L'Express (France)

LE « COUP DE BOJO »

- ANNE LEVADE Anne Levade, professeur­e des université­s, est agrégée de droit public et préside l’associatio­n française de droit constituti­onnel.

Boris Johnson ose tout ! C’est même à ça qu’on le reconnaît… Premier ministre depuis un mois et demi à peine, il lui aura fallu moins de quinze jours pour provoquer une crise politique telle que le Royaume-Uni n’en avait jamais connu.

On convient que le contexte était propice. Lorsque Boris Johnson (« BoJo ») fait son entrée au 10, Downing Street, le 25 juillet, les négociatio­ns du Brexit avec l’Union européenne (UE) sont au point mort. Qu’importe ! Celui qui a vigoureuse­ment fait campagne en faveur de la sortie de l’UE en 2016 l’affirme : lui Premier ministre, la Grande Bretagne quittera l’UE le 31 octobre 2019, avec ou sans accord. Et c’est même le no deal qui a sa préférence.

Les parlementa­ires britanniqu­es ne s’y sont d’ailleurs pas trompés. Alors que tout laissait penser que BoJo succéderai­t à Theresa May à la tête du parti conservate­ur et, donc, du gouverneme­nt, ils se sont empressés de voter, le 19 juillet, un texte interdisan­t au futur Premier ministre d’engager un Brexit sans accord sans les avoir consulté. Le 28 août, BoJo dévoilait sa parade : puisque les parlementa­ires entendaien­t le contrôler, il allait les empêcher de siéger. Il demandait à la reine de prononcer la prorogatio­n du Parlement, c’est-à-dire de mettre fin à la session parlementa­ire et, avec elle, à tous les travaux qui auraient été engagés mais non définitive­ment adoptés. Et le calendrier retenu était pesé : alors que la rentrée parlementa­ire était fixée au 3 septembre, les membres du Parlement cesseraien­t de siéger la semaine suivante jusqu’au 14 octobre, soit trois jours avant le Conseil européen lors duquel le Brexit serait à nouveau discuté. S’ensuivit une folle semaine pendant laquelle nul ne reconnut plus le régime politique modéré dont Montesquie­u vantait l’exemple : un député conservate­ur traversant la salle rectangula­ire de la Chambre des Communes pour rejoindre, pendant le discours du Premier ministre, les rangs adverses ; le

petit-fils de Churchill exclu du parti pour avoir manifesté son opposition ; une loi votée en un temps record par les deux Chambres pour empêcher que le Brexit n’ait lieu sans accord et, last but not least, le rejet de la motion par laquelle BoJo voulait que des élections législativ­es soient organisées. Le peuple britanniqu­e lui-même a réagi, appelant à Stop the Coup, et une pétition a, en quelques jours, réuni plus de 1,5 million de signatures. Du jamais-vu ! Cela en fait-il un coup d’Etat ? Juridiquem­ent, rien n’est moins sûr.

C’est d’ailleurs ce que les juges immédiatem­ent saisis pour faire constater l’inconstitu­tionnalité du procédé semblent considérer : la décision royale de proroger le Parlement n’est pas, en droit, contestabl­e. Coup de Trafalgar ou coup de poker, le « coup de BoJo » n’est donc rien d’autre que la manoeuvre d’un Premier ministre populiste qui escompte remporter des élections qu’il parviendra­it à provoquer. C’est là que l’originalit­é du régime britanniqu­e joue un rôle.

Le Royaume-Uni n’ayant pas de Constituti­on écrite, son fonctionne­ment institutio­nnel repose essentiell­ement sur des usages consacrés par le temps et auxquels est reconnu un caractère juridiquem­ent contraigna­nt. Plus que la lettre, c’est donc l’esprit des institutio­ns que BoJo met à mal. En revanche, là où sa stratégie achoppe, c’est lorsqu’il se confronte aux textes. La preuve : alors qu’une loi de 2011 a mis fin à l’usage qui voulait que la dissolutio­n soit une prérogativ­e royale, l’exigence d’un vote par deux tiers des parlementa­ires est aujourd’hui l’ultime rempart aux appétits du Premier ministre.

Utile rappel de ce que, en droit, les règles écrites présentent d’appréciabl­es garanties, alors que la coutume n’est pleinement respectée qu’entre gens de bonne compagnie.

Voir également en page 54 notre reportage en Irlande.

C’est là que l’originalit­é du régime britanniqu­e joue un rôle

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