UNE NOUVELLE PISTE CONTRE ALZHEIMER ET PARKINSON
Injecter dans le cerveau des gènes thérapeutiques pour vaincre les maladies neurodégénératives ? Ce n’est déjà plus de la science-fiction…
Le malade est allongé sur la table d’opération, la tête bloquée par un cadre métallique, une fine canule enfoncée jusqu’à 6,5 centimètres de profondeur dans son cortex. L’injection peut commencer. Au rythme de 3 microlitres par minute, le Pr Stéphane Palfi, neurochirurgien à l’hôpital HenriMondor, à Créteil (Val-de-Marne), administre à son patient atteint de la maladie de Parkinson un traitement de thérapie génique. Soit 600 microlitres d’une solution contenant des milliards de virus inactivés. Leur rôle : transporter jusque dans les neurones trois gènes grâce auxquels les cellules ciblées fabriqueront de la dopamine.
Le médecin espère ainsi effacer les symptômes moteurs de la maladie (tremblements, lenteur, rigidité) dus à la disparition progressive de ce neurotransmetteur dans le cerveau des patients. « Les traitements oraux classiques compensent le manque de dopamine, mais ils deviennent moins efficaces après trois à cinq ans. Avec la thérapie génique, nous voulons prolonger leur effet, peut-être jusqu’à dix années », indique le Pr Palfi. Des interventions similaires réalisées par son équipe en 2010 ont montré des bénéfices pour la quinzaine de malades concernés : « La plupart ont retrouvé de l’autonomie. Ils ont recommencé à voyager, et l’un d’eux a même repris le golf », souligne le chercheur. Pour ce deuxième essai, lancé au printemps,
le médicament a été modifié de façon à renforcer son efficacité.
Certes, cette étude reste très préliminaire. Certes, cette thérapie n’est pas curative – la dégénérescence des neurones, qui touche d’abord les cellules productrices de dopamine, se poursuit et finira par toucher d’autres zones du cerveau, cette fois sans recours possible. « Mais la qualité de vie des malades paraît durablement améliorée. Et, surtout, cette expérience confirme qu’il est possible de s’attaquer à des maladies neurodégénératives fréquentes par la thérapie génique, même si ces pathologies n’ont pas de cause génétique connue », souligne le Pr Palfi. Une vraie révolution. Cette technologie de pointe a en effet d’abord été développée pour compenser la présence d’une mutation pathologique sur un gène par l’apport d’une copie saine du même gène. Mais, à présent, les scientifiques vont plus loin : ils l’utilisent pour donner aux cellules des outils leur permettant de fabriquer elles-mêmes un médicament. Beaucoup espèrent parvenir ainsi à guérir les patients, ou au moins à ralentir l’évolution de leurs symptômes.
CIBLER LE CHOLESTÉROL
C’est le cas de Nathalie Cartier, une pionnière de la thérapie génique en France. La scientifique a rejoint l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à Paris, pour développer un traitement contre la maladie d’Alzheimer : « Nous ciblons le cholestérol en excès dans les neurones des malades. » Dans de précédents travaux, elle avait montré que les patients manquaient d’une enzyme impliquée dans la dégradation du cholestérol cérébral. Cette chercheuse a donc eu l’idée d’apporter à leurs neurones le matériel génétique nécessaire à sa production. Sur des rongeurs, une seule injection a facilité l’élimination du cholestérol excédentaire, réduit la formation des plaques séniles caractéristiques de la maladie, amélioré leur fonctionnement cérébral et restauré leur mémoire !
Reste à finaliser les études de toxicité, et surtout à travailler sur le mode d’administration de cette thérapie chez l’homme. Une partie qui incombe au Pr Michel Zerah, neurochirurgien à l’hôpital Necker, à Paris. « Nous explorons plusieurs pistes », témoignet-il. La voie intracérébrale directe, à la
manière de ce que fait le Pr Palfi à Créteil. L’injection dans le liquide céphalorachidien, qui baigne la moelle épinière et l’encéphale, ou encore en intraveineuse, via le système sanguin. « Dans ce dernier cas, les virus qui transportent les gènes ont du mal à passer la barrière hémato-encéphalique qui protège le cerveau. C’est pourquoi nous allons tester en complément le recours à des ultrasons pour ouvrir momentanément cette barrière », explique le praticien.
Pour trouver les financements nécessaires aux travaux préparatoires, puis aux essais cliniques, Nathalie Cartier a créé une start-up, BrainVectis. Elle pense tester dans un premier temps son traitement sur des patients atteints de la maladie de Huntington, une pathologie neurodégénérative rare où le cycle du cholestérol se trouve également perturbé : « Les zones touchées dans le cerveau sont plus localisées que dans la maladie d’Alzheimer, avec des effets sans doute plus faciles à mettre en évidence. »
Mais aucun traitement n’a jamais fonctionné contre les maladies neurodégénératives. Pourquoi la thérapie génique réussirait-elle ? « Les revers avec les stratégies testées jusqu’ici s’expliquent largement par la difficulté de faire parvenir les molécules en quantité suffisante dans le cerveau. Cette technologie pourrait résoudre le problème », avance Olivier Danos, directeur scientifique de la biotech américaine Regenxbio. Ainsi, les anticorps conçus pour détruire les protéines toxiques qui s’accumulent à l’intérieur ou autour des neurones (les plaques séniles) n’ont rien donné de probant, mais ce Français expatrié aux Etats-Unis espère obtenir de meilleurs résultats en faisant produire ces molécules directement par les neurones. « Cela reste de la recherche, souligne-t-il. Nous travaillons encore sur les séquences d’ADN et sur les virus qui les transporteront jusque dans le cerveau. » Il faudra donc plusieurs années avant que ce concept soit appliqué à des patients. Une équipe newyorkaise s’apprête, elle, à tester une autre technique : inonder l’encéphale des malades avec un gène reconnu comme protecteur contre Alzheimer…
Pour avoir une chance de se montrer efficaces, ces traitements devront s’appliquer avant que trop de neurones n’aient été détruits. C’est-à-dire sur des individus en bonne santé mais à risque élevé de tomber malades, ou sur des patients à des stades préliminaires de la pathologie. « Cela pose un problème éthique majeur, relève le Pr Zerah. Peut-on tester des traitements innovants, et donc potentiellement dangereux, sur des personnes encore bien portantes ? » L’avenir de ces thérapies dépendra surtout de la réponse à cette question.