Montréal fait son cinéma
Avec les mêmes recettes que pour le jeu vidéo, la métropole québécoise est en train de s’imposer comme un pôle mondial de l’animation, des tournages et de la postproduction.
C’est le dessin animé le plus attendu de l’été : Playmobil, le film sort sur les écrans français le 7 août, en Allemagne, le 8 et en Grande-Bretagne, le 9. Quarantecinq ans après leur naissance, les figurines en plastique qui ont stimulé l’imagination de générations de bambins vont prendre vie. Un sacré pari, pour une production française réalisée à 100 % au… Québec ! A Montréal exactement, dans les bureaux d’On Animation Studios, qui occupent d’immenses plateaux au coeur du Mille Carré Doré, à deux pas de l’université Concordia. Jusqu’à 250 personnes ont travaillé ici dans le plus grand secret à la fabrication de ce long-métrage mêlant animation 3D et prises de vues réelles. Une grande partie d’entre elles étaient des artistes étrangers. A commencer par le réalisateur, Lino DiSalvo. L’Américain, responsable de l’animation pour La Reine des neiges, a même quitté Disney et Los Angeles pour s’installer à Montréal, voilà deux ans. Il n’a plus quitté la ville depuis.
« C’est simple, la première personne à avoir été embauchée ici, en 2015, est notre responsable de la relocalisation, explique le Français Alexis Vonarb, patron d’On Animation Studios, qui vit à Montréal depuis 2012. Elles sont désormais deux à
se consacrer à ce service. Leur mission : trouver des solutions très vite. » Comprenez, résoudre les questions de visa de travail, de logement, d’assurance-santé, etc., afin d’attirer les talents du monde entier. Avec un faible pour nos compatriotes, au savoir-faire recherché. « Un Français spécialisé dans l’animation ou les effets spéciaux qui vient ici avec un visa vacances-travail est le roi du monde », renchérit Nicolas Delval, arrivé de Paris en 2013 pour ouvrir la filiale canadienne de BUF et aujourd’hui directeur des opérations de Mikros Animation Montréal (groupe Technicolor). Sa société, qui prépare Bob l’Eponge, le film 3, vient de recruter une centaine de personnes.
On connaissait Montréal capitale mondiale des jeux vidéo, depuis que le français Ubisoft en a fait sa base privilégiée. On sait moins que la métropole québécoise réitère l’exploit de s’imposer comme un « hub » incontournable, cette fois dans le cinéma, et plus particulièrement dans les effets spéciaux et l’animation. Avec à peu près les mêmes recettes : des crédits d’impôt avantageux, un coût de la vie raisonnable, une main-d’oeuvre qualifiée et bilingue, et une capacité à travailler aussi bien avec les Américains que les Européens. Sauf que le film se rejoue en accéléré : « Nous avons vécu en cinq ans dans l’industrie des effets visuels ce que nous avons vécu en vingt ans dans le jeu vidéo, explique Eric Kucharsky, directeur de Montréal International, l’organisme chargé d’attirer des investisseurs dans la métropole. En 2012, il y avait en ville 500 salariés du secteur. L’an dernier, ils étaient 4 000 et ils seront plus de 5 000 en 2020. » « En 2012, quand nous sommes venus faire l’animation du Petit Prince, il n’y avait pas de maind’oeuvre spécialisée, raconte Alexis Vonarb. Nous sommes allés chercher les gens à Vancouver et à Toronto. »
Le Québec a toujours connu un certain dynamisme dans le cinéma et l’audiovisuel, pour des raisons culturelles avant tout : il fallait offrir aux francophones une alternative aux films et aux séries anglophones (américains pour la plupart). Longtemps, la production a surtout été locale, avec des moyens locaux. Résultat, « les techniciens du cru sont habitués à travailler avec des budgets modestes, dans des délais restreints », explique Thomas Ramoisy, directeur Cinéma à la Ville de Montréal, qui a fait des industries culturelles l’un de ses cinq axes stratégiques de développement.
Mais il ne suffit pas toujours d’une stratégie politique, même partagée par le gouvernement provincial (aux manettes pour les crédits d’impôt) et la Ville (la maire, Valérie Plante, s’est fendue d’une mission à Los Angeles, en novembre, accompagnée d’une imposante délégation qui a fait la tournée des studios de Hollywood). Montréal a aussi profité d’un « momentum » favorable. Sur la côte ouest, Vancouver, base arrière naturelle des Américains de Hollywood, arrivait à saturation : manque d’espace, compétition
« En 2012, il y avait 500 salariés du secteur en ville. Ils seront plus de 5 000 en 2020 »
acharnée, envolée des salaires et donc des coûts. Dans le même temps, la part des effets visuels dans les films a explosé, créant une demande inédite, et l’affaiblissement du dollar canadien face au dollar américain a renforcé l’attractivité du Canada comme lieu de tournage et de postproduction.
Aujourd’hui, la cité compte une quarantaine d’entreprises d’effets visuels. Aux acteurs locaux sont venus s’ajouter les groupes internationaux du secteur, enclenchant un cercle vertueux : dans cette industrie où les projets ne durent pas plus de douze mois en moyenne, il faut atteindre une masse critique d’employeurs pour stabiliser le bassin d’emplois. C’est fait : « Quand un projet arrive à son terme, un technicien ou artiste de notre communauté trouve un autre job en deux heures », assure Alexis Vonarb, qui, après Playmobil, le film, prépare le premier long-métrage tiré du dessin animé Miraculous. Les Aventures de Ladybug et Chat Noir.
Même phénomène dans les tournages, avec la création en 2016 des studios MTL Grandé à Pointe-Saint-Charles, dans les anciens ateliers de maintenance ferroviaire d’Alstom, par Andrew Lapierre et Iohann Martin, déjà à la tête d’une société de services audiovisuels. Une nouvelle offre de plateaux à côté des infrastructures existantes de Mels, développées par le groupe de médias Québecor.
De quoi attirer à Montréal encore plus de blockbusters américains : les séries X-Men ont été en grande partie tournées dans les studios de Mels, et MTL Grandé a démarré ses activités en 2017 avec Jack Ryan, une franchise de Tom Clancy produite par Paramount, destinée au géant Amazon. L’ambition de Lapierre et Martin ? Faire que les tournages s’enchaînent à Montréal sur six ou sept mois dans l’année, et non seulement quatre, de juin à septembre. Là aussi, le « momentum » est favorable : avec l’arrivée du streaming et des plateformes comme Netflix ou Hulu, les besoins en production ont fortement augmenté : « Depuis cinq ans, le volume mondial a plus que triplé », explique Andrew Lapierre.
Entre les tournages étrangers et les effets visuels, ce sont plus de 870 millions de dollars canadiens de chiffre d’affaires qui ont été générés l’an dernier dans la métropole québécoise, un niveau qui pourrait dépasser le milliard d’ici à deux ans. Montréal, nouvelle capitale de l’image ? « La ville prend chaque année des parts de marché à Vancouver et Toronto », assure Brice Garnier, président de Kaïbou Production, l’un des pionniers français de l’animation au Québec (il a démarré en 2001). Les talents étrangers – selon Montréal International, ils représentent de 30 à 50 % de la maind’oeuvre du secteur – en profitent. Non seulement les opportunités sont multiples, mais les salaires sont généreux (environ 70 000 dollars canadiens par an pour un animateur, de 90 000 à 150 000 pour un chef animateur ou superviseur), et les employés choyés. Prochain défi : fournir assez de compétences à cette industrie en pleine expansion. Pour y répondre, les formations se multiplient, et les écoles françaises débarquent en masse. La saison 2 ne fait que commencer.
Avec l’arrivée du streaming, les besoins en production ont augmenté