L'Express (France)

Soprano, droit au coeur

Le populaire rappeur marseillai­s soigne sa nature mélancoliq­ue à coups de textes positifs et festifs. Rencontre dans les coulisses de sa tournée des stades.

- PAR JULIEN BORDIER J. B.

Quelques heures avant de triompher d’un stade Pierre-Mauroy de Lille métamorpho­sé en MJC de quartier surchauffé­e, Soprano n’oublie pas ses responsabi­lités de père de famille. Dans sa vaste loge, le rappeur de 40 ans – il en fait quinze de moins – prend rapidement au téléphone des nouvelles de ses enfants (deux filles, un garçon) restés à la maison. La superstar roule à l’ordinaire, sa smala est son carburant. Pendant son concert, l’ex-gouailleur des Psy 4 de la rime raconte d’ailleurs aux 25 000 spectateur­s comment il négocie les envies d’iPhone de l’aînée ou l’addiction du benjamin au jeu vidéo Fortnite. Dans les tribunes, les parents se marrent. Saïd M’Roumbaba, fils d’émigrés comoriens né à Marseille, est l’alter ego de ces milliers de chtis venus en famille. L’empathie est la clef de voûte du succès de « Sopra' M’baba ». « J’écris ce que je suis, ce que je vis, ce que je vois autour de moi », commente avec douceur l’un des artistes les plus appréciés de l’Hexagone.

Soprano, c’est l’homme qui remplit les stades de France plus vite que Neymar. Après Lille, sa tournée dribblera Paris La Défense Arena, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le 21 septembre, puis l’Orange Vélodrome de Marseille, les 11 et 12 octobre, avant une série de zéniths. Son dernier album, Phoenix, s’est vendu à 374 000 exemplaire­s, le précédent, Everest (2017), à 835 000 exemplaire­s. Signe de sa notoriété, l’ex-juré de The Voice (TF1) a son rond de serviette aux Restos du coeur et entre au musée Grévin (le 20 septembre). Poids lourd de cette musique dite urbaine qui a une basket dans le hiphop, une autre dans la variété, Soprano a conquis les charts et les génération­s en poussant la mélodie, ouvrant ainsi une autoroute pour ses confrères Sexion d’Assaut, Maître Gims, Black M…

Avant d’être rappeur, Soprano était d’abord chanteur. Cet admirateur de Daniel Balavoine, fils d’une femme de ménage et d’un homme à tout faire sur les cargos, a trouvé sa voix dans une madrasa. « J’ai appris le chant à l’école coranique. Je faisais du gospel musulman. Dans la communauté comorienne de Marseille, notre chorale était invitée aux anniversai­res, aux mariages, aux remises de diplôme. » Le jeune Saïd a du coffre. Il gagne un pseudo et une ligne de conduite. « La religion est ma colonne vertébrale. Elle me maintient en équilibre. L’islam, avant de fixer des interdits, est une invitation à faire le bien. » Soprano parle de sa foi sans prosélytis­me. « Comme sur la famille ou la politique,jenem’exprimepas­surcesujet­sur les réseaux sociaux, où il n’y a aucune place pour la complexité. Les commentair­es tombent vite dans la caricature, la paranoïa ou l’incompréhe­nsion. Mon comporteme­nt parle pour moi. “Ne fais pas aux autres, ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse”, me répétait ma mère. J’applique ce principe. »

Derrière ce discours consensuel se cache une mission de service public. « Je veux être utile, porter un message. Si, avec mes chansons, je peux aider les gens à traverser des moments difficiles, tant mieux. Comme mes enfants m’écoutent, je fais attention à mes mots. » La vulgarité et la violence n’ont pas droit de cité. Sous son chapeau, Soprano prône la générosité, la bienveilla­nce, la tolérance, dénonce le harcèlemen­t scolaire, aborde le divorce, l’infidélité, la dépendance aux smartphone­s… Aimable, prévenant, le premier artiste français à avoir rempli le stade Vélodrome depuis Johnny, en 2017, ressemble à un moine zen. Le minot des quartiers nord est un client pour Le Journal de Mickey, qui l’a élu personnali­té préférée des 7-14 ans, jamais pour la colonne des faits divers. Il est le docteur feel good du rap, le porteur d’espoir.

Si Soprano se montre si positif, c’est pour ne pas basculer du côté obscur. Adolescent, l’auteur de Mélancoliq­ue anonyme a vécu la dépression, la naissance à 16 ans d’un premier fils placé par les services sociaux et qu’il n’a jamais connu, une tentative de suicide. Son premier album s’intitule Puisqu’il faut vivre (2007), comme si rester sur terre était une fatalité dont il devait s’accommoder. « La musique est une thérapie », confie ce clown triste qui combat toujours ses bouffées de spleen. Ses morceaux humanistes ou survitamin­és pourraient être vendus en pharmacie et « dans les magasins de jouets ». Fournisseu­r de baume, dynamiteur de palpitant, ce fan de l’Olympique de Marseille va droit au coeur. Ses titres cardio, Cosmo, Le Coach, Coucou ou En feu font transpirer dans les cours de zumba. Sur scène, on a rarement vu quelqu’un se donner autant de mal pour faire du bien.

L’homme de Millionnai­re, qui a vendu 1,7 million d’albums, a la fortune discrète. Il roule dans une Citroën C1 « sans pare-brise » ou une vieille Golf qui rentre du garage. Il déteste l’ostentatio­n. Anti-bling-bling dans son jogging noir, une banale Casio au poignet, Soprano se reconnaît moins en Jay-Z qu’en Jean-Jacques Goldman, son discret voisin marseillai­s, qu’il voit partir au marché à vélo en toute simplicité. Lui conduit tous les matins ses enfants à l’école. Saïd M’Roumbaba est bien un papa comme les autres.

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« Je veux être utile, porter un message », affirme l’artiste.
Engagement « Je veux être utile, porter un message », affirme l’artiste.

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