Jugés pour crime de lèse-président
Pour avoir dérobé la photo officielle du chef de l’Etat dans des mairies, 57 activistes climatiques seront jugés d’ici à septembre 2020. Un mouvement parfaitement orchestré et soigneusement médiatisé.
Ils iront au procès la boule au ventre, mais la tête haute et la détermination intacte. Aujourd’hui, 11 septembre, huit militants d’Action non violente COP21 (ANV-COP21) comparaissent devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris – celle qui juge les terroristes et les délinquants chevronnés. Leur faute ? Avoir dérobé, en février, les portraits d’Emmanuel Macron qui ornaient les mairies des IIIe, IVe et Ve arrondissements de la capitale
pour « dénoncer le vide de sa politique environnementale et sociale ». Accusés de vol en réunion, ces hommes et femmes âgés de 23 ans à 35 ans encourent cinq ans de prison et 75 000 euros d’amende. « C’est une perspective angoissante, mais moins que les conséquences du dérèglement climatique », assume Marion Esnault, 30 ans, photojournaliste et membre d’ANV-COP21. Pour avoir suivi leur exemple, une cinquantaine de leurs camarades sont, eux aussi, poursuivis. Depuis mai, les procès s’enchaînent. Trois ont déjà eu lieu à Bourg-en-Bresse, Strasbourg et Lyon, quatorze sont programmés jusqu’en septembre 2020 – et la liste n’est pas close, car les « décrocheurs » n’ont pas dit leur dernier mot.
Le mouvement Décrochons Macron est né d’une déconvenue. Le 17 décembre, quatre associations, la Fondation Nicolas Hulot, Notre Affaire à tous et les branches françaises de Greenpeace et d’Oxfam, demandent des comptes à l’Etat pour « action défaillante en matière de lutte contre le changement climatique ». La pétition L’Affaire du siècle, qui appuie cette initiative, recueille rapidement plus de 2 millions de signatures. Du jamais vu en France. Mais la réponse du gouvernement, un texte de dix pages de l’ancien ministre de l’Environnement François de Rugy, n’est pas à la hauteur des attentes.
En guise de représailles, un recours en justice est déposé devant le tribunal administratif et les premiers
portraits du président se volatilisent. Puisqu’Emmanuel Macron « décroche » de ses engagements pris à la COP21, la conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques, « décrochons-le », suggèrent les activistes d’ANV-COP21.
Au fil des semaines, de l’Alsace au Pays basque, de l’Atlantique à la Méditerranée, 128 photos officielles du chef de l’Etat disparaissent des mairies. C’est trois de plus que l’objectif fixé initialement : subtiliser 125 de ces portraits, soit autant que le nombre de jours suffisant à la France pour excéder son empreinte écologique, c’est-à-dire pour consommer l’intégralité des ressources naturelles que lui fournit la planète. « Nous ne supportons plus le décalage entre le discours et la politique, explique Txetx Etcheverry, cofondateur de l’association altermondialiste Bizi (« Vivez », en basque), l’un des initiateurs du mouvement. Notre objectif est d’empêcher Macron de se construire une image verte alors que ses actes ne sont pas au diapason. »
LA CONVERGENCE JAUNE-VERT EN MARCHE
Des gilets jaunes se sont ralliés aux militants du climat. Comme Sand, 47 ans, une rédactrice qui vit dans l’Yonne : « Cette cause est la nôtre. Réquisitionner les portraits de Macron, c’est un truc que tout le monde comprend et peut s’approprier. » La convergence jaune-vert serait-elle en marche ? Pour elle, c’est « une évidence ».
Chaque action de « décrochage » respecte à lettre les préceptes de la désobéissance civile : les activistes agissent sans violence, à visage découvert, et revendiquent leur geste à coups de photos et de vidéos largement diffusées. « Ces actes sont révélateurs de la défiance actuelle vis-à-vis du pouvoir et de la désacralisation de ses symboles », analyse l’universitaire Jean Garrigues, spécialiste de l’histoire politique et auteur de La République incarnée, de Léon Gambetta à Emmanuel Macron (ed. Perrin). Les portraits du président (en vente au prix de 9,90 euros sur le site de la boutique en ligne de l’Elysée) sont glissés dans une housse de protection et placés en lieu sûr – « nous en prenons soin », insiste un militant. Ils seront restitués quand la politique climatique sera jugée satisfaisante.
En attendant de rentrer dans leurs mairies respectives, les photos prennent l’air de temps en temps. « Nous avons décidé de sortir symboliquement Emmanuel Macron pour lui faire voir le dérèglement climatique et l’extinction de la biodiversité en cours d’accélération et d’aggravation, pour lui faire entendre les clameurs des citoyens en colère », revendique le site Decrochons-macron.fr. En quelques mois, l’imperturbable sourire présidentiel a vu du pays. Il a déambulé au pied du glacier alpin des Bossons, menacé par le réchauffement ; le long du projet contesté de contournement routier, à l’ouest de Strasbourg ; sur le site d’un futur pont autoroutier près d’Orléans. Il a rencontré des enfants lyonnais exposés à un air vicié par les particules fines, participé à un rassemblement dans le Beaujolais contre l’utilisation des pesticides et assisté à la projection du film J’veux du soleil, road-movie tourné par le député (La France insoumise) François Ruffin sur les ronds-points tenus par les gilets jaunes. « Nous plaçons le chef de l’Etat face à la réalité », résume Pauline Boyer, porte-parole d’ANV-COP21.
Le 25 août, une quinzaine de photos sont sorties de leurs cachettes à l’occasion de la Marche des portraits organisée à Bayonne, en marge du G7 de Biarritz. Les manifestants les tenaient tête en bas, façon de signifier que la politique climatique n’a pas de sens. Les forces de l’ordre, présentes en nombre, n’ont pas cillé. « Le gouvernement était coincé, décrypte Txetx Etcheverry : soit il donnait l’ordre d’une intervention sous les yeux de 200 journalistes venus du monde entier, soit il laissait défiler, dans la zone la plus sécurisée de l’Hexagone, ces portraits recherchés par sa gendarmerie et sa police. »
Les militants d’ANV-COP21 connaissent par coeur les ficelles de la désobéissance civile version xxie siècle. « Le décrochage des photos fait partie des nouvelles modalités d’actes d’illégalité qui visent à causer un trouble à l’ordre public, de manière ludique, pour attirer l’attention sur un fait politique, observe le sociologue Albert Ogien, coauteur de Pourquoi désobéir en démocratie ? (ed. La Découverte). Ce qui reste de la désobéissance civile stricto sensu, c’est le fait d’accepter d’être arrêté et poursuivi, afin que le procès soit l’occasion de rouvrir un débat public. »
DES PREMIERS JUGEMENTS PLUTÔT CLÉMENTS
De ce côté-là, les activistes climatiques sont servis. Leurs actions ont déclenché des poursuites immédiates, parfois assorties de perquisitions et de gardes à vue – 900 heures cumulées pour 94 personnes. Même si tous les maires n’ont pas souhaité porter plainte. Celui de Cabestany, dans les Pyrénées-Orientales, a carrément prêté main-forte aux « décrocheurs ». « Ils n’ont rien volé, puisque je leur ai donné le portrait », assène Jean Vila. D’une ville à l’autre, la réponse pénale fluctue. « Certains procureurs ont classé sans suite, d’autres ont prononcé de simples rappels à la loi », déplore un haut gradé du ministère de l’Intérieur. Les jugements rendus à l’issue des premiers procès sont plutôt cléments : relaxe à Strasbourg, 500 euros d’amende avec sursis à Bourg-enBresse – le parquet a fait appel. A Lyon, le 2 septembre, la procureure a requis 500 euros d’amende également.
Pour les associations écolos, chaque tribunal devient tribune. Chaque rendez-vous avec la justice, l’occasion de battre le rappel des sympathisants et des médias. Michel Piquant, charpentier de 28 ans, sera jugé le 27 octobre, à Bonneville, pour sa participation à quatre « décrochages » en Haute-Savoie. « Ce procès sera celui de l’inaction politique face à la pollution de la vallée de l’Arve », promet le multirécidiviste. Lanceur d’alerte, oui. Délinquant, non.