L'Express (France)

« DES PRIX INSOUTENAB­LES ET PEU JUSTIFIABL­ES »

L’alerte d’un pionnier de la thérapie génique : le Pr Alain Fischer s’inquiète des tarifs fixés par les laboratoir­es pour ces médicament­s innovants et propose des solutions.

- Propos recueillis par Stéphanie Benz

l’express De 373 000 à 1,9 million d’euros par malade : les prix des traitement­s de thérapie génique ont beaucoup choqué ces derniers mois. Faut-il s’en inquiéter ?

Alain Fischer Ces tarifs, peu justifiabl­es, menacent l’accès des patients à des médicament­s très innovants contre des maladies graves (cécité héréditair­e, bêta-thalassémi­e…). La Belgique a déjà refusé à un enfant souffrant d’un déficit immunitair­e sévère l’accès à une thérapie génique au motif qu’elle coûtait trop cher. Aux Etats-Unis, des hôpitaux inscrivent leurs malades cancéreux dans des essais cliniques pour éviter de payer au prix fort les produits déjà sur le marché.

Et des parents font appel à des armées de bénévoles pour harceler les assureurs et les pousser à prendre en charge les traitement­s de leurs enfants. Au final, on le voit, de tels niveaux de prix risquent de s’avérer contre-productifs pour les laboratoir­es pharmaceut­iques eux-mêmes !

Ces derniers mettent en avant des coûts de R&D et de production très élevés. C’est exagéré ?

A. F. La production se trouve certes plus coûteuse que pour d’autres médicament­s, mais pas dans de telles proportion­s ! Les industriel­s oublient aussi que toutes ces thérapies viennent au départ de centres de recherche publics. Enfin, les essais cliniques portent sur un tout petit nombre de patients,contrairem­entauxproc­édures habituelle­s, ce qui revient moins cher.

En même temps, peu de malades sont concernés, et les résultats sont impression­nants…

A. F. Si nous devions payer les soins en fonction de leur efficacité, les antibiotiq­ues et l’insuline coûteraien­t une fortune ! Par ailleurs, à l’exception de la thérapie génique des déficits immunitair­es, commencée voilà une vingtaine d’années, nous ne disposons pas de suffisamme­nt de recul pour savoir combien de temps les effets constatés aujourd’hui dureront. Quant au nombre de malades, il va inévitable­ment augmenter. Aux prix actuels, ce sera insoutenab­le pour la collectivi­té.

Etats et industriel­s semblent s’orienter vers un étalement des paiements dans le temps. Est-ce suffisant ?

A. F. C’est une première piste, tout comme l’idée de « rémunérati­on à la performanc­e », où les produits se verront facturés seulement pour les malades pour lesquels leur efficacité aura été démontrée. Mais nous avons aussi besoin de plus de transparen­ce sur la fixation des prix. Et, surtout, les pays européens devraient négocier ensemble, et non séparément comme aujourd’hui, pour peser davantage face aux industriel­s.

L’idée d’une production publique de produits de santé est régulièrem­ent évoquée. Qu’en pensez-vous ?

A. F. Cela va être indispensa­ble. Des centaines de maladies génétiques ultrarares, avec parfois à peine une dizaine de patients dans toute l’Europe, pourraient désormais bénéficier de la thérapie génique. Mais aucun industriel ne se lancera sur des marchés si réduits. La seule solution serait effectivem­ent de créer un laboratoir­e à but non lucratif, avec le soutien des pouvoirs publics et du secteur associatif. Au-delà, rêvons un peu : le statut d’« entreprise à mission », qui ne défend pas seulement les intérêts des actionnair­es mais aussi ceux de la société, fait son chemin. Si les laboratoir­es pharmaceut­iques l’adoptaient, les prix baisseraie­nt ! Il y a urgence à trouver un point d’équilibre entre une rémunérati­on juste des industriel­s et les moyens des finances publiques. Nous en sommes loin.

 ??  ?? Précurseur L’immunologi­ste a été le premier, en 1999, à traiter les « bébés-bulles », ces enfants nés sans défenses immunitair­es.
Précurseur L’immunologi­ste a été le premier, en 1999, à traiter les « bébés-bulles », ces enfants nés sans défenses immunitair­es.

Newspapers in French

Newspapers from France