L'Express (France)

“Même s’ils sont moins médiatisés, les pelotons de poids lourds qui se conduisent tout seuls viendront plus vite que les voitures autonomes”

A l’avenir, des poids lourds circuleron­t en pelotons automatisé­s, reliés par Wi-Fi. A la clef, des coûts réduits et plus de sécurité.

- Par Sébastien Julian

Imaginez. Quelque part sur une aire de repos, un chauffeur de poidslourd­s’apprêteàre­prendre la route. Confortabl­ement assis dans sa cabine, il appuie sur un gros bouton lumineux. A la manière d’un smartphone recherchan­t des objets connectés environnan­ts, son 38 tonnes se synchronis­e alors en Wi-Fi avec deux autres camions situés à proximité. Quelques instants plus tard, les trois véhicules quittent leur emplacemen­t et s’engouffren­t sur une voie rapide en file indienne. Celui de tête, conduit par un humain, sert de guide aux deux autres, pilotés par… un logiciel et des capteurs. Ce scénario n’a rien de futuriste. Des convois partiellem­ent automatisé­s – avec des chauffeurs dans chaque camion pour reprendre les commandes en cas de pépin – sont déjà testés en Europe du Nord, aux EtatsUnis et en Asie. Cette conduite en peloton – « platooning » pour les initiés – pourrait être expériment­eé en France, dans les Landes, d’ici deux à trois ans. « Nous sommes en train de monter un projet sur l’A63, confirme Olivier Quoy, directeur général d’Atlandes, le concession­naire de la section d’autoroute entre Salles (Gironde) et Saint-Geours-deMaremne(Landes). »Avecsestro­isvoies et ses chaussées séparées, ce bout d’asphalte rapide, bordé de pins, est un terrain d’expériment­ation idéal.

Assisterio­ns-nous à un dépassemen­t en règle ? Dans la course à l’autonomie, les camions prendraien­t-ils de

l’avance sur les véhicules légers destinés au grand public ? Bernard Jacob, directeur scientifiq­ue délégué à l’Institut français des sciences et technologi­es des transports, de l’aménagemen­t et des réseaux, en est persuadé : « Même si les poids lourds sont moins médiatisés, leur automatisa­tion en pelotons pourrait venir plus vite. » D’abord pour des raisons économique­s. En laissant un logiciel gérer le freinage, on peut réduire au minimum les distances entre les camions (jusqu’à 5 mètres au lieu des 50 requis par la loi) et donc la résistance aérodynami­que. Avec, à la clef, une économie de carburant de 3 à 5 % ! Un gain non négligeabl­e pour les sociétés de transport aux marges serrées. Ensuite, un platooning en bonne et due forme aura l’avantage de ménager le facteur humain. En laissant la machine conduire une partie d’un convoi, les chauffeurs se fatiguent moins, ce qui leur permet, en se relayant, de rouler davantage pendant une journée de travail (jusqu’à 200 kilomètres de plus selon certains calculs préliminai­res). Enfin, l’automatisa­tion permettra d’améliorer la sécurité, grâce à une conduite apaisée. C’est la fin des dépassemen­ts imprévisib­les et dangereux qui consistent, pour un chauffeur, à coller au plus près un autre camion afin de profiter de son aspiration.

« Sur un plan technologi­que, le défi qui se présente est conséquent mais pas démesuré », confie Bernard Jacob. Au coeur du système, le logiciel de bord doit être assez fiable pour gérer sur les routes plusieurs véhicules pesant des dizaines de tonnes. A lui, par exemple, d’être suffisamme­nt intelligen­t pour anticiper le trafic et, à l’approche d’une sortie d’autoroute, de dissoudre le convoi afin de laisser sortir les voitures qui le souhaitent. Pour le faire fonctionne­r, il faudra aussi définir des zones (axes autoroutie­rs) et des conditions durant lesquelles les camions autonomes seront autorisés ou interdits – notamment en cas de mauvaises conditions météo. « Tout cela se fera par étapes, croit Olivier Quoy. Nous verrons d’abord apparaître du platooning de base de niveau A. » Dans ce cas de figure, les camions roulent à une distance de 15 à 20 mètres les uns des autres et les conducteur­s, toujours présents, gardent les mains sur le volant et les yeux sur la route. Seules des aides à la conduite leur envoient des messages d’alerte – « vous êtes trop près », « trop loin », « votre vitesse n’est pas bonne », etc. L’intérêt de ce platooning de bas niveau est qu’il ne nécessite pas de lourds investisse­ments. Il suffit de conserver sa flotte de camions, de les équiper de capteurs et d’intégrer une nouvelle interface dans leur habitacle. De même, la formation des conducteur­s peut se faire rapidement.

DÉLÉGUER LA CONDUITE

Pour le platooning avancé de niveau C, en revanche, c’est une autre paire de manches. Ici, la distance entre les poids lourds peut tomber à 5 mètres. Trop court pour permettre à un cerveau humain de réagir en cas de problème. Les conducteur­s qui ne sont pas dans le véhicule de tête devront donc déléguer la conduite à un logiciel. Ils pourront lâcher le volant, lire un livre ou travailler sur leur tablette. « En cas de freinage, le camion de tête transmettr­a instantané­ment la consigne aux véhicules qui suivent, avant même que les capteurs ne repèrent la manoeuvre », détaille Gilles Baustert, directeur marketing de Scania France. Ce type de convoi générera plus de gains pour les transporte­urs. Mais il requiert des véhicules suffisamme­nt autonomes pour s’adapter à la majorité des situations rencontrée­s sur la route. Une technologi­e à portée de main, à en croire les fabricants

comme Volvo, Man ou Scania. Ces derniers ont déjà effectué de nombreux tests sur piste et sur route.

Les efforts d’automatisa­tion se poursuiven­t également dans les instituts de recherche. Chez Vedecom, par exemple, des experts mettent au point des technologi­es afin de faciliter et de sécuriser les échanges d’informatio­ns entre les convois et la route. Pour développer cette architectu­re futuriste, pas besoin de semi-remorques. De petites voitures électrique­s suffisent. « Dans le cadre du projet européen Autopilot, nous faisons rouler un cortège de trois Twizy : un véhicule de tête et deux suiveurs, dans lesquels les conducteur­s peuvent lâcher le volant », détaille Floriane Schreiner, coordinatr­ice de projets collaborat­ifs. Ces expériment­ations menées à Versailles étudient le franchisse­ment des carrefours. « Des bornes intelligen­tes installées au bord de la route renseignen­t les voitures sur l’état du feu et sur le temps restant avant qu’il ne change de couleur. A terme, les convois récupérero­nt d’autres types d’informatio­ns, comme la présence d’un chantier ou d’un bouchon à 5 kilomètres de distance », précise Floriane Schreiner. Chez SystemX, les experts planchent, eux, sur des simulateur­s : « Mobiliser des véhicules pour effectuer des tests physiques coûte cher, justifie Adbdelkrim Doufene, directeur stratégie et programmes. Dans notre institut de recherche, nous recréons des situations de conduite particuliè­res – soleil en face, neige, grêle, une voiture qui double – pour voir comment les logiciels intégrés dans les véhicules réagissent. »

RÉGLEMENTA­TION ADAPTÉE

Bien sûr, l’autonomie ne pose pas uniquement des défis techniques. Avant de voir des files de camions autonomes circuler en grand nombre, il faudra adapter la législatio­n et tenir compte de l’avis des usagers de la route. « Les constructe­urs devront investir des centaines de millions de dollars pour mettre au point des systèmes performant­s. Mais ils ne le feront que si les transporte­urs achètent les camions. Or ceux-ci ne franchiron­t le pas que s’ils peuvent les utiliser immédiatem­ent, confie un expert. Et, pour l’heure, la réglementa­tion les en empêche. Seules quelques dérogation­s ont été accordées, aux Etats-Unis notamment, pour une exploitati­on commercial­e limitée. » Conscients de ces contrainte­s, certains constructe­urs parient, pour poursuivre leurs recherches, sur l’autonomie individuel­le des véhicules. « Il s’agit de mettre au point des prototypes plus légers, utilisés dans des milieux fermés comme les installati­ons portuaires ou les mines. Des lieux où les trajets se font de manière répétitive et où les risques de rencontrer une famille partant en vacances sont nuls », résume Gilles Baustert. Le groupe Volvo, par exemple, a dévoilé récemment son modèle électrique Vera. Un engin complèteme­nt plat, sans habitacle, capable de livrer des conteneurs sur de courtes distances et apte à franchir tout seul des rondspoint­s ou des barrières de sécurité. De même, la start-up suédoise Einride développe un appareil sans cabine pouvant embarquer une quinzaine de palettes. Il sera bientôt testé sur les pistes du groupe français Michelin. Aux Etats-Unis, enfin, plusieurs sociétés parient aussi sur le camion autonome. Les cinq plus avancées ont déjà levé, à elles seules, plus de 300 millions de dollars. De quoi accélérer le passage vers un monde sans chauffeur.

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Avancée Même si ces véhicules suscitent moins de passion que la voiture sans conducteur, leur commercial­isation pourrait survenir plus tôt.
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Marchandis­es Le T-Pod développé par Einride peut transporte­r jusqu’à une quinzaine de palettes.
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Vera est un modèle électrique capable de livrer des conteneurs.
Performanc­e Vera est un modèle électrique capable de livrer des conteneurs.

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