L'Express (France)

Les primaires ont été une formidable machine à perdre pour ceux qui en ont organisé

Encensé en 2012, ce processus de désignatio­n des candidats est aujourd’hui accusé d’avoir coulé les grands partis en 2017. Une formule qui ne mérite peut-être pas un tel excès d’indignité.

- Par Thierry Dupont

Brice Hortefeux n’est pas homme à tendre l’autre joue. « La primaire, première et dernière », aime ainsi répéter l’ancien ministre de l’Intérieur. Permettre à tous les électeurs de droite de désigner le candidat Les Républicai­ns (LR) à l’élection présidenti­elle, on ne l’y reprendra plus. Certes, les 20 et 27 novembre 2016, le scrutin, inédit à droite, a attiré 4,3 millions de sympathisa­nts. « Mais, ironise-t-il, cette très belle mobilisati­on n’a pas empêché l’éliminatio­n de François Fillon au premier tour de la présidenti­elle. » Du jamais-vu dans l’histoire de la droite. « La primaire nous a tués », disait François Baroin dans Paris Match, en juin 2017. Brice Hortefeux en reste convaincu, le vote a été pollué par la présence d’électeurs de gauche – de 12 % à 15 % des participan­ts, selon les sondages. La mécanique de la primaire n’a pas su résister à la tempête judiciaire : au contraire, elle a conféré au vainqueur du 27 novembre une légitimité populaire l’immunisant contre toute tentative de destitutio­n, lorsqu’il a été rattrapé par les affaires.

Pour 2022, l’ancien lieutenant de Nicolas Sarkozy plaide pour revenir à une consultati­on des militants, prévoyant un éventuel remplaceme­nt du candidat investi. Hortefeux voulait inciter Laurent Wauquiez, alors président de LR, à supprimer discrèteme­nt la primaire des statuts, après les européenne­s. Un mauvais coup pour Valérie Pécresse et Xavier Bertrand, plus appréciés à l’extérieur qu’au sein de LR. Ladémissio­ndeWauquie­z laisse la question en suspens. Favori pour lui succéder, Christian Jacob affiche cependant la même volonté de retour aux sources que Brice Hortefeux. Tout comme ses deux concurrent­s, les députés Julien Aubert et Guillaume Larrivé, soucieux d’éviter divergence­s surjouées et divisions inutiles d’une campagne médiatique. « Mais comment croire que, en cette période d’effondreme­nt des partis, le vote interne de 50 000 adhérents puisse donner une quelconque impulsion au vainqueur ? » proteste le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau, favorable, lui, au maintien d’une procédure ouverte.

« UNE FORMIDABLE MACHINE À PERDRE »

A La République en marche (LREM), on se pose moins de questions. La primaire ne fait pas partie de l’ADN des marcheurs. Elle jouerait plutôt les repoussoir­s ! En 2017, Emmanuel Macron s’est soigneusem­ent tenu à l’écart de celle de la gauche, avant d’aspirer une bonne partie de ses candidats et de ses électeurs. Ne restait au pauvre Benoît Hamon qu’à ramasser les miettes (6,5 % des voix à la présidenti­elle). Citée en juillet par le Huffington Post, l’ex-juppéiste Marie Guévenoux le reconnaît froidement : « Les primaires ont été une formidable machine à perdre pour ceux qui en ont organisé. » Manière également pour la coprésiden­te de la

commission nationale d’investitur­e de LREM de renvoyer dans les cordes ceux qui, à Paris, demandaien­t des « consultati­ons citoyennes » pour déterminer la tête de liste macroniste aux municipale­s. S’il a dénoncé une procédure « viciée » au profit de son rival Benjamin Griveaux, Cédric Villani est demeuré prudent à l’égard d’un véritable scrutin. « Une telle campagne nous aurait obligés à dévoiler des propositio­ns, à diluer notre message, c’était trop tôt », admet un proche du mathématic­ien. La réalité est moins limpide : désormais, le candidat officiel et le dissident s’opposent dans une primaire qui ne dit pas son nom.

Même ses avocats le reconnaiss­ent, une primaire ne peut pas tout régler. « A la présidenti­elle, l’outil sert à trancher le leadership au sein d’une famille politique. Encore faut-il que celle-ci ait des contours clairs. Il s’agit d’arbitrer entre des personnes et non entre des lignes politiques », prévient un politologu­e. Là résidaient les ambiguïtés de 2017, selon le secrétaire général d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), David Cormand. « A droite, qu’avaient en commun Alain Juppé et Jean-Frédéric Poisson ? Combien de candidats à la primaire de gauche sont encore membres du PS, à part Vincent Peillon ? Le recours à ce modèle était le symptôme des ruptures idéologiqu­es à l’oeuvre dans chaque camp », estime l’écologiste. D’où une grande prudence quand on évoque la possibilit­é d’une initiative commune à gauche pour 2022. « Il doit y avoir un travail politique préalable entre les différente­s forces, dit-il. Le rassemblem­ent pour la primaire est la conséquenc­e d’une convergenc­e sur le fond. »

VOTER AVEC SA TÊTE OU AVEC SES TRIPES

Se réconcilie­r après de rudes batailles électorale­s, se ranger loyalement derrière le vainqueur… Il faudrait prendre exemple, dit-on, sur les Etats-Unis, où la mécanique électorale au sein des républicai­ns et des démocrates serait bien mieux huilée. C’est loin d’être toujours le cas. « En 2016, les électeurs de Bernie Sanders avaient trop de préjugés à l’encontre de Hillary Clinton. Le jour du vote, beaucoup sont restés chez eux », rappelle Adam Nossiter, correspond­ant du New York Times à Paris. Même chose en 2012, lorsqu’une partie de la droite soutient le modéré Mitt Romney du bout des lèvres face au président sortant Barack Obama. Et en 2020 ? « Les électeurs démocrates ont une telle envie de virer Trump qu’ils choisiront le candidat le mieux placé pour le battre, à savoir l’ancien vice-président Joe Biden », prédit le journalist­e américain.

Voter avec sa tête ? En France, les sympathisa­nts socialiste­s ont tenté l’expérience en 2011, lors de la première primaire ouverte du PS. Cette année-là, ils ont préféré François Hollande à Martine Aubry, moins bien placée dans les sondages pour détrôner Nicolas Sarkozy. « En 2017, les participan­ts aux primaires ont davantage voté avec leurs tripes, argumente un expert. A gauche, perdu pour perdu, ils effectuent un choix identitair­e avec Benoît Hamon. A l’inverse, persuadé de l’emporter après le calamiteux quinquenna­t Hollande, l’électorat LR se fait plaisir avec Fillon. » Avec, pour ce dernier, un résultat en trompel’oeil : si la bourgeoisi­e traditionn­elle le soutient massivemen­t, les classes populaires manquent à l’appel.

Contexte politique, participat­ion, psychologi­e des votants : la primaire ne sera jamais une martingale, avertit Anne Levade, chroniqueu­se à L’Express et ex-présidente de la haute autorité pour la primaire de la droite et du centre de 2016. « On lui a prêté des vertus qu’elle n’avait pas. Elle ne mérite pas le discrédit actuel », poursuit la juriste. « C’est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres, approuve l’ex-directeur de campagne d’Alain Juppé, Gilles Boyer, paraphrasa­nt Churchill. La supprimer du paysage politique serait vécu comme une régression démocratiq­ue par les citoyens. » Un sentiment partagé par l’Américain Adam Nossiter.

Alors, en 2022, on repart pour un tour ? Les appareils politiques hésitent. « Pour l’instant, on se dirige vers une primaire, puisque c’est écrit dans nos statuts », confie le premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Chez Les Républicai­ns, on aimerait bien qu’un candidat – coucou, François Baroin ! – s’impose naturellem­ent, pour s’épargner des déchiremen­ts sur la procédure. « Je ne serais pas choquée qu’on change les règles en fonction de l’évolution de la situation, juge Anne Levade. Le droit ne peut se substituer à la politique. Celle-ci doit toujours primer. » Qui oserait en douter ?

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 ??  ?? Mobilisati­on En 2016, 4,3 millions de votants au scrutin de la droite avaient départagé Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon.
Mobilisati­on En 2016, 4,3 millions de votants au scrutin de la droite avaient départagé Alain Juppé, Nicolas Sarkozy et François Fillon.
 ??  ?? Dissident Ecarté par la commission d’investitur­e de LREM, Cédric Villani maintient sa candidatur­e à la mairie de Paris face au prétendant officiel, Benjamin Griveaux.
Dissident Ecarté par la commission d’investitur­e de LREM, Cédric Villani maintient sa candidatur­e à la mairie de Paris face au prétendant officiel, Benjamin Griveaux.

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