TOUS TES ENFANTS DISPERSÉS
par Beata Umubyeyi Mairesse. Autrement, 256 p., 18 €. 17/20
Fallait-il croire Gaël Faye, l’auteur du best-seller Petit Pays, qui s’est dit happé par Tous tes enfants dispersés, qualifiant de sublime cette histoire de familles et de coeurs en lambeaux mais aussi de métissage et d’espoir ? Oui, trois fois oui. Beata Umubyeyi Mairesse, née à Butare, au Rwanda, en 1979, réfugiée en France en 1994, publie ici son premier roman, non pas autobiographique, mais puisé dans sa mémoire et celle de son peuple exterminé. Un roman à trois voix mêlant trois générations, riche en confidences et en fureur contenue. La première, la Tustsi Immaculata, élevée chez les religieuses, a eu deux enfants, Blanche, fruit de sa liaison avec Antoine, un ingénieur français, et Bosco, fils de Damascène, un Hutu parti étudier longtemps à Moscou. Deux pères volatilisés… Peu avant avril 1994, Immaculata a eu la sagesse de confier Blanche à un convoi d’expatriés évacués de Butare par l’armée belge, tandis que Bosco est parti au front. C’est lui qui libérera sa mère, en juillet 1994, restée terrée pendant trois mois dans la cave d’une librairie. « Le chagrin ne tue pas, il abîme », a l’habitude de dire Immaculata. Mais Bosco, rentré meurtri et muré en lui-même, finira par se suicider au moment même où Blanche, mariée à un Martiniquais de Bordeaux, met au monde le petit Stokely. Dévastée, Immaculata devient muette de chagrin. « Je me suis pendue avec ma langue », écrit-elle. Pour rompre le cercle des « mauditions », ne plus avancer à reculons, il faudra attendre que Stokely grandisse. Enfant de la troisième génération, il va rendre la parole à sa grandmère, participer à la « résurrection des mots » et, pourquoi pas, recoudre le Rwanda… Elle est là, la grande leçon de ce roman à la fois sombre et lumineux : comment les individus arrivent à transmettre de belles choses pour le meilleur et malgré le pire…