n’a pas échappé à Xavier Niel, le PDG d’Iliad à l’origine du plus grand incubateur de start-up au monde, la Station F, basée à Paris. Le fondateur de l’opérateur Free aurait un autre projet titanesque en tête : un campus écologique à Sophia de 40 000 mètres carrés de locaux, dont 7 000 mètres carrés d’hôtels et de services et 31 800 mètres carrés de bureaux et espaces de coworking installé à l’entrée la ville. De quoi rivaliser avec la Silicon Valley ?