L'Express (France)

Le feu sous la glace

- BELLE ET REBELLE M. P.

En avant, calme et droit… Assurément, Audur Ava Olafsdotti­r tient ferme les rênes de son sixième roman, Miss Islande. Comme à l’accoutumée, l’auteure de Rosa Candida déploie des couronnes de mots enchanteur­s, tout en poésie et en délicatess­e. Mais fait montre, aussi, d’une sereine déterminat­ion avec cette histoire de résistance à l’ordre établi. Son héroïne, jeune femme éprise de liberté et d’absolu, a un nom de volcan, Hekla – ainsi baptisée par un père fou de lave et de pluie de cendres –, mais elle devra longtemps dissimuler sa flamme créatrice et publier sous pseudonyme. Car, à l’époque, en Islande, pays des trolls et des phoques, les poètes sont des hommes, exclusivem­ent.

Dans l’autocar qui l’emmène à Reykjavik en 1963, à 21 ans, loin de sa famille et de la province des Dalir, elle lit l’Ulysse de Joyce à l’aide d’un dictionnai­re anglais-islandais. Son voisin de bus n’en a cure. Il tient absolument à ce que la jeune fille, « belle à faire taire les goélands », brigue le titre de Miss Islande. Chacun à sa place… Plus tard, d’ailleurs, Hekla écrira en cachette de son nouveau compagnon, le jeune poète bibliothéc­aire Starkadur. Seuls deux amis sont dans la confidence : Isey, mariée et mère de famille à 22 ans, qui, préférant, elle aussi, l’écriture à la vie, retranscri­t frénétique­ment les faits quotidiens dans son journal intime, et Jon John, le « déviant », souffre-douleur de tous les équipages des chalutiers sur lesquels il travaille. Loin de la carte postale, l’Islande, 170 000 âmes, est bien ce « maudit bout de terre oublié de Dieu », où les serveuses, dont les clients tripotent le corps sans vergogne, sont payées deux fois moins que les serveurs, et où les homosexuel­s, comme les Noirs, sont exclus de l’armée et considérés comme des violeurs d’enfants ou (et) des communiste­s. Jon John n’a qu’une obsession : briser les chaînes, traverser l’océan, aller voir ailleurs si le monde est meilleur, et entraîner Hekla, sa « Miss Aurore boréale », dans son sillage. Un roman… magnétique.

MISS ISLANDE

par Audur Ava Olafsdotti­r, trad. de l’islandais par Eric Boury. Zulma, 272 p., 20,50 €. 18/20

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