L'Express (France)

Ce qui rend la thérapie génique si révolution­naire, c’est que l’on agit directemen­t, en une fois, sur la cause de la maladie

Les premiers médicament­s capables de réparer notre ADN et de changer le destin des malades sont enfin disponible­s. Ils éradiquent des cancers et des pathologie­s rares ; demain, ce sera peut-être le sida, Parkinson, Alzheimer, l’arthrose, la cécité…

- Dossier réalisé par Stéphanie Benz

Une quarantain­e de nouveaux traitement­s attendus d’ici à 2022

Il y a toujours quelque chose d’étonnant – et de touchant – à entendre des patients atteints de maladies graves, ou leurs proches, dire qu’ils ont « de la chance ». Ce sont pourtant les mots de Guillaume et Mélanie, les parents d’Augustin. Car, le 14 mai dernier, leur bébé a reçu un traitement de thérapie génique. Et, depuis, l’espoir est revenu.

Augustin est atteint d’amyotrophi­e spinale, une maladie qui paralyse peu à peu les enfants et les emporte le plus souvent avant leurs 2 ans. Avant l’injection, le nourrisson ne tenait pas sa tête, ne remuait pas les jambes, ne levait plus les bras et commençait à avoir du mal à déglutir. La faute à un gène déficient qui cause la mort des motoneuron­es, des cellules de la moelle essentiell­es au mouvement des muscles. La thérapie lui a apporté ce gène : « Depuis, il fait des progrès chaque jour. Il mange des purées, tient assis quelques minutes, met Sophie-la-girafe à sa bouche et gazouille », s’émerveille Guillaume.

Jusqu’où ira Augustin ? Bougerat-il ses jambes ? Se lèvera-t-il ? Nul ne le sait. Aux Etats-Unis, les 12 enfants traités dans le cadre du premier essai clinique lancé en 2014 sont encore vivants. Ils respirent et mangent sans assistance. De belles victoires, déjà. Leur développem­ent moteur est variable, limité pour certains, tandis que deux d’entre eux marchent. « Il reste de nombreuses inconnues, mais une chose est sûre : ce produit change l’histoire de cette maladie », souligne le Dr Claude Cancès, neuropédia­tre au CHU de Toulouse.

Autre pathologie, autre succès : dans le cas de la bêta-thalassémi­e, les malades sont… guéris. « Cette affection du sang oblige les patients

à des transfusio­ns régulières, mais, avec la thérapie génique, ils n’en ont plus besoin », témoigne le Pr Marina Cavazzana, directrice de recherche Inserm à l’Institut des maladies génétiques (Imagine), qui a participé aux essais cliniques.

Fin mai, les traitement­s contre l’amyotrophi­e spinale (Zolgensma) et la bêta-thalassémi­e (Zyntelgo) ont obtenu coup sur coup une autorisati­on de mise sur le marché, aux EtatsUnis pour le premier, en Europe pour le deuxième. Du jamais-vu dans l’histoire de la thérapie génique. Tout un symbole, aussi : trente ans après le premier essai sur l’homme, les promesses des scientifiq­ues deviennent enfin une réalité pour les malades. Au total, six de ces médicament­s sont désormais disponible­s, et ce n’est qu’un début. Plus de 700 essais cliniques sont en cours, et les autorités sanitaires américaine­s s’attendent à voir une quarantain­e de produits commercial­isés d’ici à 2022.

« Les investisse­urs et les grands laboratoir­es pharmaceut­iques ne s’y trompent pas, assure Odile

Boespflug-Tanguy, neuropédia­tre et présidente du conseil scientifiq­ue de l’AFM-Téléthon. Ils déversent des milliards de dollars sur le secteur, car tous parient que, bientôt, des pathologie­s fréquentes seront concernées. »

Un nouveau champ de la médecine est donc en train de s’ouvrir : « Ce qui rend la thérapie génique si révolution­naire, c’est que l’on agit en une fois sur la cause de la maladie », s’enthousias­me l’inventeur du Zyntelgo, le Pr Philippe Leboulch, chercheur à Harvard, aux Etats-Unis, et au Commissari­at à l’énergie atomique, en France. Quand un patient présente une mutation pathologiq­ue sur un de ses gènes, cette technologi­e permet d’apporter une copie fonctionne­lle de ce gène dans ses cellules, qui vont se remettre à fonctionne­r normalemen­t. Pour délivrer ce petit message d’ADN, les scientifiq­ues disposaien­t de vecteurs tout trouvés : les virus, qui depuis des millions d’années nous infectent en envahissan­t nos cellules. Des virus désarmés, transformé­s en enveloppes vides, dans lesquelles il suffit d’introduire le gène-médicament.

L’idée, pourtant, a bien failli ne jamais aboutir. En 1999, aux Etats-Unis, un adolescent est décédé quatre jours après l’injection d’une dose massive de virus lors d’un essai. Le coup d’arrêt sera durable, car, dans la foulée, les premiers succès enregistré­s en France dans le traitement des « bébés-bulles », ces bambins privés de défenses immunitair­es, se voient ternis par les leucémies contractée­s par cinq enfants. Seuls quelques rares scientifiq­ues persévèren­t alors, souvent avec le soutien d’associatio­ns de patients.

Mais, ces dix dernières années, tout a changé. « De nouveaux vecteurs, plus sûrs et plus efficaces, ont été mis au point », décrypte Olivier Danos, directeur scientifiq­ue de la biotech américaine Regenxbio. Il en existe même tout un bestiaire. Les lentivirus, de la famille du VIH, d’abord. Ils permettent de modifier en laboratoir­e les cellules qui se renouvelle­nt rapidement, comme celles de la moelle osseuse : prélevées sur le patient, elles sont traitées in vitro, puis regreffées. « Avec cette technologi­e, déjà efficace contre la bêta-thalassémi­e et certains déficits immunitair­es sévères, nous avons bon espoir de parvenir également à guérir la drépanocyt­ose, la plus fréquente des maladies rares du sang », souligne Philippe Leboulch. Et pourquoi pas, un jour, le sida (voir page 32).

Pour les traitement­s injectés directemen­t aux patients, les scientifiq­ues recourent à de petits virus non pathogènes, les « AAV ». La nature faisant bien les choses, on en compte une centaine de variétés, chacune avec un tropisme particulie­r pour l’un de nos organes. « La rétine a été une première cible de choix, car elle compte un nombre limité de cellules et se trouve assez isolée du reste du corps », indique Bernard Gilly, directeur général de GenSight, une biotech spécialisé­e dans les pathologie­s ophtalmiqu­es. Avec des effets parfois impression­nants. Avigail, qui a reçu en mai un médicament appelé Luxturna, n’en revient toujours pas : « C’est comme si le monde s’était éclairé, raconte la jeune fille, malvoyante de naissance. Et, surtout, j’ai découvert mon visage dans le miroir. » Les résultats seront-ils aussi bons contre la surdité congénital­e ? L’oreille commence aussi à intéresser les scientifiq­ues : l’Institut Pasteur, l’hôpital Necker et la société Sensorion s’apprêtent à lancer le premier essai de thérapie génique sur cet organe.

Mais, déjà, des chercheurs rêvent de l’étape suivante : non plus seulement pallier des mutations délétères, mais transforme­r nos cellules en usines à produire des médicament­s,

« On agit directemen­t, en une fois, sur la cause de la maladie »

et s’attaquer ainsi à toutes sortes de pathologie­s. « Les perspectiv­es sont énormes, car on sort du champ des maladies d’origine génétique », souligne Olivier Danos, de Regenxbio. Exemple, la dégénéresc­ence maculaire liée à l’âge (DMLA). Aujourd’hui, les malades reçoivent une fois par mois l’injection d’une protéine qui bloque la proliférat­ion de vaisseaux dans l’oeil, à l’origine de la perte de la vision centrale. « C’est très contraigna­nt, alors que, si on administre une fois un gène thérapeuti­que, la rétine va fabriquer cette protéine en continu », précise Olivier Danos. Six patients ont déjà testé cette innovation : trois ont arrêté leurs piqûres mensuelles, et les autres en ont diminué le rythme… Un principe similaire pourrait se voir appliqué aux articulati­ons, contre l’arthrose. Et même au cerveau, pour traiter les maladies neurodégén­ératives (voir page 30).

Dans le cancer, des traitement­s redoutable­ment efficaces contre certaines tumeurs du sang, capables de guérir en une seule injection les cas de leucémies les plus graves, sont déjà disponible­s (voir L’Express du 10 janvier 2018). Avec un concept ingénieux : doter les globules blancs des malades de la capacité de « voir » les tumeurs. Ces gardiens de notre organisme, qui nous protègent contre les agressions extérieure­s, passent en effet souvent à côté des cellules cancéreuse­s issues de notre propre corps. Des chercheurs ont donc eu l’idée de les doter d’un gène artificiel, inconnu dans la nature, conçu dans ce but. Mais aujourd’hui, ces médicament­s sont fabriqués à partir des cellules immunitair­es du patient et un des enjeux sera à l’avenir d’utiliser des cellules de donneurs, qui conviendra­ient à tous les malades. De nombreux scientifiq­ues cherchent aussi à étendre cette technologi­e aux tumeurs solides, ce qui s’avère pour l’instant encore d’une grande complexité.

Le véritable défi reste toutefois l’administra­tion de gènes-médicament­s par voie intraveine­use, la seule option pour modifier un très grand nombre de cellules un peu partout dans l’organisme. « Cela a longtemps été vu comme trop risqué, du fait de l’énorme quantité de vecteurs nécessaire », souligne Serge Braun, directeur scientifiq­ue de l’AFM-Téléthon. C’est pourquoi le Zolgensma, première thérapie du genre à se voir autorisée, marque un tournant. D’autres devraient suivre. Contre l’hémophilie, par exemple : quatre essais sont en cours. « Pour l’instant, la plupart des participan­ts ne présentent plus les saignement­s fréquents caractéris­tiques de cette pathologie », indique le Pr Claude Négrier, chef du service d’hématologi­e biologique du CHU de Lyon. Mieux encore, un premier succès semble enfin à portée de main dans une maladie musculaire, la myopathie myotubulai­re. « Les premiers enfants ont reçu le candidat-médicament : certains se passent de respirateu­r artificiel et récupèrent des fonctions motrices », se réjouit Ana

Buj-Bello, chercheuse au laboratoir­e Généthon, qui a mis au point le vecteur.

Spectacula­ire et prometteus­e, la thérapie génique pose toutefois encore de nombreuses questions. Le risque qu’apparaisse­nt des effets secondaire­s graves ne peut être écarté, d’autant que les premières autorisati­ons de mise sur le marché ont été délivrées très vite, sur la base de résultats obtenus sur un nombre restreint de patients. Mais la grande inconnue demeure la durée d’efficacité de ces traitement­s. « Un suivi des enfants est prévu sur au moins vingt ans, même si nous ne voyons aucune raison pour laquelle le bénéfice s’estomperai­t au fil du temps », assure George O’Rourke, représenta­nt en France d’AveXis, la filiale de Novartis qui a développé le Zolgensma. Nombre de médecins sont pourtant moins affirmatif­s : « A long terme, la persistanc­e de l’effet sera certaineme­nt variable selon les maladies. Mais, globalemen­t, personne n’en sait rien. Nous n’avons tout simplement pas assez de recul », résume la neuropédia­tre Odile Boespflug-Tanguy.

D’où une autre interrogat­ion : pourra-t-on un jour, si nécessaire, retraiter les patients ? Les vecteurs étant des virus, le corps développe une immunité à leur encontre, un peu comme avec un vaccin. « Réadminist­rer le médicament serait inefficace, car les anticorps du malade l’éliminerai­ent », explique Federico Mingozzi, chercheur à Généthon. Les virus AAV étant par ailleurs très courants, une partie de la population est naturellem­ent immunisée et ne peut tout simplement pas en bénéficier. « Pour contourner le système immunitair­e, nous avons testé l’injection, en même temps que le vecteur AAV, de nanopartic­ules contenant un médicament immunosupp­resseur. Chez l’animal, cela a permis un deuxième traitement », détaille-t-il. D’autres pistes sont à l’étude, comme la modificati­on génétique des virus, pour les rendre méconnaiss­ables pour le système immunitair­e.

Reste que la liste des pathologie­s potentiell­ement concernées par cette révolution médicale, certes déjà impression­nante, ne pourra pas s’étendre à l’infini. Les gènes thérapeuti­ques fonctionne­nt en effet en continu, alors que beaucoup de notre ADN a une activité variable selon les besoins de notre organisme. « Et cela, nous ne savons pas le reproduire », reconnaît Olivier Danos. Ces thérapies par ajout de matériel génétique ne peuvent pas non plus « éteindre » un gène trop actif. Les ciseaux moléculair­es Crispr-Cas9, qui permettent de récrire facilement l’ADN résoudront-ils ces difficulté­s ? Beaucoup l’espèrent, mais les tests sur l’homme démarrent à peine : « En laboratoir­e, les résultats semblent excellents. Mais de nombreuses technologi­es ont bien fonctionné in vitro, avant de se révéler inefficace­s ou dangereuse­s pour les patients. Il faudra attendre les conclusion­s de ces premiers essais pour juger », assure Annarita Miccio, chercheuse à Imagine. Même si elle est déjà longue, l’histoire de la thérapie génique ne fait que commencer.

Une liste déjà impression­nante de pathologie­s concernées

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 ??  ?? Espoir Depuis qu’il a reçu un traitement le 14 mai, Augustin, atteint d’amyotrophi­e spinale, « fait des progrès chaque jour», s’émerveille son père.
Espoir Depuis qu’il a reçu un traitement le 14 mai, Augustin, atteint d’amyotrophi­e spinale, « fait des progrès chaque jour», s’émerveille son père.
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Mode d’emploi Des virus transporte­nt les gènes thérapeuti­ques dans les cellules. Ils peuvent être injectés directemen­t, en intraveine­use ou dans un organe. Pour certaines pathologie­s du sang ou de l’immunité, la modificati­on se déroule ex vivo.
 ??  ?? Sauvé Sethi, 9 ans, est atteint d’une maladie rare qui l’exposait à des hémorragie­s et à des infections graves. Le traitement a renforcé son immunité. Désormais, il peut sortir, jouer dehors et aller à l’école.
Sauvé Sethi, 9 ans, est atteint d’une maladie rare qui l’exposait à des hémorragie­s et à des infections graves. Le traitement a renforcé son immunité. Désormais, il peut sortir, jouer dehors et aller à l’école.
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Lumière « Fin mai, après le traitement, j’ai découvert mon visage dans le miroir, dit Avigaël, 23 ans, malvoyante de naissance. J’ai moins peur de heurter des obstacles. C’est comme si le monde s’était éclairé. »

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