L'Express (France)

A l’Action française, le doux rêve d’un retour du roi

Timidement, la monarchie gagne en popularité dans les sondages. En surfant sur cette vague conservatr­ice, l’Action française recrute de plus en plus.

- Par Paul Conge

Tout à coup, la tablée se lève comme un seul homme. Poings en cadence sur les meubles, mégaphones pour certains, les 100 convives chantent à tue-tête : « Vive Henri IV », hymne de la monarchie. La plupart n’ont que 20 ans, mais ils en savent les paroles par coeur : « Au diable guerres, rancunes et partis ! Comme nos pères, chantons en vrais amis ! » Oyez ! Et une goulée de rosé. Bienvenue au banquet de l’Action française (AF), plus vieux mouvement politique de France, royaliste et d’extrême droite, réputé pour son agit-prop. Sans relâche depuis 1908, ces Camelots du roi prônent le « nationalis­me intégral » et le retour à la monarchie d’Ancien Régime. « La république, on en a fait le tour. Les gilets jaunes n’ont pas eu de réponse. Le régime est bloqué depuis des décennies », martèle Paul*, timides rouflaquet­tes et moustache de motard. Entre deux bouchées de paella, son voisin relance : « C’est le remède à l’instabilit­é politique, à l’alternance. Pourquoi pas la monarchie ? »

Voilà huit ans que l’AF installe son camp d’été au château d’Ailly. C’est une bâtisse crépie d’ocre, sise à un tir de trébuchet de Roanne (Loire). Nuits sous tente, matchs de boxe, formations sur l’écologie intégrale ou sur le théoricien contre-révolution­naire Charles Maurras… Cette colo militante fait

florès : « On a dépassé les 200 participan­ts sur la semaine. Il y a dix ans, on n’était que 50 », se délecte JeanBaptis­te, déjà 16 séjours à son actif.

Vaisseau amiral de la mouvance royaliste, l’AF prétend avoir doublé ses effectifs depuis 2013 (+ 53 %). Elle draine une faune de militants aux idées le plus souvent ultraconse­rvatrices, tous disciples de Maurras. Il y a beaucoup de jeunes, et quelques vieux routards. A ce jour, ils seraient plus de 3 000. « L’AF continue de fabriquer une émotion politique royaliste et d’exercer une fascinatio­n qui ne s’est jamais démentie », plante Baptiste RogerLacan, spécialist­e des droites extrêmes. D’ailleurs, depuis 2018, de nouvelles sections ont germé comme autant de fleurs de lys à Toulouse, Albi ou Carcassonn­e. Autre signe de progressio­n, cette école de pensée traditiona­liste a institué l’année dernière les Travailleu­rs d’Action française. Goéland baraqué en guise de logo, acronyme malicieux (TAF, argot de « boulot »), ce collectif de jeunes actifs a pour but de conserver dans le giron de l’AF les recrues qui, souvent, désertent une fois leurs études terminées.

Ce n’est pas un hasard si l’AF croît. Ces dernières années, elle a fait du gringue à la Manif pour tous, aux gilets jaunes. Le royalisme connaît aussi une seconde jeunesse sur les réseaux sociaux grâce à une floraison de comptes humoristiq­ues. En bientôt deux ans d’existence, la page Facebook « Mèmes royalistes » – des photomonta­ges numériques viraux – a engrangé plus de 55 000 abonnés. Son credo ? De l’humour politique à la sauce antirépubl­icaine. « Notre objectif est de faire rire en infusant nos idées royalistes à travers nos mèmes », explique l’un des graphistes derrière ce compte. Ces trublions cathos tradis souhaitent « amplifier l’audience » de leurs idées, en « glissant des éléments de doctrine » et en utilisant des codes « qu’un maximum de gens peuvent comprendre », ceux de la culture Web. Un vernis pour idées désuètes ? « Si c’était si old school que ça, rétorque l’administra­teur, nous ne serions pas la première page de “mèmes” politiques en France. » Ainsi, le royalisme serait de nouveau en vogue. D’après un sondage BVA de 2016, 29 % des Français se déclarent prêts à voter pour un monarchist­e à la présidenti­elle. Soit deux fois plus qu’en 2007. Numéro 1 de l’AF, François Bel-Ker phosphore : « Les sondages sont assez ambigus : 51 % des Français souhaitent un homme fort à la tête de l’Etat. Est-ce Poutine ? Sarkozy ? Il y a crise de l’identité des peuples, de l’homme face au consuméris­me. Dans cette quête de sens, la royauté revient au goût du jour. » « Quand les gens se plaignent du parlementa­risme, des partis, regrettent la figure de De Gaulle, c’est une nostalgie de l’idée royale qui ne dit pas son nom », enchérit Charles, jeune homme de 26 ans à la barbe taillée en bouc et chef de la section bordelaise.

Avant d’être bombardé à l’Elysée, Macron reconnaiss­ait cette tentation monarchiqu­e dans un entretien à l’hebdomadai­re Le 1 en juillet 2015 : « Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamenta­lement que le peuple français n’a pas voulu la mort. » Alors, en janvier, il reçut les grands patrons au château de Versailles, puis, en août, Vladimir Poutine au fort de Brégançon, ancienne forteresse royale. Jean Gugliotta ne s’étonne pas de ces mélancolie­s. Il a été aux premières loges pour assister au « royalisme populaire » des « Français lambda », ainsi qu’il le dit, en accompagna­nt dans ses déplacemen­ts le prétendant au trône de France, Jean d’Orléans, dont il fut proche collaborat­eur. Il a vu des ministres lui faire des courbettes, lui donner du « Monseigneu­r ». « C’est extraordin­aire, cet engouement qu’il suscite. Même Macron a été d’une correction envers le prince lorsqu’il l’a rencontré… », se souvient ce néphrologu­e. Que de déférence… L’ancien Premier ministre Raymond Barre lui aurait même chuchoté ceci, sur le ton du regret : « Un jour, les Français en auront marre de tous ces roitelets. Ils voudront un vrai roi. »

Les « faux rois » ? Comprenez, les hyperprési­dents de la Ve République. Ersatz de monarques sans vision ni grandeur d’âme, ils se croiraient tout permis. L’AF s’abreuve à cette critique de l’abus de pouvoir, à ce désarroi des citoyens devant un régime centralisé. Noblesse oblige, un roi seul aux commandes saura « se projeter dans l’avenir », « ne cédera pas au clientélis­me des lobbies » sera ontologiqu­ement « bienveilla­nt », entend-on dans le cloître du château d’Ailly. Paul-Marie Coûteaux, ancienne plume souveraini­ste proche du FN avant de rallier François Fillon, chantre de l’union des droites, esquisse ce parallèle douteux : « Contrairem­ent à Macron, qui a fait tirer au LBD sur les gilets jaunes, aucun monarque, ni Louis XVI en 1789 ni Louis-Philippe en 1848, n’a fait feu sur la foule. »

Mais reste à imaginer comment restaurer cette monarchie. Au camp d’été, on ne mégote pas sur les moyens. Pipe au bec – archaïsme qu’il assume à l’ère des vapoteuses –, Francis explique que nul n’est à l’abri d’une secousse de l’Histoire. « Macron a démontré qu’on peut faire un coup de force par les urnes. Il a conquis le pouvoir dans un laps de temps très court, sans jeu d’appareil. » D’autres, comme Marie, sont plus légalistes : « Pour être en monarchie, il y aurait juste à changer une ligne de la Constituti­on. » Pas si simple,forcément. Officielle­ment, la ligne de l’AF reste d’ailleurs en faveur du coup de force et du « complot à ciel ouvert » : infiltrer les institutio­ns utiles pour ensuite les retourner. En attendant, lors des dernières élections européenne­s, la seule liste royaliste a raflé… 0,1 % des voix.

* Le prénom a été changé

LA RÉPUBLIQUE, ON EN A FAIT LE TOUR. LES GILETS JAUNES N’ONT PAS EU DE RÉPONSE

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Progressio­n Le mouvement affirme avoir doublé ses effectifs depuis 2013.

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