Christian Makarian, Anne Levade, Laurent Alexandre
Il n’y a pas eu d’accalmie. Car il n’a jamais été question pour Donald Trump, en plein début de campagne électorale, de changer de position. Lors du G7, on a en fait assisté à une percée périphérique, habilement préparée par la France, dans l’espoir d’un desserrage essentiellement formel entre les Etats-Unis et l’Iran – un coup de maître sans illusion. Cela méritait sans doute d’être tenté, mais n’a en rien modifié la donne. La tension a donc repris de plus belle, selon la logique adoptée dès le départ par les deux camps.
La France a pour elle de s’être démenée pour sauver l’accord de Vienne de 2015 (JCPOA) : elle a proposé le déblocage d’une ligne de crédit d’environ 15 milliards de dollars, soit un tiers des exportations de pétrole iranien en 2017, en échange de l’engagement de Téhéran de revenir aux engagements de 2015, mais aussi d’accepter de nouvelles négociations sur la sécurité régionale et le programme balistique. Ce qui supposait, sous une forme ou sous une autre, une atténuation des sanctions américaines, laissant par exemple la Chine, l’Inde ou le Japon acheter du brut iranien.
La réponse iranienne n’a pas été surprenante : on continue de se parler, tout en franchissant un cap supplémentaire. Le président Hassan Rohani distille graduellement ses entorses au JCPOA ; il avait déjà annoncé que la production d’uranium enrichi allait s’intensifier, en volume comme en pourcentage d’enrichissement (4,5 % au lieu de 3,67 %), sans toutefois atteindre la menace initiale – qui brandissait le chiffre affolant d’un enrichissement à 20 %. Il vient d’ajouter que de nouvelles centrifugeuses, encore plus performantes, seront mises en service.
Du point de vue des Iraniens, la tactique consiste à faire monter la pression pour forcer les Européens à revenir vers eux ; après leur avoir accordé un délai de soixante jours (arrivé à échéance le 5 septembre 2019) pour trouver un compromis, Téhéran propose à la
France et à ses alliés un nouveau délai de deux mois. En pratique, les discussions se poursuivent. Pourquoi ? D’une part, Hassan Rohani doit absolument donner des gages aux durs du régime regroupés autour du guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, lesquels considèrent qu’il faut rester inflexible face à Trump. D’autre part, sur le plan économique et social, les autorités iraniennes font face à un très profond mécontentement des couches populaires, qui accusent le pouvoir de provoquer la misère du peuple.
L’administration Trump, de son côté, a rejeté l’offre française et refuse de lever même partiellement les sanctions – ni exemptions ni dérogations. De nouvelles mesures sont en préparation, avec la conviction parmi les faucons de l’entourage de Trump que l’étranglement de l’Iran sera payant. Pour enfoncer le clou, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, s’est rendu à Londres pour convaincre les Britanniques de renoncer à la ligne de médiation qu’ils poursuivent ; il a réaffirmé ce même point de vue à Emmanuel Macron au cours d’un entretien téléphonique : « Ce n’est pas le moment de tenir des pourparlers avec l’Iran, c’est le moment d’accroître la pression. » A l’appui, Israël a frappé des concentrations agressives du Hezbollah pro-iranien au Liban.
La légère inflexion que l’on avait pu espérer à l’issue du G7 de Biarritz a réveillé les partisans résolus de l’étouffement de l’Iran, à Washington comme à Jérusalem. L’option diplomatique se trouve prise entre deux feux, médiation et durcissement, ce qui traduit une réalité prégnante : en Europe, la question iranienne relève des Affaires étrangères, tandis qu’aux Etats-Unis, et plus encore en Israël, il s’agit d’un sujet de politique intérieure brûlant. Tant que Donald Trump trouvera un plus grand intérêt à la tension qu’à la négociation – un facteur qu’on voit mal évoluer d’ici à l’élection présidentielle du 3 novembre 2020 –, il n’y aura pas d’avancée significative.
Trump croit-il que l’étouffement finira par payer ?