Campagne : la guerre du bruit
Cocoricos tonitruants et parfums de fumier… Les actions en justice se multiplient à l’encontre de ce qui naguère semblait relever des spécificités rurales.
Maurice, le coq le plus célèbre de Saint-Pierred’Oléron, devra-t-il clouer son bec ? Le tribunal d’instance de Rochefort, paisible sous-préfecture de Charente-Maritime, doit se prononcer ce jeudi. Un couple de saisonniers a assigné en justice le gallinacé – ou, plus exactement, sa propriétaire, Corinne Fesseau, une chanteuse locale fort appréciée sur l’île. Le mobile de la bisbille ? Les vocalises matinales de l’animal, qualifiées de nuisances sonores. Originaires du Limousin, les
plaignants estiment que Saint-Pierre se situe en zone urbaine et demandent l’éloignement du poulailler. Coco, elle, considère qu’elle habite une commune rurale. Elle peut avoir une basse-cour, et donc un coq, si elle le veut.
« Les bruits des animaux constituent une source fréquente de contentieux », soutient Christophe Sanson, avocat au barreau des Hautsde-Seine, spécialisé en « pollution acoustique ». L’article
R 1336-5 du code de la santé publique indique que « nul ne doit porter atteinte à la tranquillité du voisinage », mais un élevage de volailles reste, certes, toujours plus tolérable en milieu champêtre.
IL N’Y A PAS QUE LE BRUIT
L’histoire du coq Maurice peut prêter à sourire, elle est pourtant révélatrice d’une vraie tendance. Les escarmouches sur fond de gêne auditive entre vacanciers ou « néoruraux » – ces citadins qui s’installent à la campagne – et autochtones font, ces dernières années, les choux gras de la presse française. Pour le grand bonheur des lecteurs.
A Grignols (Gironde), un couple de retraités a été condamné à combler sa mare, au motif que les orgasmes tonitruants des grenouilles empêchaient ses voisins de fermer l’oeil. La municipalité de Saint-Chartres a, elle, été assignée en justice par le propriétaire d’une résidence secondaire, afin qu’elle mette les cloches de son église en sourdine. Plus cocasse : la locataire d’un gîte d’une bourgade du nord-est de la Vienne a, voici quelques semaines, déposé une main courante à la gendarmerie après avoir chuté à cause d’une corneille jugée « agressive ».
Si les réclamations contre les beuglements des vaches (ou leurs sonnailles) et le ronronnement nocturne des moissonneuses-batteuses ne finissent (heureusement) pas toujours devant les tribunaux, elles se font de plus en plus fréquentes dans les mairies.
L’été dernier, au Beausset (Var), des touristes des Hauts-de-Seine sont même allés jusqu’à interpeller Georges Ferrero, l’élu local, pour qu’il fasse taire les cigales. De quoi en énerver certains. Et les pousser à avancer quelques idées. « Pourquoi ne pas inscrire une bonne fois pour toutes ces sons à notre patrimoine national ? » suggère Bruno Dionis du Séjour, maire du petit village girondin de Gajac, excédé par ces plaintes récurrentes.
Le bruit n’est d’ailleurs pas le seul désagrément qui contrarie certains citadins en villégiature. Les traitements phytosanitaires sont mauvais pour leurs bronches. Les cochons ne
« LES GENS NE SUPPORTENT PLUS RIEN. LE LINGE QUI SÈCHE AU VENT FINIRA UN JOUR PAR LES DÉRANGER ! »
sentent pas très bon. Et, qui pis est, ils attirent les mouches.
Fervent défenseur du coq Maurice, Christophe Sueur, le maire de Saint-Pierre-d’Oléron, a reçu un courrier qui pointait du doigt l’odeur désagréable du poisson sur le port de pêche de La Cotinière. « Les gens ne supportent plus rien, se désole le quinquagénaire. Le linge qui sèche au vent finira un jour par les déranger ! » En juillet, l’édile de Pignols, une commune de quelque 300 âmes aux portes de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), a, pour sa part, été confronté à une protestation d’un genre inédit. De nouveaux administrés se sont plaints des déjections laissées par les abeilles de l’exploitation apicole voisine, qui salissaient leur mobilier de jardin et leur spa. Ce jour-là, le sang de Christophe Georges n’a fait qu’un tour. Son message de colère, partagé sur les réseaux sociaux, a reçu le soutien de nombreux internautes. « Que ces amateurs de nature morte retournent en ville ! » « Qu’ils aillent s’installer près d’un centre commercial, le miel sera déjà en pot ! » L’un d’eux a même proposé une solution imparable aux grincheux : « Un coup d’éponge, et voilà ! »
« UNE VISION FANTASMÉE »
Au-delà de cette polémique, le maire voit un mal plus profond : « Les gens qui s’installent à la campagne oublient qu’elle est avant tout un espace de travail. S’ils n’ont plus à subir le bourdonnement du périph, ils doivent se plier aux contraintes du monde agricole. On ne peut pas empêcher les paysans d’accomplir leur labeur. Et d’ajouter : l’urbain a globalement trop d’exigences. Nous n’avons pas non plus les moyens de goudronner et d’éclairer nos chemins d’exploitation comme des boulevards, ni de faire installer un réseau Internet très haut débit pour qu’on télécharge en moins de temps qu’il ne faut pour le dire la dernière série à la mode. Il faut un peu de tolérance. » Des revendications qui passent d’autant plus mal que les nouveaux arrivants ne s’investissent généralement que très peu (ou pas) dans la vie de la commune. « Ils ne participent ni aux réunions publiques, ni aux festivités, déplore encore le maire. Cet été, nous avons même dû annuler le traditionnel apéro du 14 Juillet, faute de combattants. »
Ces incompréhensions, voire ces frictions, n’étonnent pas vraiment André Torre. « Les urbains ont une vision fantasmée de la campagne, avance le directeur de recherche à l’Inra. Soixante-dix pour cent des Français habitent en ville. Du coup, ils idéalisent le milieu rural, d’autant qu’ils n’en connaissent souvent que les charmants petits villages des émissions de Stéphane Bern ou ceux d’un parc Disney. » Peu d’entre eux vont s’y installer (la plupart gentrifient plutôt la grande banlieue des villes), mais, lorsqu’ils franchissent le pas, c’est la douche froide. Car on est souvent loin de l’image bucolique vendue dans les magazines.
D’un côté, les urbains essorés désireux de se mettre au vert, mais qui n’imaginaient pas une seconde qu’un âne fasse du bruit (et un tracteur encore davantage) ou que les orties piquent. De l’autre, le maire et ses guerriers, pour qui ces « zigotos des villes » sont surtout des intrus. Les conflits clochemerlesques ne sont pas près de s’éteindre.
En attendant, à Maurice de prouver qu’il est bien un coq de campagne s’il ne veut pas finir rôti dans son jus.