L'Express (France)

Afghanista­n : l’angoisse des femmes

A Kaboul, à l’approche de l’élection présidenti­elle, les militantes craignent de voir les talibans ignorer les urnes et reprendre le pouvoir par la force.

- Par Charles Haquet C. H.

Quand elle parle d’eux, le visage de Palwasha Hasan devient grave et sa voix change d’intonation. Sans doute mesure-t-elle le risque qu’elle prend à les critiquer. Depuis qu’ils ont été chassés du pouvoir, en 2001, les talibans n’ont jamais été aussi près d’y revenir. En guerre contre le gouverneme­nt de Kaboul, qu’ils accusent de corruption, les « étudiants en religion » contrôlent une part non négligeabl­e du territoire afghan. Leur objectif : conquérir le pouvoir par la force, sans participer à l’élection présidenti­elle, prévue le 28 septembre. Ils s’estiment capables de vaincre les forces afghanes, mal équipées et démoralisé­es, ainsi que leurs alliés américains, qui viennent de quitter la table des négociatio­ns (voir l’encadré).

Tout cela, Palwasha Hasan le sait. Elle a compris que les talibans feraient, quoi qu’il arrive, partie de l’équation politique. Et c’est bien ce qui l’inquiète. Invitée à Paris, fin juin, par le Quai d’Orsay et l’Essec, en compagnie d’une douzaine d’autres militantes, elle est venue témoigner, devant les institutio­ns françaises, de son combat pour l’émancipati­on des femmes. Et confier ses craintes de revivre le cauchemar des années 1990, lorsque les talibans s’étaient emparés du pouvoir.

A l’époque, rappelle-t-elle, « les femmes avaient été chassées de l’espace public. Elles avaient déserté les bancs de l’école, abandonné leur blouse de médecin ou d’institutri­ce… Cloîtrées à leur domicile, les mères apprenaien­t en cachette à leurs filles à lire et à écrire. Seules quelques silhouette­s drapées dans des burqas parcouraie­nt les villes fantômes… » En 2001, les talibans sont chassés de Kaboul par les Américains et leurs alliés. « De nouveau, les femmes ont eu droit à une vie sociale, un accès à l’éducation et aux profession­s intellectu­elles. Certaines sont même parties étudier à l’étranger », raconte Palwasha Hasan, avant d’apporter une nuance : « Dans les campagnes, la condition des femmes est bien plus précaire. Toutes les trente minutes, une Afghane meurt par manque de soins au moment de donner la vie… »

FOUETTÉES, LAPIDÉES...

S’ils reprennent les rênes du pays, comment les talibans se comportero­nt-ils à l’égard des femmes ? La question fait frémir Shah Gul Rezaie. Cette ancienne députée n’est guère optimiste. Elle a entendu trop

d’histoires de femmes opprimées dans les zones qu’ils contrôlent. « Dans la province du Nouristan, une femme a récemment été lapidée, une autre fouettée parce qu’elle téléphonai­t à un homme qui n’était pas mahram, c’est-à-dire qu’il ne faisait pas partie du cercle familial proche. » Humaira Ayoubi a, elle aussi, de sérieux doutes sur leurs intentions réelles. Militante infatigabl­e de la cause féminine, cette ex-proviseure de lycée avait fait construire, dans des villages sous influence talibane, deux écoles pour jeunes filles, grâce à des aides financière­s du ministère afghan de l’Education. « Dans les deux cas, j’avais constitué des comités de “sages” qui devaient veiller à ce que personne n’empêche les fillettes d’aller à l’école. Les talibans sont venus, ils ont fait exploser les deux établissem­ents. »

Comment, dans ces conditions, imaginer qu’ils respectero­nt les droits des femmes ? « Ils disent qu’ils ont changé, mais leur regard sur les femmes n’a pas évolué, réfute Palwasha Hasan. S’ils veulent revenir dans le jeu politique, ils doivent donner des garanties à la société civile et lui prouver qu’ils ne se comportero­nt plus comme ils l’ont fait entre 1996 et 2001. » Car une chose est sûre, résume David Martinon, ambassadeu­r français à Kaboul, qui accompagna­it la délégation : « Les Afghanes ne veulent en aucun cas revivre ce qu’elles ont connu à cette époque. »

Pour les porte-drapeaux de la cause féminine, la tâche est d’autant plus rude que les Afghanes n’ont, bien souvent, pas conscience de leurs droits. « Dans les régions rurales, l’homme exerce souvent un pouvoir absolu sur sa femme, témoigne Freshta Karimi, cofondatri­ce de l’ONG Da Qanoon Ghushtonky. Celle-ci lui obéit, car elle n’a pas d’accès à l’informatio­n et ne peut donc contester l’autorité de “celui qui sait”. S’il lui dit, par exemple, de ne pas faire d’études, elle n’en fera pas. » Depuis vingt ans, cette jeune activiste fournit une assistance juridique à toutes celles qui se font flouer par ignorance. « Souvent, j’explique aux jeunes épouses que l’argent que leur mari leur remet au mariage, le mahr, leur appartient et qu’elles ne sont pas tenues de le restituer à leur père et à leurs frères, comme ceux-ci essaient de lui faire croire. »

Tout le monde ne voit pas son action d’un bon oeil. Récemment, à Kandahar, dans le sud du pays, Freshta Karimi a prêté assistance à une femme coupable de « crime moral ». Elle a dû fermer son bureau local pour ne pas subir l’opprobre des talibans, qui contrôlent la région.

Parmi toutes ces femmes reçues à Paris, l’une, pourtant, veut croire à une – timide – évolution. Médecin, Roshan Wardak vit dans la province du même nom, Wardak. « Dans mon village, les talibans sont partout, y compris dans ma famille, raconte-t-elle. Il y a vingt ans, ils interdisai­ent aux jeunes filles de sortir sans être accompagné­es par un homme. Aujourd’hui, ils les autorisent à aller à l’école. Certes, ils ne leur accordent aucune attention, car seule compte l’éducation des garçons. Mais c’est tout de même un changement. »

Il en faudra un peu plus pour convaincre Palwasha Hasan. « Nous avons tant perdu durant ces quatre dernières décennies, soupire-t-elle. Les Afghans sont fatigués. Nous ne demandons qu’à vivre en paix. Pourquoi les talibans ne veulent-ils pas respecter la société civile ? »

DANS MON VILLAGE, LES TALIBANS SONT PARTOUT, Y COMPRIS DANS MA FAMILLE

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 ??  ?? Burqa Imposée par les fondamenta­listes lorsqu’ils étaient au pouvoir, elle est devenue le symbole de l’oppression qu’ont subie les femmes, littéralem­ent effacées de l’espace public.
Burqa Imposée par les fondamenta­listes lorsqu’ils étaient au pouvoir, elle est devenue le symbole de l’oppression qu’ont subie les femmes, littéralem­ent effacées de l’espace public.

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