Mélenchon, le fantasme du procès politique
Avant son audience au tribunal, le 19 septembre à Bobigny, L’Express publie un rapport inédit sur les événements survenus le jour où le chef des Insoumis s’est opposé aux forces de l’ordre.
L’audience au tribunal correctionnel de Bobigny au cours de laquelle il sera jugé pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation » n’aura lieu que la semaine prochaine, mais Jean-Luc Mélenchon fait déjà
monter la pression. Il avait commencé par des allusions sur son blog, au moment de sa viste à Lula, en prison pour corruption, au Brésil. « Il n’y avait pas eu de procès politique en France depuis la période de la guerre d’Algérie », avait-il affirmé. Une assertion reprise encore, dimanche 8 septembre, dans une tribune étonnante publiée dans Le JDD, cosignée par Lula, l’ex-président uruguayen José Mujica et 200 autres personnes.
Anticipant la peine que la justice pourrait éventuellement prononcer à son encontre (les actes d’intimidation envers les représentants de l’Etat peuvent être punis de dix ans de prison), le chef de file des Insoumis se compare encore et toujours à Lula : « C’est la même méthode » qui serait employée contre lui que celle qui aurait été utilisée pour condamner le président brésilien, avec « les mêmes incriminations sans preuves et violations des droits de la défense ». Les juges apprécieront. Pour Mélenchon, le traitement qu’il affirme subir porte un nom, qu’il évoque à longueur de journée : le lawfare. C’est-à-dire une « technique utilisant des prétextes judiciaires pour persécuter les opposants politiques ». Tout un programme.
Loin des conjectures et des supputations, les faits sont là :
les perquisitions menées le 16 octobre 2018 par la police judiciaire dans le cadre de deux affaires distinctes, concernant les emplois d’assistants parlementaires européens de La France insoumise (LFI) et le financement de la campagne présidentielle de 2017 de Mélenchon, ont donné lieu à un face-à-face brutal, à un choc frontal, jamais vu, entre les élus de la République et les magistrats et les forces de l’ordre.
Mélenchon et ses proches, les députés Alexis Corbière et Bastien Lachaud, le conseiller d’Etat Bernard Pignerol, l’attachée de presse Muriel Rozenfeld et le député européen Manuel Bompard seront-ils jugés pour une succession de coups de sang, une série de dérapages totalement incontrôlés ? Ou alors, comme le suggère un des magistrats présents, l’objectif était-il avant tout d’interrompre les perquisitions – et donc de saboter les investigations financières en cours ?
L’audience permettra peut-être de le savoir mais, en tout cas, les images ont été dévastatrices pour le mouvement. Un rapport – inédit à ce jour – signé du commandant de police chargé, à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), de l’enquête ouverte sur cette journée houleuse, synthétise les faits et relève les moments clefs qui ont fait basculer une opération de justice classique en bousculade quasi généralisée. Au départ, la journée du 16 octobre 2018 démarre de manière habituelle pour les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales : leur mission est de perquisitionner, comme ils l’ont déjà fait dans d’autres partis politiques, les locaux de La France insoumise, au premier étage d’un immeuble de la rue de Dunkerque, à Paris.
Alors que leurs collègues ont sonné dès 7 heures en différents sites, bureaux et domiciles de responsables du mouvement, un groupe d’enquêteurs et trois magistrats se présentent devant les locaux de LFI à 8 heures. Un policier réalise à cette occasion 17 planches photos de l’intérieur des locaux vides. Manuel Bompard, député européen et président de La France insoumise, est prévenu. Une fois ce dernier arrivé, la petite troupe pénètre dans les lieux. « Les enquêteurs et magistrats faisaient part à leur interlocuteur de leurs soucis de concilier au mieux le fonctionnement de l’association et les opérations de police judiciaire », écrit la BRDP, le 8 mars 2019.
Un « filtrage des entrées » est opéré, afin de « permettre uniquement l’accès aux employés ». L’usage des téléphones portables était « réglementé » et les personnes présentes « étaient invitées à s’en séparer ». Manuel Bompard, qui a rendez-vous le matin même avec France Info à 11 heures, est autorisé à décommander l’entretien. « La perquisition débutait et se déroulait dans un premier temps dans un climat serein et apaisé, M. Bompard se pliant aux règles sans manifester une opposition particulière » et faisant preuve « d’une certaine coopération » en remettant de lui-même son ordinateur portable aux enquêteurs.
Mais la médiatisation par JeanLuc Mélenchon de la perquisition à son domicile, qui se déroule au même moment, provoque un coup de chaud. Le chef du mouvement publie en direct des vidéos sur Facebook, appelant ses soutiens et partisans à converger vers les locaux de la rue de Dunkerque, à « résister », à « entrer dans le siège », à le « défendre » contre des « ordres illégaux », voire à « passer en force », selon un magistrat présent. Avec l’arrivée d’Alexis Corbière, note le rapport, l’attitude de Manuel Bompard, conciliant jusqu’alors, change radicalement : « Soudain [il] n’était plus du tout coopératif et indiquait qu’il souhaitait cesser d’assister à la perquisition. »
A l’arrivée au siège du mouvement, sous l’oeil des caméras, de Mélenchon et d’autres élus, la plupart ceints de leur écharpe tricolore, le barrage, d’abord mis en place à la porte de l’immeuble, puis en bas de l’escalier menant aux locaux, est débordé. C’est le premier point de friction : « Ce groupe parvenait à gagner le palier du premier étage au son des harangues de M. Mélenchon […] : Allez, enfoncez-moi cette porte. » Le
AU SIÈGE DU PARTI, L’OPÉRATION SE DÉROULE TOUT D’ABORD DANS UN CLIMAT SEREIN
deuxième dérapage intervient selon la BRDP devant l’entrée du local : « Les deux policiers en surveillance […] étaient alors l’objet de la colère de M. Mélenchon et de certains de ces accompagnateurs, et notamment de M. Pignerol [le président d’une association proche de La France insoumise, perquisitionnée elle aussi]. »
« Ces deux personnalités se montraient particulièrement vindicatives, hurlant et créant une proximité physique avec les fonctionnaires caractérisant des actes d’intimidation manifestes. » Interrogé (avec les dix autres fonctionnaires ayant déposé plainte après les faits) sur ces moments de forte tension, un gendarme barbu, impassible sur les vidéos de la scène, a raconté comment, avec le visage de Mélenchon « à quelques centimètres », leurs nez avaient fini par se toucher.
En face de la porte principale, sur le même palier, une issue de secours est ouverte par l’attachée de presse du mouvement, qui se trouvait dans les locaux. « Les personnes présentes […] s’engouffraient alors dans la pièce, bousculant les policiers à l’intérieur, qui tentaient en vain de s’opposer à l’envahissement des lieux. S’ensuivait alors une bousculade […] qui voyait l’un des fonctionnaires de police chuter au sol avec l’un des insoumis à qui il tentait d’empêcher l’accès aux autres pièces. » Présent, un vice-procureur tente alors de « ramener au calme » Jean-Luc Mélenchon, en vain : l’élu « allait même jusqu’à bousculer son interlocuteur en le poussant avec les mains ».
Vu « l’état d’excitation et la tension » qui règnent alors dans les lieux, les magistrats décident de stopper la perquisition. Manuel Bompard refuse de signer le procès-verbal ; des scellés provisoires sont alors confectionnés par les enquêteurs, qui quittent l’immeuble « sous les quolibets » et « les insinuations d’instrumentalisation et de partialité ». Un des substituts du procureur expliquera : « Le but clairement affiché était de nous empêcher de réaliser notre perquisition et, quoi que nous faisions, nous risquions l’escalade dans les moyens pour nous empêcher. »
Une fois l’enquête ouverte, notamment pour « violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique », outrage à magistrat, rébellion en réunion, la BRDP s’est procuré les 13 vidéos tournées sur place par la police ainsi que celles mises en ligne par Mélenchon, celles diffusées par Libération et par l’émission Quotidien. Neuf personnes ont été entendues. « Aucune […] ne reconnaissait avoir conscience de la commission des infractions […] reprochées », écrit le commandant de la BRDP.
Comme l’a révélé L’Express en mars 2019, Mélenchon a cherché à minimiser ses gestes au cours de son audition : il n’y aurait eu « aucune violence » ni rébellion de sa part. Alexis Corbière, lui, dément avoir fait pression « sur qui que ce soit » et assure avoir permis « d’apaiser la situation »… Quant à Bernard Pignerol, il estime aussi avoir eu « un rôle plutôt modérateur » au cours de cette drôle de journée. « La véhémence n’est pas la violence », a-t-il ajouté, précisant aussi que s’il n’avait pas réussi à pénétrer au siège de l’association qu’il préside, installée dans les mêmes locaux que ceux de La France insoumise, la perquisition aurait été nulle.
L’auteur de la synthèse policière souligne que le premier argument des mis en cause consiste à regretter « la disproportion des moyens déployés » alors que, selon eux, il y aurait « peu d’éléments » justifiant des enquêtes financières sur le mouvement. Ensuite, les mêmes assurent que la « confusion » dans la communication par les magistrats chargés des opérations aurait accentué le sentiment « d’instrumentalisation de la justice » à leurs dépens. « Ils niaient tous les violences, les actes d’intimidation ou outrages » et estimaient au contraire que « si violences il y avait eu, elles étaient du fait des intervenants ». Plusieurs plaintes ont été effectivement déposées par des membres de LFI.
Finalement, le parquet a abandonné les poursuites pour violences à l’encontre des représentants du mouvement. Sollicité, l’avocat de Jean-Luc Mélenchon n’a pas souhaité confirmer la présence de l’ancien ministre à l’audience. Ni indiquer comment il compte plaider pour sauver son tempétueux client de ce « procès politique »…
L’ÉLU CRÉE UNE PROXIMITÉ PHYSIQUE CARACTÉRISTIQUE DES ACTES D’INTIMIDATION