« DES PRIX INSOUTENABLES ET PEU JUSTIFIABLES »
L’alerte d’un pionnier de la thérapie génique : le Pr Alain Fischer s’inquiète des tarifs fixés par les laboratoires pour ces médicaments innovants et propose des solutions.
l’express De 373 000 à 1,9 million d’euros par malade : les prix des traitements de thérapie génique ont beaucoup choqué ces derniers mois. Faut-il s’en inquiéter ?
Alain Fischer Ces tarifs, peu justifiables, menacent l’accès des patients à des médicaments très innovants contre des maladies graves (cécité héréditaire, bêta-thalassémie…). La Belgique a déjà refusé à un enfant souffrant d’un déficit immunitaire sévère l’accès à une thérapie génique au motif qu’elle coûtait trop cher. Aux Etats-Unis, des hôpitaux inscrivent leurs malades cancéreux dans des essais cliniques pour éviter de payer au prix fort les produits déjà sur le marché.
Et des parents font appel à des armées de bénévoles pour harceler les assureurs et les pousser à prendre en charge les traitements de leurs enfants. Au final, on le voit, de tels niveaux de prix risquent de s’avérer contre-productifs pour les laboratoires pharmaceutiques eux-mêmes !
Ces derniers mettent en avant des coûts de R&D et de production très élevés. C’est exagéré ?
A. F. La production se trouve certes plus coûteuse que pour d’autres médicaments, mais pas dans de telles proportions ! Les industriels oublient aussi que toutes ces thérapies viennent au départ de centres de recherche publics. Enfin, les essais cliniques portent sur un tout petit nombre de patients,contrairementauxprocédures habituelles, ce qui revient moins cher.
En même temps, peu de malades sont concernés, et les résultats sont impressionnants…
A. F. Si nous devions payer les soins en fonction de leur efficacité, les antibiotiques et l’insuline coûteraient une fortune ! Par ailleurs, à l’exception de la thérapie génique des déficits immunitaires, commencée voilà une vingtaine d’années, nous ne disposons pas de suffisamment de recul pour savoir combien de temps les effets constatés aujourd’hui dureront. Quant au nombre de malades, il va inévitablement augmenter. Aux prix actuels, ce sera insoutenable pour la collectivité.
Etats et industriels semblent s’orienter vers un étalement des paiements dans le temps. Est-ce suffisant ?
A. F. C’est une première piste, tout comme l’idée de « rémunération à la performance », où les produits se verront facturés seulement pour les malades pour lesquels leur efficacité aura été démontrée. Mais nous avons aussi besoin de plus de transparence sur la fixation des prix. Et, surtout, les pays européens devraient négocier ensemble, et non séparément comme aujourd’hui, pour peser davantage face aux industriels.
L’idée d’une production publique de produits de santé est régulièrement évoquée. Qu’en pensez-vous ?
A. F. Cela va être indispensable. Des centaines de maladies génétiques ultrarares, avec parfois à peine une dizaine de patients dans toute l’Europe, pourraient désormais bénéficier de la thérapie génique. Mais aucun industriel ne se lancera sur des marchés si réduits. La seule solution serait effectivement de créer un laboratoire à but non lucratif, avec le soutien des pouvoirs publics et du secteur associatif. Au-delà, rêvons un peu : le statut d’« entreprise à mission », qui ne défend pas seulement les intérêts des actionnaires mais aussi ceux de la société, fait son chemin. Si les laboratoires pharmaceutiques l’adoptaient, les prix baisseraient ! Il y a urgence à trouver un point d’équilibre entre une rémunération juste des industriels et les moyens des finances publiques. Nous en sommes loin.