JEAN-PAUL DELEVOYE, L’INDÉMODABLE
L’ancien sénateur chiraquien, 72 ans, est celui qui incarne aujourd’hui cette réforme clef du quinquennat Macron.
Nous sommes en 1999, les « marcheurs » ne sont même pas nés, en tout cas politiquement. C’est alors que « pendant une brève mais réelle période, Jean-Paul Delevoye fut à la mode ». Dans le rôle du chroniqueur (de mode), Nicolas Sarkozy. Rappel du contexte : cette année-là, en juin, le maire de Neuilly conduit la liste de la droite aux européennes et obtient un score piteux de 13 %. Il démissionne de la tête du RPR et s’interroge sur le bien-fondé de concourir à l’élection d’un nouveau président, à l’automne. A l’Elysée, Jacques Chirac imagine de pousser Jean-Paul Delevoye. Dans Libre (Robert Laffont, 2001), Nicolas Sarkozy écrit à son sujet : « Il connut son heure de gloire au moment où il posa habilement sa candidature comme l’exact inverse de la mienne. L’Express ne consacra pas moins de cinq pages à ce qui était décrit dans le détail comme “l’opération Delevoye”. Il ressemblait à la France profonde, il parlait comme un Français moyen, il vivait comme M. Tout-le-Monde. Rien ne nous fut épargné, y compris qu’il appelait sa femme “Bibiche” ! » Si l’honnêteté oblige à concéder que cette dernière information, non négligeable, n’était en réalité pas parvenue jusqu’à l’auteur de l’article, qui se trouve être également celui de ces lignes, le reste est exact. Nicolas Sarkozy renoncera à postuler, Jean-Paul Delevoye persistera et échouera.
Le chef de l’Etat s’appelait donc Jacques Chirac, celui qui popularisa un jour cette phrase de Jean Guitton :
« Etre dans le vent, c’est avoir le destin des feuilles mortes. » Une sentence qui souffre une exception : Jean-Paul Delevoye, de nouveau en vogue depuis 2017 et son soutien à Emmanuel Macron au nom du gaullisme social et de la lutte contre le populisme. Lors de la naissance du nouveau monde, il préside la commission d’investiture de La République en marche pour les élections législatives. Dans la foulée, il est nommé haut-commissaire à la réforme des retraites et le voilà aujourd’hui qui incarne l’un des textes emblématiques du quinquennat. D’où cette question dont on aura l’humilité d’avouer que jamais on n’aurait pensé se la poser : qu’est-ce qui peut bien rendre Delevoye, élu conseiller général il y a trenteneuf ans, maire il y a trente-sept ans, député il y a trente-trois ans, sénateur il y a vingt-sept ans, indémodable ?
Serait-ce en raison de son langage pour le moins atypique ? Il faut l’entendre célébrer « l’intelligence citoyenne », mettre en garde contre « la pathologie du pouvoir », vanter « la pédagogie des enjeux » pour se dire que, décidément, il ne parle pas comme les autres. Pendant sa campagne pour le RPR, déjà, les mauvaises langues moquaient volontiers son « salmigondis », quand d’autres saluaient sa « fraîcheur ». Ce n’est pas lui qui parlerait mal des gilets jaunes. Il s’inquiète plutôt de « cette révolte des gens qui n’existaient pas ». Il n’est pas conseillé de s’aventurer à lui demander si le président, à ce stade de son mandat, est suffisamment fort pour lancer une réforme aussi délicate que celle des retraites. « Est-ce que ce projet est lié à un capital politique ? Mon pari, c’est que c’est le capital du peuple », répondait-il avant l’été. Sa relation avec Edouard Philippe serait-elle houleuse ? « Je serai toujours l’avocat de sa parfaite loyauté avec le président. » Comme disait l’autre, si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé.
Il a réussi une performance : gagner la confiance des syndicats, même les plus virulents. « C’est un type réglo, franc et direct, qui accepte la contradiction, note Yves Veyrier, secrétaire général de FO. On a échangé avec lui tout au long du processus, alors qu’il connaît parfaitement notre position de principe contre cette réforme. Il a accepté d’écouter nos arguments. » Imparable. Classique. Indémodable.
« C’est un type réglo, franc et direct, qui accepte la contradiction »