Y AURA-T-IL ASSEZ DE MÉDICAMENTS ?
Les capacités de production saturent et des innovations sont nécessaires pour que, demain, les laboratoires puissent répondre à la demande.
C’est un enjeu méconnu et qui, pourtant, pourrait freiner l’essor de la thérapie génique : la fabrication des médicaments à l’échelle industrielle reste encore un véritable défi économique et scientifique. Au niveau mondial, les rares manufacturiers compétents dans ce domaine se trouvent totalement saturés. Un problème, notamment, pour les jeunes pousses de la biotechnologie. Quand elles se lancent, ces start-up n’ont pas toujours les moyens de se doter de leur propre outil de production pour réaliser les quelques dizaines de doses nécessaires aux essais cliniques. « Il faut parfois attendre un an pour obtenir un créneau chez un prestataire. Pendant ce temps, vous êtes bloqué et vous perdez de l’argent », témoigne André Choulika, le patron de Cellectis, une société française spécialisée dans les thérapies du cancer, qui vient de décider de construire sa propre plateforme.
Actuellement, les biotechs qui parviennent à sécuriser leur production voient aussitôt leur cours de Bourse s’envoler. Avec l’arrivée sur le marché des premiers traitements, tous les laboratoires se sont engagés dans une course à la taille, et investissent massivement. Les rares usines existantes, aux Etats-Unis notamment, s’échangent à coups de milliards de
dollars. En France, YposKesi, le fabricant cofondé par l’AFM-Téléthon et la Banque publique d’investissement, compte également doubler ses capacités d’ici à deux ans.
« Mais, clairement, augmenter les surfaces de production ne suffira pas. Demain, il y aura des dizaines de milliers de patients à traiter, et, à l’avenir, la thérapie génique concernera des pathologies demandant des quantités très importantes de médicaments par malade », assure Serge Braun, le directeur scientifique de l’AFM-Téléthon. Selon cet expert, la seule solution passe par l’amélioration des rendements : « Pour cela, il faudra surtout des idées nouvelles et des innovations de rupture », avertit-il.
Avec les méthodes actuelles, la production des gènes-médicaments et de leurs vecteurs, ces virus qui les transportent jusqu’à leur cible dans l’organisme, se révèle trop peu efficace. Le principe est pourtant simple : placer quelques virus dans des cellules humaines cultivées à l’intérieur de bioréacteurs et attendre qu’ils s’y multiplient. Un peu comme dans la nature, où les virus nous infectent de cette façon. « Sauf que la nature est infiniment plus douée que nous », soupire Serge Braun. Pour faire mieux, et obtenir plus de vecteurs à l’issue de ce processus, de nombreuses pistes sont à l’étude un peu partout dans le monde. Elles passent par l’amélioration de la compréhension de la biologie des virus et des cellules, de meilleures conditions de culture, peut-être l’utilisation de cellules non humaines, des manipulations génétiques… Et pourquoi pas, un jour, la mise au point des vecteurs non viraux, totalement différents, qui seraient plus faciles à fabriquer.
Aux Etats-Unis, les autorités sanitaires ont fait de cet enjeu une priorité. En France, le gouvernement vient de lancer, en partenariat avec les acteurs du secteur, un contrat de filière pour accroître les rendements et développer la bioproduction sur notre territoire. « C’est une question stratégique, indique-t-on au ministère de la Recherche. Il faut que les découvertes de nos scientifiques se traduisent en emplois sur notre territoire. » Reste maintenant à savoir quel budget l’Etat est prêt à consacrer à cette « question stratégique ».