Ce qui rend la thérapie génique si révolutionnaire, c’est que l’on agit directement, en une fois, sur la cause de la maladie
Les premiers médicaments capables de réparer notre ADN et de changer le destin des malades sont enfin disponibles. Ils éradiquent des cancers et des pathologies rares ; demain, ce sera peut-être le sida, Parkinson, Alzheimer, l’arthrose, la cécité…
Une quarantaine de nouveaux traitements attendus d’ici à 2022
Il y a toujours quelque chose d’étonnant – et de touchant – à entendre des patients atteints de maladies graves, ou leurs proches, dire qu’ils ont « de la chance ». Ce sont pourtant les mots de Guillaume et Mélanie, les parents d’Augustin. Car, le 14 mai dernier, leur bébé a reçu un traitement de thérapie génique. Et, depuis, l’espoir est revenu.
Augustin est atteint d’amyotrophie spinale, une maladie qui paralyse peu à peu les enfants et les emporte le plus souvent avant leurs 2 ans. Avant l’injection, le nourrisson ne tenait pas sa tête, ne remuait pas les jambes, ne levait plus les bras et commençait à avoir du mal à déglutir. La faute à un gène déficient qui cause la mort des motoneurones, des cellules de la moelle essentielles au mouvement des muscles. La thérapie lui a apporté ce gène : « Depuis, il fait des progrès chaque jour. Il mange des purées, tient assis quelques minutes, met Sophie-la-girafe à sa bouche et gazouille », s’émerveille Guillaume.
Jusqu’où ira Augustin ? Bougerat-il ses jambes ? Se lèvera-t-il ? Nul ne le sait. Aux Etats-Unis, les 12 enfants traités dans le cadre du premier essai clinique lancé en 2014 sont encore vivants. Ils respirent et mangent sans assistance. De belles victoires, déjà. Leur développement moteur est variable, limité pour certains, tandis que deux d’entre eux marchent. « Il reste de nombreuses inconnues, mais une chose est sûre : ce produit change l’histoire de cette maladie », souligne le Dr Claude Cancès, neuropédiatre au CHU de Toulouse.
Autre pathologie, autre succès : dans le cas de la bêta-thalassémie, les malades sont… guéris. « Cette affection du sang oblige les patients
à des transfusions régulières, mais, avec la thérapie génique, ils n’en ont plus besoin », témoigne le Pr Marina Cavazzana, directrice de recherche Inserm à l’Institut des maladies génétiques (Imagine), qui a participé aux essais cliniques.
Fin mai, les traitements contre l’amyotrophie spinale (Zolgensma) et la bêta-thalassémie (Zyntelgo) ont obtenu coup sur coup une autorisation de mise sur le marché, aux EtatsUnis pour le premier, en Europe pour le deuxième. Du jamais-vu dans l’histoire de la thérapie génique. Tout un symbole, aussi : trente ans après le premier essai sur l’homme, les promesses des scientifiques deviennent enfin une réalité pour les malades. Au total, six de ces médicaments sont désormais disponibles, et ce n’est qu’un début. Plus de 700 essais cliniques sont en cours, et les autorités sanitaires américaines s’attendent à voir une quarantaine de produits commercialisés d’ici à 2022.
« Les investisseurs et les grands laboratoires pharmaceutiques ne s’y trompent pas, assure Odile
Boespflug-Tanguy, neuropédiatre et présidente du conseil scientifique de l’AFM-Téléthon. Ils déversent des milliards de dollars sur le secteur, car tous parient que, bientôt, des pathologies fréquentes seront concernées. »
Un nouveau champ de la médecine est donc en train de s’ouvrir : « Ce qui rend la thérapie génique si révolutionnaire, c’est que l’on agit en une fois sur la cause de la maladie », s’enthousiasme l’inventeur du Zyntelgo, le Pr Philippe Leboulch, chercheur à Harvard, aux Etats-Unis, et au Commissariat à l’énergie atomique, en France. Quand un patient présente une mutation pathologique sur un de ses gènes, cette technologie permet d’apporter une copie fonctionnelle de ce gène dans ses cellules, qui vont se remettre à fonctionner normalement. Pour délivrer ce petit message d’ADN, les scientifiques disposaient de vecteurs tout trouvés : les virus, qui depuis des millions d’années nous infectent en envahissant nos cellules. Des virus désarmés, transformés en enveloppes vides, dans lesquelles il suffit d’introduire le gène-médicament.
L’idée, pourtant, a bien failli ne jamais aboutir. En 1999, aux Etats-Unis, un adolescent est décédé quatre jours après l’injection d’une dose massive de virus lors d’un essai. Le coup d’arrêt sera durable, car, dans la foulée, les premiers succès enregistrés en France dans le traitement des « bébés-bulles », ces bambins privés de défenses immunitaires, se voient ternis par les leucémies contractées par cinq enfants. Seuls quelques rares scientifiques persévèrent alors, souvent avec le soutien d’associations de patients.
Mais, ces dix dernières années, tout a changé. « De nouveaux vecteurs, plus sûrs et plus efficaces, ont été mis au point », décrypte Olivier Danos, directeur scientifique de la biotech américaine Regenxbio. Il en existe même tout un bestiaire. Les lentivirus, de la famille du VIH, d’abord. Ils permettent de modifier en laboratoire les cellules qui se renouvellent rapidement, comme celles de la moelle osseuse : prélevées sur le patient, elles sont traitées in vitro, puis regreffées. « Avec cette technologie, déjà efficace contre la bêta-thalassémie et certains déficits immunitaires sévères, nous avons bon espoir de parvenir également à guérir la drépanocytose, la plus fréquente des maladies rares du sang », souligne Philippe Leboulch. Et pourquoi pas, un jour, le sida (voir page 32).
Pour les traitements injectés directement aux patients, les scientifiques recourent à de petits virus non pathogènes, les « AAV ». La nature faisant bien les choses, on en compte une centaine de variétés, chacune avec un tropisme particulier pour l’un de nos organes. « La rétine a été une première cible de choix, car elle compte un nombre limité de cellules et se trouve assez isolée du reste du corps », indique Bernard Gilly, directeur général de GenSight, une biotech spécialisée dans les pathologies ophtalmiques. Avec des effets parfois impressionnants. Avigail, qui a reçu en mai un médicament appelé Luxturna, n’en revient toujours pas : « C’est comme si le monde s’était éclairé, raconte la jeune fille, malvoyante de naissance. Et, surtout, j’ai découvert mon visage dans le miroir. » Les résultats seront-ils aussi bons contre la surdité congénitale ? L’oreille commence aussi à intéresser les scientifiques : l’Institut Pasteur, l’hôpital Necker et la société Sensorion s’apprêtent à lancer le premier essai de thérapie génique sur cet organe.
Mais, déjà, des chercheurs rêvent de l’étape suivante : non plus seulement pallier des mutations délétères, mais transformer nos cellules en usines à produire des médicaments,
« On agit directement, en une fois, sur la cause de la maladie »
et s’attaquer ainsi à toutes sortes de pathologies. « Les perspectives sont énormes, car on sort du champ des maladies d’origine génétique », souligne Olivier Danos, de Regenxbio. Exemple, la dégénérescence maculaire liée à l’âge (DMLA). Aujourd’hui, les malades reçoivent une fois par mois l’injection d’une protéine qui bloque la prolifération de vaisseaux dans l’oeil, à l’origine de la perte de la vision centrale. « C’est très contraignant, alors que, si on administre une fois un gène thérapeutique, la rétine va fabriquer cette protéine en continu », précise Olivier Danos. Six patients ont déjà testé cette innovation : trois ont arrêté leurs piqûres mensuelles, et les autres en ont diminué le rythme… Un principe similaire pourrait se voir appliqué aux articulations, contre l’arthrose. Et même au cerveau, pour traiter les maladies neurodégénératives (voir page 30).
Dans le cancer, des traitements redoutablement efficaces contre certaines tumeurs du sang, capables de guérir en une seule injection les cas de leucémies les plus graves, sont déjà disponibles (voir L’Express du 10 janvier 2018). Avec un concept ingénieux : doter les globules blancs des malades de la capacité de « voir » les tumeurs. Ces gardiens de notre organisme, qui nous protègent contre les agressions extérieures, passent en effet souvent à côté des cellules cancéreuses issues de notre propre corps. Des chercheurs ont donc eu l’idée de les doter d’un gène artificiel, inconnu dans la nature, conçu dans ce but. Mais aujourd’hui, ces médicaments sont fabriqués à partir des cellules immunitaires du patient et un des enjeux sera à l’avenir d’utiliser des cellules de donneurs, qui conviendraient à tous les malades. De nombreux scientifiques cherchent aussi à étendre cette technologie aux tumeurs solides, ce qui s’avère pour l’instant encore d’une grande complexité.
Le véritable défi reste toutefois l’administration de gènes-médicaments par voie intraveineuse, la seule option pour modifier un très grand nombre de cellules un peu partout dans l’organisme. « Cela a longtemps été vu comme trop risqué, du fait de l’énorme quantité de vecteurs nécessaire », souligne Serge Braun, directeur scientifique de l’AFM-Téléthon. C’est pourquoi le Zolgensma, première thérapie du genre à se voir autorisée, marque un tournant. D’autres devraient suivre. Contre l’hémophilie, par exemple : quatre essais sont en cours. « Pour l’instant, la plupart des participants ne présentent plus les saignements fréquents caractéristiques de cette pathologie », indique le Pr Claude Négrier, chef du service d’hématologie biologique du CHU de Lyon. Mieux encore, un premier succès semble enfin à portée de main dans une maladie musculaire, la myopathie myotubulaire. « Les premiers enfants ont reçu le candidat-médicament : certains se passent de respirateur artificiel et récupèrent des fonctions motrices », se réjouit Ana
Buj-Bello, chercheuse au laboratoire Généthon, qui a mis au point le vecteur.
Spectaculaire et prometteuse, la thérapie génique pose toutefois encore de nombreuses questions. Le risque qu’apparaissent des effets secondaires graves ne peut être écarté, d’autant que les premières autorisations de mise sur le marché ont été délivrées très vite, sur la base de résultats obtenus sur un nombre restreint de patients. Mais la grande inconnue demeure la durée d’efficacité de ces traitements. « Un suivi des enfants est prévu sur au moins vingt ans, même si nous ne voyons aucune raison pour laquelle le bénéfice s’estomperait au fil du temps », assure George O’Rourke, représentant en France d’AveXis, la filiale de Novartis qui a développé le Zolgensma. Nombre de médecins sont pourtant moins affirmatifs : « A long terme, la persistance de l’effet sera certainement variable selon les maladies. Mais, globalement, personne n’en sait rien. Nous n’avons tout simplement pas assez de recul », résume la neuropédiatre Odile Boespflug-Tanguy.
D’où une autre interrogation : pourra-t-on un jour, si nécessaire, retraiter les patients ? Les vecteurs étant des virus, le corps développe une immunité à leur encontre, un peu comme avec un vaccin. « Réadministrer le médicament serait inefficace, car les anticorps du malade l’élimineraient », explique Federico Mingozzi, chercheur à Généthon. Les virus AAV étant par ailleurs très courants, une partie de la population est naturellement immunisée et ne peut tout simplement pas en bénéficier. « Pour contourner le système immunitaire, nous avons testé l’injection, en même temps que le vecteur AAV, de nanoparticules contenant un médicament immunosuppresseur. Chez l’animal, cela a permis un deuxième traitement », détaille-t-il. D’autres pistes sont à l’étude, comme la modification génétique des virus, pour les rendre méconnaissables pour le système immunitaire.
Reste que la liste des pathologies potentiellement concernées par cette révolution médicale, certes déjà impressionnante, ne pourra pas s’étendre à l’infini. Les gènes thérapeutiques fonctionnent en effet en continu, alors que beaucoup de notre ADN a une activité variable selon les besoins de notre organisme. « Et cela, nous ne savons pas le reproduire », reconnaît Olivier Danos. Ces thérapies par ajout de matériel génétique ne peuvent pas non plus « éteindre » un gène trop actif. Les ciseaux moléculaires Crispr-Cas9, qui permettent de récrire facilement l’ADN résoudront-ils ces difficultés ? Beaucoup l’espèrent, mais les tests sur l’homme démarrent à peine : « En laboratoire, les résultats semblent excellents. Mais de nombreuses technologies ont bien fonctionné in vitro, avant de se révéler inefficaces ou dangereuses pour les patients. Il faudra attendre les conclusions de ces premiers essais pour juger », assure Annarita Miccio, chercheuse à Imagine. Même si elle est déjà longue, l’histoire de la thérapie génique ne fait que commencer.
Une liste déjà impressionnante de pathologies concernées