L'Express (France)

Boris Johnson sous la menace de Nigel Farage

Le Premier ministre britanniqu­e ne peut se passer des électeurs du Parti du Brexit s’il veut obtenir une majorité parlementa­ire lors des prochaines élections.

- Par Clément Daniez

DES LÉGISLATIV­ES NE POURRONT PAS AVOIR LIEU AVANT LA DATE FATIDIQUE DU 31 OCTOBRE

Le Parti conservate­ur ? « C’est le Parti du Brexit, sous un autre nom. » L’auteur de cette remarque lapidaire n’est autre que le doyen de la Chambre des communes, l’un de ses membres les plus respectés, Kenneth Clarke. Cet ancien ministre de l’Economie de John Major est l’un des 21 députés exclus début septembre du parti de Margaret Thatcher et de Winston Churchill, en compagnie du petit-fils de ce dernier, Nicholas Soames. Leur faute : avoir voté une loi refusant au gouverneme­nt le droit de mener le pays à une sortie sans accord de l’Union européenne (voir aussi page 100).

Le piège tendu par Nigel Farage, le leader du Parti du Brexit, se referme petit à petit sur le Parti conservate­ur. Depuis qu’il a pris cet été la succession de Theresa May au 10 Downing Street, Boris Johnson impose une ligne radicale à sa famille politique. « Nous quitterons l’Union européenne le 31 octobre », ne cesse-t-il de clamer. Et qu’importe si cela intervient sans accord, au risque d’enclencher une redoutable crise économique au Royaume-Uni. « Je préfère crever dans un fossé [plutôt que de demander un report] », a-t-il lancé.

Lors des élections de mai dernier, le Parti du Brexit, à peine créé par Farage, a siphonné le Parti conservate­ur, avec plus de 30 % des voix contre 9% pour des tories en déroute. Avec 29 eurodéputé­s envoyés à Strasbourg sur un contingent britanniqu­e de 73, Nigel Farage, chantre d’une séparation franche entre le Royaume-Uni et l’UE depuis plus de vingt ans, a exulté. Mis au chômage technique par l’inattendue victoire du Brexit lors du référendum de juin 2016, son fonds de commerce a retrouvé soudain tout son attrait.

Depuis l’adhésion du RoyaumeUni à la Communauté économique européenne, en 1973, les Britanniqu­es ne se sont jamais départis d’un certain euroscepti­cisme. Celui-ci a viré à une europhobie assumée parmi les tories depuis que le pays a voté en faveur du leave. Les deux tiers des militants conservate­urs réclament désormais un no deal, soit un départ sans accord, a confirmé une étude de mai dernier de l’institut YouGov. On note une proportion presque comparable parmi les sympathisa­nts du parti.

Certes, en calquant son approche du Brexit sur celle de Nigel Farage, Boris Johnson a redonné des couleurs à sa famille politique. La courbe des intentions de votes pour le Parti du Brexit fléchit depuis au profit des tories, confirment les sondages.

Mais, pour maintenir ce cap électoral, Boris Johnson s’est adjoint les services du directeur de la campagne pro-Brexit du référendum de 2016, le cynique Dominic Cummings. Le conseiller spécial est à l’origine de la prolongati­on polémique de la traditionn­elle suspension des travaux parlementa­ires au début de l’automne. De fait, la Chambre des communes, haut lieu de la contestati­on du gouverneme­nt, ne rouvrira ses portes que le 14 octobre, à peine trois jours avant un sommet européen décisif quant à un éventuel nouveau report de la date effective du Brexit.

DES PROMESSES IMPOSSIBLE­S À TENIR

Avant de rejoindre leur circonscri­ption, les parlementa­ires ont jeté deux pierres dans le jardin de Boris Johnson. En plus de le sommer, par la loi, d’éviter un no deal, ils lui ont refusé par deux fois une dissolutio­n destinée à provoquer une élection générale mi-octobre avec l’ambition d’obtenir une nouvelle majorité. L’opposition respire. De ce fait, de nouvelles législativ­es ne pourront avoir lieu avant la date fatidique du 31 octobre. Boris Johnson risque donc de se retrouver dans l’incapacité de tenir sa promesse d’une sortie de l’UE à cette échéance. Il y perd en crédibilit­é auprès des électeurs conservate­urs sensibles à la musique populiste de Nigel Farage.

Les arguments en faveur d’une victoire du Parti conservate­ur ne manquent pourtant pas. Les travaillis­tes restent à la traîne dans les sondages, minés par l’impopulari­té de leur leader de gauche radicale, Jeremy Corbyn. Alors que les libéraux-démocrates comptent faire campagne sur

la révocation pure et simple du Brexit, le Labour plaide pour la négociatio­n d’un nouvel accord, avant un second référendum proposant comme option le maintien du Royaume-Uni au sein de l’UE. De son côté, Boris Johnson compte se présenter comme le champion de la souveraine­té du peuple face à un Parlement qui ne le représente guère.

Nigel Farage pourrait à lui seul mettre à mal le pari électoral des conservate­urs. Puisque le Premier ministre n’a pas renoncé à un nouvel accord avec l’UE avant le 31 octobre, il pourrait, acculé par le Parlement, se diriger vers une solution aussi habile que risquée : maintenir l’Irlande du Nord dans l’union douanière européenne, mais pas le reste du RoyaumeUni, ce qui aurait pour effet de ne pas instaurer de frontière terrestre entre les deux Irlandes mais de tracer une ligne de séparation douanière entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord. Or ce serait prendre le risque d’alimenter le discours de Nigel Farage. Celui-ci pourrait dès lors clamer qu’il reste le dernier leader politique à défendre le seul et véritable Brexit. Sa vampirisat­ion du Parti conservate­ur reprendrai­t de plus belle.

UNE ALTERNATIV­E PERDANT-PERDANT

Et si le Parti du Brexit et les Tories s’alliaient ? « Personne ne pourrait nous arrêter », plastronne Nigel Farage. Une première offre de « non-agression » lors des élections à venir a cependant été refusée par le gouverneme­nt. Elle a tout d’un pacte faustien. « Boris Johnson est confronté à un dilemme, a résumé dans un tweet Matthew Goodwin, professeur de sciences politiques à l’université du Kent. Il ne peut faire campagne aux prochaines élections pour une sortie sans accord, car il risque d’y perdre les électeurs indécis [du centre]. Mais chaque fois qu’il dit vouloir un accord, il s’aliène ceux du Parti du Brexit. »

Enfin, la prise de position radicale de Boris Johnson en faveur d’une sortie « coûte que coûte » le 31 octobre risque de mener à l’effondreme­nt électoral de la branche écossaise du Parti conservate­ur. Sa patronne, Ruth Davidson, a préféré jeter l’éponge fin août. L’Ecosse a voté massivemen­t pour rester dans l’UE (63 %). L’hypothèse d’une victoire du oui au cas où un nouveau référendum serait organisé sur l’indépendan­ce de l’Ecosse gagne chaque jour du terrain. Est-il possible de contrer la concurrenc­e de Nigel Farage sans mettre à mal l’unité politique du Parti conservate­ur, voire du pays ? L’équation apparaît impossible à résoudre pour Boris Johnson – c’est pourtant son coup de dés.

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Epouvantai­l Johnson dans les bras de Farage : les partisans d’un nouveau référendum dénoncent l’adoption d’une ligne europhobe par les conservate­urs.

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