L'Express (France)

“La Géorgie a démontré sa résilience”

Présidente de la Géorgie depuis décembre 2018, Salomé Zourabichv­ili, précédemme­nt diplomate française, parle de son pays aujourd’hui et décrypte la situation régionale.

- Propos recueillis par Christian Makarian

l’express Quel bilan tirez-vous de vos premiers mois de présidence ?

Salomé Zourabichv­ili La Géorgie résiste très bien dans un environnem­ent très complexe. On sait la partie que joue la Russie depuis l’occupation de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie [août 2018] et la pression constante qu’elle exerce sur ce qui n’est pas une frontière mais une ligne de partage. C’est une grande souffrance pour les population­s et une pesanteur pour les autorités. Mais, en dépit de cette épée de Damoclès permanente, notre pays n’a pas changé d’orientatio­n ni ralenti son avancée. C’est vrai dans le champ des relations extérieure­s, où nous approfondi­ssons nos liens avec l’Union européenne et avec l’Otan, comme sur le terrain économique. Nous avons aujourd’hui le meilleur taux de croissance de la région, avec 4,7 % en 2019 et 5 % prévus pour les cinq années à venir par les organismes internatio­naux. Les agences de notation nous créditent d’une nette améliorati­on dans leurs classement­s. La Géorgie a démontré sa résilience au fil des années.

A quoi attribuez-vous cette embellie économique ?

S. Z. Entre autres facteurs, au tourisme, qui a fait un véritable bond. Notre pays est devenu une destinatio­n prisée. On le voit en France, où la Géorgie est à la mode. Les restrictio­ns imposées aux touristes russes ne les dissuadent pas. Russes, Turcs et Iraniens sont très nombreux à visiter la Géorgie ; le nombre de Baltes, d’Européens de l’Ouest et d’Israéliens est en nette croissance ; les Arméniens et les Azéris ne sont pas en reste. La jeunesse géorgienne est très mobilisée et développe un tourisme de proximité via les réseaux sociaux. Par ailleurs, les secteurs de la confection, du paramédica­l,

les séjours médicaux et les cures thermales se développen­t.

La perte de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie n’a-t-elle donc pas affecté davantage le pays ?

S. Z. La progressio­n de la Géorgie n’a pas pour prix l’oubli des territoire­s occupés. Il y a une sorte de miracle géorgien. Ce petit pays maintes fois envahi et amputé, qui a survécu vingt-sept siècles, aurait pu disparaîtr­e plusieurs fois. Il n’en est rien, notre capacité à ne jamais nous résigner nous permet de résister à la situation actuelle. On ne vit pas au jour le jour cette ombre de l’occupation. Nous avons notre propre « soft power ».

Pendant ce temps, les Russes avancent aussi dans les territoire­s occupés…

S. Z. De longue date, la Russie pratique la « passeporti­sation » en distribuan­t des titres de nationalit­é aux ressortiss­ants de zones occupées, afin de pouvoir prétendre prendre la défense de citoyens russes. Ce sont des provocatio­ns continues, il ne faut pas entrer dans le jeu de Moscou, qui est celui de l’escalade, car cela servirait de justificat­ion à de nouvelles manoeuvres. Il faut tenir bon et ne pas tomber dans ce piège. La Russie a installé des bases militaires en Ossétie du Sud en rendant les population­s des alentours dépendante­s de ces infrastruc­tures. C’est moins le cas en Abkhazie, où la protestati­on contre la politique de russificat­ion se manifeste de diverses manières.

Comment soutenez-vous les population­s d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie ?

S. Z. Nous menons une politique très active de soutien humanitair­e, éducatif et social. Nous ne pouvons pas procéder à de réels échanges économique­s, mais la Géorgie met à dispositio­n toutes ses infrastruc­tures. Les étudiants peuvent venir étudier gratuiteme­nt dans nos université­s, ils bénéficien­t aussi de soins médicaux sans frais. En tant que présidente de la Géorgie, j’ai une responsabi­lité particuliè­re à l’égard de l’Abkhazie puisque la Constituti­on reconnaît la langue abkhaze et fait de moi le garant de cette identité.

Avez-vous déjà rencontré Vladimir Poutine ?

S. Z. Non, nous n’avons pas de relations diplomatiq­ues.

Pas même en marge d’un sommet internatio­nal ?

S. Z. Non, cela ne s’est pas présenté.

Comment desserrer l’étau qu’a forgé la Russie ?

S. Z. Nous avons une diplomatie très active. La France a un rôle très important à jouer ; en 2008, l’interventi­on personnell­e du président Sarkozy a, en réalité, permis le cessez-le-feu et a fixé la ligne d’arrêt des combats. Ce fut un véritable sauvetage. C’est pourquoi je suis avec beaucoup d’attention ce que le président Macron peut faire au nom de l’Europe en ce qui concerne le conflit en Ukraine.

Croyez-vous à la possibilit­é d’un accord entre Russes et Ukrainiens ?

S. Z. Rien n’est gelé ni inéluctabl­e, toutes les tentatives de paix qui partent de ce point de vue sont bienvenues. Avec l’Ukraine, nous sommes membres associés de l’Union européenne [ainsi que la Moldavie] et nous entretenon­s des liens étroits. J’ai rencontré Volodymyr Zelensky, le président ukrainien, et je dois le revoir. Son arrivée au pouvoir représente un changement, mais ce qui fera évoluer le dossier ukrainien sera l’implicatio­n réelle des différents partenaire­s, notamment les Américains et les Européens. Il faut convaincre les Russes de venir à la table des négociatio­ns. La Russie n’a pas d’autre choix que d’envisager un jour d’entretenir des relations normales avec l’Ukraine, quel que soit le règlement envisagé. Quant à l’Ukraine, elle est handicapée par son poids et son étendue, par la reconversi­on de son industrie vieillie, ce qui rend la solution complexe. Par comparaiso­n, la Géorgie est plus facilement réformable. S. Z. Mon objectif est de ramener la Géorgie au sein de l’Europe telle qu’elle évoluera, car on ne sait pas aujourd’hui quelle sera sa configurat­ion future. Nous sommes intégrés dans plusieurs programmes de l’Union, dans la culture ou dans l’éducation comme dans les transports. Les jeunes Géorgiens sont les plus grands utilisateu­rs d’Erasmus, ce qui montre leur ancrage européen. Les standards de l’UE progressen­t dans tous les domaines, nous nous européanis­ons. En Géorgie, l’euroscepti­cisme n’existe pas. Il n’y a pas d’alternativ­e à l’Europe, vu de l’extérieur, rien ne peut la remplacer.

Reste que vous connaissez toujours une vie politique agitée… [NDLR : le Premier ministre, qui a démissionn­é, a été remplacé par l’ancien ministre de l’Intérieur, réputé proche des Russes]

S. Z. Nous vivons une polarisati­on qui découle de facteurs que l’on rencontre presque partout. J’ai fait du dépassemen­t de ces tensions l’objectif de ma présidence. Quand un pays est amputé d’une partie de ses territoire­s, il est indispensa­ble de parvenir à un consensus sur les points essentiels. Cela ne se règle pas en quelques mois, mais la société y est prête, et une lassitude populaire se manifeste face aux divisions politiques.

Malgré tout, les médias et les réseaux sociaux déversent toutes sortes de rumeurs et d’attaques personnell­es…

S. Z. C’est un pays où tout le monde se connaît, ce qui attise les rumeurs. Il est certain que les fake news représente­nt un problème – notamment en raison d’un voisin susceptibl­e d’utiliser cet instrument – pour lequel j’ai demandé l’aide de l’Union européenne.

Quel est le meilleur allié de la Géorgie aujourd’hui ?

S. Z. La France, où je suis née. Je suis le pont naturel de notre relation. Quel est l’état du rapprochem­ent entre la Géorgie et l’Europe ?

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Déterminée Salomé Zourabichv­ili (ici, au palais présidenti­el, à Tblissi) veut dépasser les pressions pesant sur la nation géorgienne.

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