Un laser pour faire la peau aux déchets nucléaires
Comment traiter les résidus radioactifs les plus dangereux produits par les centrales françaises ? Gérard Mourou voudrait utiliser la technologie laser qui lui a valu d’obtenir le prix Nobel de physique en 2018.
Bien longtemps, l’homme démiurge les a déversés dans l’océan avant d’imaginer les enfouir sous les glaces polaires, voire de les expulser dans le vide spatial. Mais aujourd’hui encore, il ne sait quoi faire des déchets radioactifs produits en grande partie par les centrales nucléaires. Et les cinq mois de débat public sur le Plan national de gestion des matières et déchets radioactifs 2019-2021, qui prennent fin le 25 septembre, ne devraient pas aboutir à une solution définitive. Comment traiter les 1,62 million de mètres cubes de résidus radioactifs présents en France, selon les chiffres de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) ? Si 90 % d’entre eux, peu radioactifs et à courte durée de vie, peuvent être stockés dans des centres de surface (dans l’Aube et la Manche, notamment), les 10 % restants sont plus problématiques. Ces dangereux résidus de faible et moyenne activité à vie longue ou de haute activité attendent leur heure, entreposés eux aussi en surface, souvent sur leur lieu de production. La solution la plus avancée consiste à les enfermer à l’intérieur de sites dédiés, comme celui de Cigéo, à la limite de la Meuse et de la Haute-Marne, qui permettra d’enfouir 85 000 mètres cubes de déchets à 500 mètres de profondeur dès 2035. Une autre visait à en garder une partie à portée de main, notamment le plutonium, pour le réutiliser comme combustible dans les potentiels futurs réacteurs de quatrième génération. Mais un tel projet, baptisé Astrid, vient d’être stoppé par le gouvernement.
MÉTHODE ÉNERGIVORE
Reste une autre piste, la transmutation par laser, défendue par Gérard Mourou, Prix Nobel de physique 2018. « Le principe est assez simple : cibler les quatre pires déchets – plutonium, neptunium, américium, curium – avec un laser pour fissionner leurs noyaux et réduire leur durée de vie de quelques millions à une trentaine d’années », explique-t-il. Si les études théoriques en démontrent la faisabilité, il n’existe pas encore de lasers capables de cette prouesse. « Il reste beaucoup de travail », reconnaît le physicien. Mais, selon lui, les lasers de l’Extreme Light Infrastructure, en cours de construction en Roumanie, République tchèque et Hongrie, permettront de réaliser une première démonstration scientifique dans cinq à quinze ans. Ensuite ? Il faudra encore résoudre la périlleuse équation de l’efficacité énergétique, pour l’instant insurmontable : le fonctionnement de ces futurs lasers nécessiterait beaucoup trop d’énergie. De quoi susciter de sérieux doutes, voire les critiques d’une partie de la communauté scientifique. Le célèbre physicien, s’il a engagé des discussions avec le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, n’a d’ailleurs toujours pas scellé d’accord de projet. « Nombre de personnes ne croyaient pas non plus à ma technique de laser à haute intensité lorsque j’ai commencé à y travailler (cette découverte lui a valu son prix Nobel avec Donna Strickland) », positive Gérard Mourou, qui, à 75 ans, a décidé de consacrer tout son dynamisme à cette perspective ambitieuse. Avant de conclure : « Si cela nous permet de régler l’un des problèmes de la production d’énergie nucléaire et de participer à la lutte contre le réchauffement climatique, cela en vaut la peine. »